Interview réalisée par Pierre Jovanovic à Athènes le 6 juin 2017.
Pierre Jovanovic : Le FMI et la BCE viennent d’appliquer le 4e plan d’austérité consécutif (4e memorandum) à votre pays. Il est encore plus violent que les autres, en particulier pour les retraités. La question que tous les lecteurs de la Revue de Presse Internationale me posent régulièrement depuis des années : « pourquoi les Grecs ne se révoltent-ils pas ? »
Nikos Michaloliakos : Malheureusement la manière de vivre contemporaine et ce système qui lie de manière très forte le monde de la finance et le monde de la politique a amené le peuple à une forme de passivité. Cela me rend bien triste. Les seuls qui peuvent se révolter contre cette situation sont les nationalistes de l’Aube Dorée, raison pour laquelle nous sommes tant combattus et faisons l’objet d’attaques continuelles. Les médias ne parlent jamais de nous… sauf d’une manière partiale et négative et sans nous donner la parole, évidemment.
J’ai assisté à votre arrestation ici à Athènes, et ce fut une réplique très proche de celle de Dominique Strauss-Kahn qui a été exhibé devant une meute de journalistes avec une retransmission en direct dans tous les journaux télévisés pour donner un retentissement médiatique mondial [1]...
Oui ce fut avant tout un spectacle télévisé, une mise en scène pour propager la peur, pour faire peur à tous les Grecs qui nous suivaient, qui nous aidaient. Depuis, nous avons prouvé qu’ils avaient eu tort : regardez, à l’époque en 2013, nous étions le 5e parti politique grec, aujourd’hui nous sommes le 3e !
Comment avez-vous vécu votre expérience de la prison ?
J’y ai fait face avec dignité et j’en suis fier puisque j’ai été mis en prison pour mes idées. Se sacrifier pour ses idées est un honneur. Nous étions isolés des autres prisonniers. De plus les autorités politiques avaient très peur que cela se passe mal en prison.
Avant d’aller en prison, Aube Dorée était le 5e parti politique grec, et en sortant vous vous êtes hissé à la 3e, cela veut dire que les Grecs vous suivent encore plus maintenant alors que vous étiez absent de la scène politique pendant presque deux années ?!
Je n’ai pas été absent : chaque semaine j’écrivais pour notre journal et avec le téléphone je donnais des discours politiques… j’ai été aussi actif que possible dans ces conditions… Mon arrestation a été mise en place de manière parfaitement illégale.
Ce n’est pas la première fois que vous avez été emprisonné à cause de votre activité politique ?
En effet, c’est la 3e fois ! (il sourit, avec une sorte de fatalisme)
Le système médiatique grec est contre vous… Pouvez-vous inverser les rôles ? Vous avez déclaré que la Nouvelle télévision nationale grecque (note : genre FR3 et France 2) ne vous a jamais invité dans ses studios.
C’est un grand sujet : la télévision m’invitait surtout quand le score d’Aube Dorée était très bas. Ce ne sont pas tant nos opinions politiques qui les gênent, mais bien le fait que le peuple grec soit derrière nous et nous suive [2].
En effet, la télévision nationale grecque ERT ne diffuse même plus les débats parlementaires quand ce sont vos députés qui interviennent... La télévision publique a le droit de censurer des débats parlementaires ?
C’est vrai, c’est du jamais vu. Ce sont des faux démocrates, des hypocrites. Récemment, il y a eu un événement à l’Assemblée avec l’un de nos députés (note : un député de Nouvelle Démocratie, ministre de l’Ordre Public lors des persécutions d’Aube Dorée en 2013, s’est installé devant un député AD au moment où il s’adressait au Parlement afin qu’on ne le voit pas à la télévision), et, au lieu de l’exclure, lui seul, le président du Parlement grec à décidé d’exclure TOUS les députés Aube Dorée. Mais ce genre de chose ne nous empêche pas de travailler et d’être stables, d’ailleurs les sondages montrent que nous montons de plus en plus. À chaque fois que nous organisons des manifestations, nous obtenons de très grandes participations du peuple [3].
