Roselyne Bachelot incarne ce glissement de la politique au spectacle, du sérieux au divertissement. Ce remplacement en apparence anodin consacre la mort du politique au profit du médiatique : l’animateur audiovisuel a plus de pouvoir qu’un ministre.
Femme politique professionnelle, issue d’une lignée très politique, elle a été utilisée par la droite sous plusieurs gouvernements. Les Français se souviennent d’elle lors de l’affaire des vaccins au Tamiflu, abandonnés à l’Afrique, avec un fort parfum de délit d’initiée. Heureusement pour elle, Roselyne quittera la politique avant que la politique ne lui retombe dessus. Elle ne perdra pas au change, passant d’un salaire de ministre, relativement peu élevé, à celui de chroniqueuse généraliste pour la chaîne D8, la petite vitrine de Canal+, dans une émission de femmes dirigée par Laurence Ferrari.
Il y avait la blonde, la brune, la Noire, la beurette, la mature… toutes habillées sexy, un casting fait pour allumer le chaland et réveiller le cochon, sous couvert d’information. Mais la chose ne prit pas, et Roselyne fit quand même impression, face à des chroniqueuses aussi jolies que creuses. Il est vrai que l’ex-ministre connaît bien les arcanes du pouvoir, et particulièrement les hommes. Elle en parle d’ailleurs avec beaucoup de naturel, et sans aucun complexe.
Pour résumer sa position sur le sujet, ce n’est pas elle qui ira porter plainte pour harcèlement, ou alors pour la galerie. Fausse féministe, parce que c’est l’air du temps, Roselyne est une mangeuse d’hommes, qui ne rate pas une occasion de faire un bon mot sur les choses du sexe (opposé). Une sorte de Michel Cymes au féminin, ce médecin qui a construit sa notoriété sur les blagues de carabins dans une émission médicale. Les copines de Roselyne poussent des hauts cris, mais ses sorties font le Zapping. Du moins les faisaient.
Forte de son parcours télé, elle accède au statut d’animatrice en remplaçant Brigitte Lahaie l’après-midi sur RMC. Lahaie, qu’on ne présente plus, c’est cette ancienne actrice porno qui s’est reconvertie dans le « conseil sexo », comme disent les journaux féminins. Un paravent pour placer du cul à l’antenne, prétexte médico-psychologique pour faire monter l’audience dans les heures creuses de la station. Un calcul gagnant, pour la radio qui a gagné des points sur ses concurrentes en un temps record. Grâce à sa gestion redoutable et son système de synergie : une armée de petites mains de l’info qui alimentent indifféremment le site, la radio ou la télé. Compression des coûts, économies d’échelle, vitesse de l’info… Superficialité et efficacité.
On rappelle qu’en 1981, à l’apparition de la naissance des radios libres, RMC, cette station historique, faillit disparaître. Il y a 15 ans, sous l’impulsion d’Alain Weill, un tournant populiste est décidé et appliqué, sur la base de la parole donnée à l’auditeur. Ce que les autres radios s’interdisaient de faire, ou alors avec parcimonie. L’auditeur restait celui qui, au maximum, pouvait appeler pour donner son avis sur un répondeur (version Europe 1). On ne touchait pas à la sacro-sainte antenne. Il suffisait pourtant d’en céder une partie à ses auditeurs – ce qu’on appelle le talk, encore un format américain –, pour que RMC grignote des parts de marché sur ses concurrentes, campées sur le vieux paradigme. On fonctionne avec des équipes réduites, hyper efficaces, et surtout en polyvalence, les infos tournant entre le site internet, la radio et la télé (BFMTV, créée en 2005 et devenue en moins de 10 ans la première télé d’info continue). Le système Morandini, mais élevé à un niveau industriel.
Illustration avec la réponse d’Alain Weill aux salariés de L’Express le 8 juin 2016) :
« Dans les prochaines semaines, au sein de SFR Médias, nous allons bâtir des passerelles avec vos collègues et confrères de BFM et RMC pour davantage travailler ensemble et rapprocher les équipes. »
Passerelle, co-working, convergence, synergie... la terminologie poétique moderne qui « euphémise » la contraction de personnel, c’est-à-dire l’élimination des emplois et des employés par l’oligarchie
On ne fait pas dans l’info brute à la manière de France Info, mais on concentre le tir sur la réaction à l’info, avec l’auditeur en star. Et puis, le sport prend une place prépondérante : pas moins de quatre émissions spécialisées avec, dans le désordre, les ex-sportifs Jean-Michel Larqué, Luis Fernandez et Vincent Moscato. Le sexe, un autre sport, étant dévolu à Brigitte Lahaie. Cela change des spécialistes qui n’ont jamais touché un ballon. La radio se veut d’opinion, et non d’info. Le succès met 10 ans à arriver mais il arrive.
Aujourd’hui, le groupe NextradioTV est lié au groupe Altice de Patrick Drahi, et continue sa croissance en avalant L’Express, et en coupant des têtes : un tiers de la rédaction est passé à la trappe.
