Directeur de la création et président de BETC, Stéphane Xiberras s’inquiète du mal de notre époque, la distraction, à laquelle n’échappe pas le monde de la publicité.
Vous parlez souvent de la distraction comme d’un mal contemporain, qu’entendez-vous par là ?
Les gens parlent de choses qu’ils ont vues, lues ou expérimentées, mais qu’ils n’ont jamais vraiment approfondies. Ils n’ont vu généralement que l’épisode un, sans le milieu ni la fin, ce qui fait qu’ils ne peuvent pas l’analyser. Toutes ces informations dont on nous abreuve finissent toutes en conversations de café du commerce ! Or, la publicité n’a absolument pas conscience de ce phénomène. Nous agissons comme il y a dix ans, en imaginant que les consommateurs ont encore cette préoccupation de se demander ce qu’ils vont bien pouvoir acheter comme yaourts. Mais on sait pertinemment que depuis des années, personne n’en a plus rien à cirer de la publicité désormais noyée dans cette masse d’infos qu’on trouve dans la rue, sur nos portables, sur nos montres, dans le métro…
Nous croulerions donc sous le trop-plein d’informations ?
Oui et je ne pense pas qu’on puisse les traiter. C’est très difficile de passer de Trump, à Macron, à Évian et à Ronaldo… Je ne sais pas comment les gens font pour rester sains d’esprit. J’ai lu une étude sur le bombardement d’informations qui analysait le nombre d’éléments relayés en fonction de la taille d’une rédaction. Il se trouve que c’est une question de proportionnalité, pas une question de tri. Le traitement dans l’instantanéité, « à chaud », prime sur l’analyse. Il y a de manière générale une recherche de fidélisation d’audience. Que je sois youtubeur, blogueur, BFM, The Voice, un jeu vidéo… mon but est de fidéliser mon audience. À l’image d’une série TV, tout est fait pour rendre les consommateurs accros à un fil feuilletonné. Il n’y a que des gens qui cherchent à prendre une part de nos cerveaux pour nous fidéliser.
Imaginez si dans la vraie vie, on se baladait dans la rue et qu’il n’y avait que des gens partout qui nous sollicitaient : « Regarde ce que j’ai, c’est super ! » C’est le marché ! On est sollicité toutes les deux secondes par des marchands qui ne veulent pas seulement vendre un tapis mais un abonnement de tapis. Comment continuer à faire attention aux choses importantes ? On nous vend un tapis et en même temps, on nous parle de la politique, des attentats... Sauf qu’on n’a pas le droit de déconnecter, parce que ceux qui osent le faire passent pour des outsiders. Manquer d’attention est la norme.
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Cette critique du manque d’attention est en somme aussi celle des jeunes générations, les digital natives ?
Le manque d’attention touche toutes les générations, mais les jeunes me font rire... Parce que je suis vieux et pas abonné à Twitter, ils me parlent d’une idée sortie la semaine d’avant sur Internet en me la vendant comme la leur. Ils ne font rien d’eux-mêmes. Ils sont obsédés par l’audience qu’ils vont créer. Ils ne font pas les choses par rapport à ce qu’ils pensent approprié, mais agissent en fonction de ce que vont dire ou penser les autres. Il n’y a pas de point de vue réel mais le point de vue de son interlocuteur, c’est très ROiste [1] comme approche. Mais ce qui est intéressant, c’est que les « influenceurs » ont cette qualité d’être très concentrés pour toucher leur audience, mais bizarrement pas nous, les publicitaires ! Alors que c’est censé être notre métier…