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"Un éclairage vif, riche de fils à tirer" : recension de La Controverse de Ravenne de Damien Viguier

Quel lien existe-t-il entre les structures familiales et les formes d’organisation du pouvoir ? Relation organique, naturelle ou animale, dans le cadre des sociétés primitives, mais qui tend à se dissoudre à mesure que l’humanité progresse dans le développement de la civilisation.

 

Les systèmes familiaux primitifs fondés sur les liens du sang, selon des règles spécifiques d’appartenance ou de non-appartenance à un même groupe ethnique, correspondent au stade de développement des sociétés dites primitives ou sans État. Ce sont alors les clans qui forment l’infrastructure dynamique de la communauté à l’intérieur de laquelle le pouvoir circule à la manière des biens que l’on se partage ou que l’on se transmet. L’auteur nous rappelle que le juriste L. H. Morgan, fondateur de l’anthropologie, « voyait avancer de front le progrès technique et les règles relatives à la famille, à la propriété et au gouvernement » [1]. En sorte que nous pourrions dire qu’il n’y a pas, dans l’histoire, de révolution politique qui ne soit sous-tendue par une réforme, voire une refondation radicale des règles relatives à l’organisation de la famille, aux mariages et aux filiations.

Ainsi du système de la Cité, qui émerge de la dissolution des logiques tribalo-claniques, de leur complète absorption et redéfinition au sein d’un nouvel ordre, juridique, qui marque une rupture avec les vieux systèmes mentaux et politiques du monde archaïque (définit comme « sauvage » ou « barbare »). Le système juridico-politique prend naissance en se séparant progressivement de la sphère religieuse dans laquelle il était, jusqu’alors, complètement coulé, et conquiert le premier moment de son autonomie. Cela se traduit, en Grèce, par la constitution politique (politéia) de la Cité d’Athènes, où s’opère un glissement décisif : « le passage du vote par clan à un vote par quartier, passage si l’on veut du sang au sol, ou si l’on préfère de la race à la classe sociale. » [2]

De la même manière, c’est sous-tendue par une profonde réforme des règles relatives au mariage et à la filiation que se produit la première grande révolution européenne du XIe siècle. L’Église catholique devient pleinement romaine et succède à l’Empire. C’est sur fond de ferveur apocalyptique, dans une lutte aux prises directes avec l’Antéchrist, qu’émerge le processus historique que nous connaissons comme la civilisation d’Occident.

Née de la rencontre entre des Romains tout juste parvenus au stade de la civilisation, avec d’un côté les déjà vieilles aristocraties orientales, claniques et endogames, et, de l’autre, les tribus celtes et germaniques encore barbares, cette période obscure du Moyen Âge – obscure parce que méconnue – fut le laboratoire foisonnant d’une édification sans précédent dans l’histoire : « Ainsi vont se développer des moyens d’unification du droit tels que n’en ont connus ni les musulmans, ni les juifs, ni les orthodoxes, et qui vont permettre à L’Église d’Occident de porter le droit sacré à un niveau de rationalisation inégalé. » [3]

Motivée par « une sainte horreur de l’inceste », la réforme du mariage consistera à étendre au maximum les limites de la parenté, et, parallèlement, à étendre le champ successoral. On hérite de qui l’on est parent et l’on est parent de qui l’on hérite. Le mariage, dans une logique clanique, ne crée pas une relation de parenté mais d’alliance, en sorte que la parenté, et donc la vocation successorale, n’excède jamais les limites du clan. Et telle est la fonction anthropologique de l’interdit de l’inceste, de maintenir l’unité organique du clan. Mais dans un régime exogame, où les biens n’ont pas vocation à demeurer à l’intérieur du clan, mais circulent « au hasard des alliances et des décès », il y a une contradiction à maintenir liées la détermination des limites de la parenté et celle du champ de la succession. Contradiction qui a eu pour effet immédiat de dissoudre le système clanique traditionnel et qui, en se développant à travers l’histoire, conduit à la crise contemporaine de la famille.

La Controverse de Ravenne, au croisement de plusieurs disciplines (le droit, l’anthropologie, l’histoire, la théologie, pour revenir au droit), apporte un éclairage vif, riche de fils à tirer, sur la crise profonde qui ouvre le millénaire chrétien, qui en marque profondément l’esprit et dont les effets sont répercutés jusqu’à nos jours. Origine qui éclaire en retour la crise profonde que l’Occident traverse aujourd’hui, qui n’est pas seulement une crise sociale et politique, mais une crise historique majeure, une mutation anthropologique telle qu’il s’en produit peut-être une fois tous les mille ans dans l’histoire.

Thomas Lavorel

 

Retrouvez l’ouvrage de Damien Viguier
La Controverse de Ravenne
chez Kontre Kulture

 

Notes

[1] Damien Viguier, La Controverse de Ravenne. Genèse antinomique des structures familiales sémitique et occidentale, Saint-Denis, Kontre Kulture, 2021, p. 111.

[2] Ibid., p. 114.

[3] Ibid., p. 171.

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