Votre parti Aube Dorée est aujourd’hui à 7 %, malgré vos deux années d’absence pour cause d’emprisonnement ?!!!
Les nouveaux sondages nous donnent maintenant 10 %. Je crois que nous sommes même bien plus haut que cela, mais on le verra au moment des nouvelles élections [4]. Avec notre combat et notre détermination et surtout la politique pathétique que mène Syriza, il va de soi que d’ici-là, notre chiffre sera encore plus haut.
Mario Draghi, gouverneur de la Banque Centrale Européenne, fabrique 80 milliards de monnaie de singe chaque mois, et cela depuis 2 ans, et il a dit que la Grèce ne pourra pas en bénéficier… C’est un acharnement contre la Grèce ?
Nous sommes en train de vivre une époque de malfaisants, des fabricants de fausse monnaie, cela fait d’ailleurs partie de leur plan de mondialisation globale qui va détruire les États-nations. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si l’Union européenne a une grande pression en ce moment mise sur elle par les États qui ont des identités nationales très fortes [5].
Un député hollandais a pourtant expliqué à Mario Draghi que toutes les 69 unions monétaires qui ont été mises en place depuis la Seconde Guerre mondiale ont fini par exploser (note : voir la video plus bas dans cette page). Est-ce que c’est ce moment-là que vous attendez ? Que tous les distributeurs de billets automatiques soient arrêtés... Et que toutes les banques soient fermées ?
Je crois surtout que nous sommes dans la phase finale de cette civilisation qui est d’ailleurs bien décrite par Oswald Spengler, et dans laquelle la monnaie est la seule force [6]. C’est une obligation que cela se termine mal. Nous vivons là la fin d’une époque et le début d’une autre. Le nationalisme ne peut pas être supprimé facilement. Regardez en France : chez vous, où, malgré la propagande des médias, 35 % des Français ont voté pour l’idée d’une France indépendante. Les forces qui sont CONTRE la mondialisation (qu’elles soient de droite ou de gauche), si elles avaient travaillé ensemble, auraient pu gagner.
Si vous prenez le pouvoir en 2019, qui serait votre ministre des Finances ?
Je ne prendrai pas quelqu’un du monde de la banque ou du système monétaire… Ce sera quelqu’un de chez nous, obligatoirement.
Vous sortez de l’Euro tout de suite ?
C’est en effet un choix idéologique et politique que d’avoir sa propre monnaie nationale car quand un pays ne dispose pas de sa monnaie, il n’est pas libre. Dans l’Empire Romain, les provinces autonomes n’avaient pas de monnaie à elles. C’était l’esprit de l’Empire. La liberté d’un pays demande une monnaie nationale. Ce qui m’impressionne c’est la grande résistance qu’on a observée en France face à l’idée de sortir de l’euro.
Le ministre des Finances grec Varoufakis avait dit à l’époque que même si le pays revenait au drachme, il n’y aurait pas assez d’imprimeries spécialisées pour fabriquer des billets de banque suffisamment rapidement pour alimenter le pays immédiatement.
Le souci n’est pas tant d’imprimer des billets de banque, le souci c’est surtout le manque de volonté politique pour les imprimer ! Vous savez que si la Grèce sortait soudain de l’euro, l’Union européenne et l’Allemagne en souffriraient certes, et leurs dommages seraient des multiples de la dette de la Grèce… Si la Grèce avait un « leadership » national, on pourrait leur faire du chantage, attention : je ne veux pas que ce mot soit mal compris, mais ainsi la Grèce veillerait à sa survie. À part les dommages que l’Union européenne connaîtrait, l’euro serait dévalué par rapport au dollar américain, et l’économie mondiale en souffrirait aussi. Le retour à la monnaie nationale doit être fait suivant un plan précis. Nous avons payé très cher notre intégration dans la zone euro, très très cher. Il faut prendre en mains notre production nationale : nous sommes arrivés au point où des pays du tiers-monde comme la Turquie et l’Inde produisent des automobiles, alors que nous, nous n’avons même pas d’usines. Et ça c’est un vieux plan : l’Europe ne voulait pas que la Grèce devienne un pays industriel et surtout qu’elle utilise ses ressources souterraines, notamment le pétrole.