« La guerre par procuration, qui est une chose à laquelle nous nous sommes habitués depuis si longtemps, me paraît être une illusion. »
Nous sommes le 20 mars 2024, l’ex-CEMA (chef d’état-major des armées) répond aux questions de la commission de la Défense nationale. Pour le général Lecointre, nous avons basculé dans une ère nouvelle, rien que par le déséquilibre des arsenaux entre la Russie et nous (France, UE). Nous parlons de guerre, les élites européistes parlent de guerre, mais n’ont pas déclenché de production suffisante pour soutenir une guerre longue, que beaucoup d’inconscients appellent de leurs vœux.
Ce fossé entre ce qui est proféré par les va-t-en-guerre de Bruxelles – le triumvirat Leyen-Michel-Borrel – et la réalité nous mènera, selon Lecointre, à une « faiblesse » et à une « soumission » inévitables, c’est-à-dire la défaite.
« Nous sommes en train de connaître un basculement d’ère stratégique absolument fondamental dont nous ne mesurons à mon avis pas complètement la portée, et qui est même au-delà du basculement d’ère stratégique que nous identifions bien, qui s’est ouverte avec la fin de la guerre froide, l’effondrement du mur de Berlin, et qui s’est refermée avec l’invasion d’Ukraine, qui ne faisait que consacrer un déséquilibre des rapports de force des constitutions des arsenaux que nous sentions venir depuis une dizaine d’années. »
La théorie de Lecointre, c’est la loi des différentiels entre les arsenaux, qui conduisent à de nouveaux rapports de force. Ce qu’illustre la nouvelle puissance russe face aux arsenaux de l’Europe de l’Ouest, en rade depuis des années. Là où on a un peu plus de mal à suivre Lecointre, c’est quand il explique que l’ère précédente, commencée en 1945 avec la victoire des Alliés, était un ordre mondial fondé sur le droit. Autrement dit : la Russie aurait ouvert un nouveau champ de possibles en faisant primer la force sur le droit. Ceux qui connaissent l’histoire américaine depuis 1945 et l’histoire israélienne depuis 1948 rigoleront sous cape.
Les propos du général, quand ils restent cantonnés dans le registre militaire, sont intéressants ; c’est quand il franchit la ligne qui sépare le militaire du politique qu’on bifurque dans l’analyse bien-pensante, et les erreurs qui vont avec...
« Je pense que cette ère stratégique dans laquelle nous entrons, elle est un bouleversement qui remonte même à plus loin. Je pense qu’on peut considérer que l’ordre du monde sur laquelle nous avons vécu jusqu’à présent et qui est en train de disparaître, est un ordre du monde fondé, après la victoire des Alliés et du monde occidental à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, est un ordre du monde fondé sur le droit.
Et aujourd’hui c’est ça qui est remis en question et ça me paraît extrêmement grave. Et ça s’accompagne évidemment d’une remise en cause d’un monde qui a été globalement occidentalisé, et c’est une remise en cause de l’occidentalisation du monde qui est en train de se faire sous nos yeux avec un affaiblissement sans doute de ce monde occidental qui a considéré que le droit qui était le sien devait s’imposer parce qu’il était bon pour la planète et l’ensemble des nations au monde entier, et qu’il n’avait plus besoin d’être soutenu par la force parce que il était soutenu par la supériorité technologique. Et on redécouvre aujourd’hui malheureusement la brutalité du monde et la barbarie des choses. »
Un droit international violé en permanence par l’axe israélo-américain... No comment ! Lecointre a attendu la guerre russo-ukrainienne de 2022 mais a oublié la guerre ukraino-russe de 2014, et toutes les guerres anglo-américaines depuis 1990, date à laquelle l’URSS, en effondrement total, ne peut plus réagir devant les appétits de l’Empire.
On a un peu honte d’infliger cette leçon de relativité géopolitique à un militaire de ce calibre, mais c’est la dure réalité. Le monde occidental est mal placé pour donner des leçons de droit au monde entier. Et nous ne sommes pas des Occidentaux atteints de haine de soi, bien au contraire !
Revenons au conflit actuel entre l’OTAN et la Russie, avec le bellicisme incompréhensible des élites européistes, qui n’ont objectivement pas les moyens de leur politique d’agression.
Alors que cherchent ces élites européistes ?
C’est ce que Lecointre ne dit pas, et qui fait partie de la méta-explication, à savoir que le combo anglo-américain pousse l’Europe au suicide, et conjointement à l’affaiblissement des deux blocs russe et européen. Sans eux, la Chine ne tiendra pas longtemps seule face la prédation de l’Empire. C’est notre analyse, mais les contradictions de la politique extérieures de l’UE n’ont pas d’autre issue.
Ce que disaient les généraux Lecointre et Delawarde en 2018 et 2019
Dominique Delawarde : « Les troupes envoyées en OPEX en particulier au Sahel n’ont plus le niveau d’entraînement suffisant depuis le début des années 2000, ce qui augmente considérablement le risque de mortalité en opération. En outre, les matériels majeurs utilisés en opération n’ont plus un niveau de DTO (Disponibilité technique opérationnelle) suffisant. Le rapport d’information (non classifié) de la commission parlementaire de la défense et des forces Armées du 9 décembre 2015 est déjà effarant quant aux conséquences liées au rythme soutenu des opérations extérieures (OPEX) et au maintien en condition opérationnelle des dits matériels. Il confirmait l’état de déliquescence des matériels majeurs des armées françaises. Le parc hélico était particulièrement visé par ce rapport. »
Le Cema François Lecointre, le 17 juillet 2018, devant la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale : « L’armée française est éreintée, sous-équipée, sous-dotée, sous-entraînée. »