Un sujet encore chaud !
Depuis plus d’un siècle, le Tour de France nous fascine tous les étés. À mon époque nous admirions les coureurs, gagnants ou perdants : Fausto Coppi, Raphaël Géminiani, Louison Bobet, Jacques Anquetil, Raymond Poulidor, Charly Gaul, André Darrigade, puis Eddy Merckx, Bernard Hinault…
3360 kilomètres auront été parcourus pour l’édition 2015, en 3 semaines… à des vitesses incroyables. Qui a monté le Ventoux ou le Galibier (à vélo !) sait dans ses muscles et sa volonté ce que représente ce sport magnifique.
Cette incroyable endurance physique et mentale a suscité de nombreuses interrogations depuis l’affaire Festina de 1998 et celles qui ont suivi. Le dopage est présent dans toutes les têtes, dits et non-dits, et le cyclisme ne parvient pas à blanchir son image.
Pour y voir clair, j’ai interviewé notre fils Jean Joyeux, micronutritionniste spécialisé dans la nutrition sportive qui accompagne de nombreux athlètes dans plusieurs disciplines et dans toutes les catégories.
Le cyclisme est-il le sport le plus sujet au dopage ?
Non, certainement pas. On le retrouve un peu partout, aucun sport n’est épargné. À tel point que la question est parfois posée de légaliser ces pratiques puisqu’elles sont quasiment communes à tous les sports professionnels…
Le problème, de fait, ne concerne pas que le cyclisme. Le football, encore une discipline de très grande portée médiatique, est bien loin d’être épargné. L’athlétisme revient régulièrement à la une des journaux sur ce sujet. Le rugby, le handball… aucune discipline ne semble pouvoir y échapper. L’exemple du Tour de France est particulier car les étapes sont toujours très dures, et on affirme parfois que le simple fait de finir le Tour ne peut se faire sans dopage. Rien, bien évidemment, ne permet d’affirmer cela.
Il est surtout vital de bien comprendre ce qu’est le dopage, et pourquoi la justice et des organismes comme l’Agence mondiale antidopage (AMA) développent autant d’énergie à lutter contre ce phénomène. Il faut bien dire qu’au-delà de la tricherie et de l’économie parallèle pratiquement mafieuse, le dopage est dangereux pour la santé, à court, moyen et long terme.
Depuis quand le dopage existe-t-il, et sous quelle forme ?
C’est une vieille histoire. Elle commence vraisemblablement avec les premières compétitions organisées par l’homme. Que ce soit le désir de gloire, d’ascension sociale, de profit quel qu’il fût, ces motivations suffisaient à provoquer les premières tricheries.
Rapidement, un règlement posa des interdits. On parle de l’interdiction du vin dans les Olympiades de l’Antiquité, et du tout premier contrôle « antidopage » : des arbitres faisaient passer les athlètes un par un devant eux et contrôlaient leur haleine.
L’ère moderne du dopage commence au XIXe siècle, et la première victime probable fut, ironie de l’histoire, un cycliste ! Arthur Linton décéda en 1896 des complications d’une fièvre typhoïde, alors que son manager lui faisait boire régulièrement le contenu d’une « petite bouteille noire »…
Cet athlète aujourd’hui oublié avait gagné la même année la course de Paris-Bordeaux et détenait le record du monde de l’heure. La substance alors utilisée était certainement de la strychnine, puissant stimulant du système nerveux et des capacités respiratoires à petites doses. À fortes doses, ce produit a été très utilisé… pour la dératisation jusqu’en 1999. Interdit depuis, il peut provoquer la mort chez l’homme dans d’atroces convulsions.
La strychnine revient dans l’histoire en 1904, lorsque Thomas Hicks gagne le marathon des JO grâce à deux injections de 1 mg de ce produit, alors qu’il commençait à ralentir vers la fin de sa course.
Hitler lui-même reçut jusqu’à 6 injections de strychnine par jour pour l’aider à supporter le stress des bombardements de Berlin en avril 1945… entre autres ! Car son médecin, le Dr Theo Morell, personnage étrange et fort peu conventionnel, lui prescrivait quantité de stimulants en tout genre, ce qui ferait de ce recordman de l’assassinat politique, des crimes de guerre et du meurtre de masse l’un des plus grands dopés de l’histoire humaine. Comme plan marketing « pour le dopage », on a vu mieux !
Le dopage était donc entré en politique ?
Les stimulants avaient été très sérieusement étudiés par les Académies de médecine allemandes dans l’entre-deux-guerres, à des fins purement militaires.
La pervitine, appelée aussi « pilule de Göring », fut largement utilisée par les pilotes allemands pour leurs longs vols de bombardement sur l’Angleterre, mais aussi par l’armée de terre et notamment les blindés, à tel point que certains historiens ont parfois soutenu que la victoire par la « blitzkrieg » en 1940 avait été obtenue grâce à cette amphétamine.
Elle permit aux Allemands d’attaquer sans cesse, passant de très longues périodes sans sommeil. Certains historiens parlèrent d’ailleurs de la « speed-krieg ». Il faut dire, par souci de vérité, que de tels stimulants ont été utilisés des deux côtés du front !
Les amphétamines sont-elles des stupéfiants contre la fatigue ?
Elles ont plutôt un rôle puissamment masquant de la fatigue, qui semble être plus une information neurologique qu’un état d’épuisement à proprement parler. L’épuisement que l’on percevra après l’utilisation d’amphétamines sera en revanche beaucoup plus profond, et demandera un temps de récupération extrêmement long. Pour revenir au sport, il faut préciser que ces amphétamines ne furent pas utilisées seulement à des fins militaires. L’après-guerre fut la grande époque du nationalisme sportif : l’image d’un pays se redorait à travers les conquêtes. La première ascension de l’Annapurna en 1950 se fit à grand renfort d’amphétamines. La pervitine fut utilisée lors de la première ascension du Nanga Parbat (8125 m, le plus meurtrier des géants himalayens) en 1953, en solitaire, par l’Autrichien Hermann Buhl.
Ces cas ne sont pas isolés. Les amphétamines, facilement repérables par des analyses de sang, ont été utilisées dans le Tour de France encore récemment. On a parlé de l’affaire d’un trafic de « pot belge » entre 2000 et 2007.
On pense encore au drame de Tom Simpson, en juillet 1967, sur les pentes du Ventoux. Il décède d’épuisement après avoir pris plusieurs doses d’amphétamines et une bonne rasade de cognac offerte par les spectateurs. L’autopsie confirmera les fortes doses de metamphétamine et amphétamine dans son organisme.