Le moins qu’on puisse en dire, c’est que le sentiment de l’archevêque syrien Jacques Behnan Hindo sur la déclaration de John Kerry est des plus réservé… Comme je l’ai écrit quelque part, cette reconnaissance par les États-Unis du génocide des chrétiens et d’autres minorités ethniques ou religieuses du Proche-Orient, ne saurait nous faire oublier que gouvernement de Washington est toujours l’allié de puissances régionales qui ont soutenu et financé ceux qui ont perpétré – ou contribué à perpétrer – ce génocide… L’archevêque le note avec raison et ses remarques méritent d’être connues des lecteurs de L’Obs.
Le parcours qui a porté le gouvernement américain à reconnaître comme « génocide » les violences perpétrées par le prétendu État islamique sur les chrétiens, représente « une opération géopolitique » qui « instrumentalise la catégorie de génocide pour ses propres intérêts ». C’est ainsi que s’exprime Mgr Jacques Behnan Hindo, archevêque titulaire de l’archi-éparchie syro-catholique d’Hassakè-Nisibi, commente pour l’Agence Fides les déclarations faites hier par le secrétaire d’État américain, John Kerry, en réponse à la mobilisation de groupes qui, depuis longtemps, sollicitaient de l’administration américaine l’application du concept de « génocide » aux différentes formes de brutalité et d’oppression perpétrées par les militants du prétendu État islamique à l’encontre des chrétiens et d’autres groupes minoritaires.
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Selon Mgr Hindo, qui exerce son ministère pastoral dans l’une des zones les plus tourmentées du nord-est de la Syrie, « la proclamation du génocide est accomplie en braquant les feux de la rampe sur le prétendu État islamique et en censurant toutes les complicités et les processus historiques et politiques qui ont porté à la création du monstre djihadiste, à partir de la guerre faite en Afghanistan contre les Soviétiques par le soutien aux groupes armés islamistes. Il existe la volonté de passer l’éponge sur tous les facteurs étranges qui ont porté à l’émergence rapide et anormale du prétendu État islamique alors que, jusqu’à il y a peu, existaient même des pressions turques et saoudiennes – pays alliés des États-Unis – visant à ce que les djihadistes d’al-Nusra prennent leurs distances du réseau Al Qaeda, afin de pouvoir être classés voire même aidés par l’Occident en tant que "rebelles modérés"… ! ».
Selon l’archevêque […] la déclaration de « génocide contre les chrétiens » de la part du gouvernement américain représente également une tentative de récupérer du terrain face au prestige accru de la Russie parmi les peuples du Proche-Orient. « L’intervention russe en Syrie, souligne l’archevêque, a fait croître l’autorité de Moscou dans un vaste secteur des peuples du Proche-Orient et pas seulement parmi les chrétiens. Des cercles puissants des États-Unis la craignent et maintenant, ils jouent la carte de la protection des chrétiens. On semblerait être revenus au XIXe siècle, lorsque la protection des chrétiens au Proche-Orient constituait également un instrument pour des opérations géopolitiques visant à augmenter l’influence dans la région ».
Selon l’archevêque interrogé par l’Agence Fides, il est trompeur de présenter les chrétiens comme les seules victimes ou les victimes prioritaires des violences du prétendu État islamique. « Ces fous, fait remarquer Mgr Hindo, tuent des chiites, des alaouites et même tous les sunnites qui ne se soumettent pas à eux. Les chrétiens représentent une partie minime des 200 000 morts du conflit syrien et je le répète, dans certains cas, il est accordé aux chrétiens de pouvoir fuir ou de payer la taxe de soumission, alors que pour les non chrétiens, la seule solution est la mort ».