Alimuddin Usmani : Le 10 février dernier, les unités de la DCA syrienne ont réussi à abattre un F-16 israélien avec un missile anti-aérien conçu dans les années 60. Quelle est la signification de cet incident militaire ?
Gilad Atzmon : Pour commencer, je ne sais pas grand chose à propos du type de missile anti-aérien qui a été utilisé par les Syriens. Il semble que les Israéliens soient aussi perplexes que moi à ce sujet. Mais ce que nous savons, c’est que le F-16 israélien ne se trouvait pas dans l’espace aérien syrien quand il a été abattu. Il était clairement au-dessus du territoire israélien, non loin de Haïfa. La signification de ceci est claire. La Syrie possède la capacité d’imposer une zone d’exclusion aérienne au nord d’Israël. C’est sans aucun doute un développement positif. Cela pourrait même restreindre l’agression israélienne.
D’après le ministre de l’Éducation israélien, Naftali Bennett, l’Iran est une pieuvre qu’il faut combattre par tous les moyens. Que pensez-vous de cette comparaison ?
La référence à l’Iran en tant que pieuvre est une nouvelle chose pour moi. Par le passé, je me souviens que l’image de la pieuvre était attribuée aux juifs et à leurs pouvoirs dominateurs. Je fais référence aux images de pieuvres, décorées avec l’étoile de David, qui tiennent la planète entre leurs tentacules. On peut effectivement se demander ce qui a amené le ministre Bennett à utiliser une telle métaphore. Est-ce la peur d’être encerclé et finalement écrasé par la puissance iranienne ? À moins que Bennett ne soit tout simplement en train de faire une projection en attribuant ses propres caractéristiques aux Iraniens. Je préfère laisser cette question ouverte. Mais je peux vous dire avec certitude que Bennett, en tant que juif religieux, ne mangera pas de calamar de sitôt et qu’il ne sait pas ce qu’il rate.
Ce qui est fascinant à propos des récents développements, c’est le fait que, depuis de nombreuses années, nous avons vu les politiciens israéliens promettre d’attaquer l’Iran. Nous avons vu des dirigeants juifs du monde entier faire pression en faveur d’actions militaires ou de sanctions contre l’Iran. Les faits sur le terrain sont indéniables. C’est en réalité Israël qui a l’impression d’être encerclé et Bennett a l’air de l’admettre en utilisant la métaphore de la pieuvre.
Tout récemment, une chanteuse franco-syrienne a été forcée de quitter une émission de variétés, notamment à cause d’anciens tweets qui critiquaient la position du gouvernement français en rapport avec les attentats terroristes. Quel est votre commentaire à ce sujet ?
D’après moi, on touche à la duplicité qui est au cœur du multiculturalisme et de la « diversité ». Nous aimons et nous nous soucions de l’autre pour autant qu’il cache son altérité. Nous aimons les musulmans uniquement s’ils prétendent être juifs. Je vois évidemment la diversité progressiste comme une force d’oppression anti-humaniste.
Ahed Tamimi, une jeune activiste palestinienne a été arrêtée le 19 décembre 2017 pour avoir donné des coups de pieds et des gifles à des soldats israéliens qui se stationnaient devant sa maison. Elle est toujours en prison et son procès a débuté le 13 février dernier. Quelle est votre opinion à propos de cette fille ?
Je crains que mes aptitudes linguistiques ne réussissent pas à décrire mon admiration pour cette jeune adolescente palestinienne. Comme vous le savez, je ne suis pas du tout impressionné par le mouvement de solidarité palestinien. À l’heure actuelle, beaucoup considèrent ce mouvement comme un appareil d’opposition contrôlé, dominé par les organisations juives et leurs promoteurs. (JVP, IJAN, Mondoweiss, etc.). En pratique, le discours des opprimés est façonné par les sensibilités des oppresseurs.
Cela explique qu’au lieu de parler du droit au retour, nous avons été soumis à une série de notions, d’idées, de tactiques et d’outils politiques, destinés à limiter la résistance et même à faciliter la reconnaissance de l’État juif et son droit d’existence (pour en savoir plus). Concernant Ahed Tamimi, elle représente l’exact contraire de tout ceci. Cette jeune femme est intransigeante. Elle souhaite que son pays soit libéré et je n’ai aucun doute sur le fait que ses vœux se réalisent un jour.
Dites-nous enfin quelque chose à propos de vos prochains concerts.
Je suis en route pour Barcelone. En fait, je vous écris depuis un avion. Ce soir je vais parler de mon livre Being in Time. Les gens vont probablement me poser des questions sur l’indépendance de la Catalogne, en lumière de ma théorie post-politique. Et devinez quoi ? Je n’ai rien à dire à ce sujet. Je ne comprends pas vraiment la situation catalane, de quelle manière il faut la situer à l’intérieur de ma critique de la dystopie [1] mondiale actuelle. Je ne peux qu’espérer qu’à la suite de cette discussion j’en apprenne un peu plus sur la Catalogne. Ce que j’essaie de vous dire, c’est que nombre de mes idées sont nées d’échanges intenses avec une variété de personnes, lors de mes déplacements. Ce sont les différences qui font ressortir la pensée et l’originalité. C’est quelque chose qui manque profondément à la tyrannie monolithique du politiquement correct dans laquelle nous vivons.