Vous avez dit mal-pensante ?
En parlant de trappe, la vraie raison de l’éviction de Brigitte Lahaie ne serait pas le tournant « 100% actu » de RMC, argument avancé officiellement par la station, mais plutôt le positionnement « réac » de l’animatrice de Lahaie, L’amour et vous selon Le Figaro, qui a exhumé une interview dans Causeur en date du 12 août 2015, où l’animatrice flinguait Najat Vallaud-Belkacem et le féminisme d’État...
Morceaux choisis :
« On ne fonctionne pas tout à fait pareil. Et à vouloir que les hommes deviennent des femmes, on va à la cata ! Moi, je les entends, les mecs qui n’ont pas baisé depuis un an, deux ans, et qui me demandent presque la permission d’aller voir ailleurs, timidement. Non mais qu’est-ce que ça veut dire ? Elles épousent un homme parce qu’il a un bon profil pour être le père de leurs enfants, et ensuite ceinture ? Je veux bien qu’on abolisse la prostitution, mais alors qu’on demande aux épouses d’accomplir le devoir conjugal. »
« Moi, j’ai une tribune médiatique. Je peux prendre la défense des clients de prostituées, par exemple… Mais ce qui est dramatique, c’est que plus aucun homme ne peut se permettre de dire ce que je dis sans être immédiatement traité de machiste. Najat Vallaud-Belkacem me fait penser à un pitbull, et les féministes ne font que mettre de l’huile sur le feu dans les rapports hommes-femmes, qui n’ont pas besoin de ça. »
« Il y a un mépris terrible pour les femmes qui décident de rester au foyer. Je suis désolée, mais si une femme a envie d’élever ses trois gosses sans bosser, j’applaudis des deux mains. Je ne vois pas où est le problème. J’ai un ami gynéco-endocrinologue qui n’en peut plus de donner des interviews aux magazines féminins, parce qu’il me dit qu’ils ne veulent pas entendre ce qu’il dit. Quant à moi, je n’ai jamais eu le moindre article dans un magazine féminin, à l’exception de “Femme actuelle”. Ça montre bien que je suis Satan. »
« Et dans tous les pays du monde où l’excision – cette horreur – est pratiquée, ce sont des femmes qui mutilent les petites filles, et pas leurs pères. Ça montre bien que les femmes ne sont pas meilleures que les hommes. »
À l’inverse, Roselyne Bachelot sait adapter son discours à sa fonction et à la ligne dominante. Lorsque la chroniqueuse de D8 dévoile la photo de Sylvain Potard dans le calendrier des Dieux du Stade (le 21 septembre 2015), elle lance :
« Il vaut mieux pour maintenir le moral de ces messieurs que la photo de monsieur Potard soit floutée. C’est pas un sexe, c’est une trompe d’éléphant. »
Quatre mois plus tôt, le 12 mai 2015, elle parlait en tant qu’ex-ministre de la Santé aux questions de la rédaction d’Aufeminin :
« Nous sommes dans une société qui est extrêmement sexualisée, hypersexualisée, même. Les enfants y sont de plus en plus tôt dans les codes de la séduction et quand on voit le nombre de jeunes garçons qui ont déjà vu un porno à l’âge de 12-13 ans... Ils acquièrent une image de la sexualité qui n’est autre que l’asservissement des femmes et développent des complexes à propos de la taille de leur sexe. Il devient nécessaire de leur rappeler que tout cela est faux et de leur donner les bonnes informations. »
Conclusion : Bachelot est bien une politique, et Lahaie une authentique. Ceci explique cela.
Roselyne n’aura rien à envier à Brigitte, question sexe :
Découvrez les salaires des stars de la radio
C’est dans une enquête de plusieurs pages que le magazine VSD fait ses révélations : les plus connus des animateurs radio gagnent correctement leur vie. On apprend ainsi que Nagui, qui avait affirmé avec humour ne pas être beaucoup payé pour son émission sur France Inter, gagnerait 14 000 euros brut par mois pour La bande-originale (sans compter le travail en amont réalisé hors antenne).
Christine Bravo facturerait ainsi 1 000 euros par « prestation » dans la bande des chroniqueurs des Grosses Têtes (là où Jacques Pradel facture 800 euros par émission qu’il présente seul sur RTL). La star de RTL, Laurent Ruquier, facturerait quant à lui… 70 000 euros par mois (800 000 euros par saison). Un chiffre mirobolant à relativiser puisqu’il comprendrait la rémunération de l’animateur ainsi que celle de ses proches collaborateurs.
800 000 euros par an, c’est tout de même moins que Cauet qui coûterait près d’un million d’euros par saison à NRJ (pour lui et son équipe). Des différences qui s’expliquent par le budget des stations, la popularité des animateurs mais aussi par le nombre d’auditeurs. « À la radio, on est obligé de baisser nos prix. Notre rémunération est indexée sur l’audience » confie une source à VSD.