Pour la deuxième fois en trois ans, l’Amérique latine est confrontée à un coup d’Etat « constitutionnel » dans l’un de ses pays [1]. C’est aujourd’hui au Paraguay de goûter le retour aux affaires de la droite conservatrice par des moyens certes à première vue légaux sur le papier, mais illégitimes [2]. L’agressivité menaçante des oligarchies se déploie particulièrement là où les processus progressistes démocratiques latino-américains sont les moins structurés, et cela dans une double dimension sociale et institutionnelle [3].
Leur offensive poursuit deux objectifs principaux : d’une part, déstabiliser, au niveau national, des présidents élus menant des politiques de transformation politique et sociale (et ce, par le biais de campagnes médiatiques et de troubles sociaux et politiques pouvant aller jusqu’à un renversement « légal » lorsque les conditions le permettent) ; d’autre part, enrayer, au niveau régional, la dynamique d’intégration politique en marche, notamment depuis la création de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) en 2008 à Brasilia (Brésil), dont le siège du secrétariat général permanent est situé à Quito (Equateur), et dont la présidence pro tempore est actuellement assurée… par le Paraguay pour l’année 2011-2012.
Il est de ce point de vue significatif de noter qu’Unasur – regroupant l’ensemble des 12 pays d’Amérique du Sud dans un même « espace d’intégration et d’union culturel, social, économique et politique entre ses peuples » [4] – a été qualifiée d’initiative « chaviste » par l’un des représentants du nouveau pouvoir en place à Asuncion.
Pour les droites dures latino-américaines, il s’agit de créer, partout où elles le peuvent, un climat de déstabilisation dans la région et de tenter de diviser les pays entre eux en générant des tensions politiques et géopolitiques entre gouvernements de droite alliés des Etats-Unis (Colombie et Chili notamment), de centre-gauche (Brésil, Argentine, Pérou, Uruguay) et de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) : Antigua-et-Barbuda, Bolivie, Cuba, Equateur, La Dominique, Nicaragua, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Venezuela [5].
Y arriveront-elles cette fois-ci ? Pour le moment, rien ne permet de l’assurer, ni de l’infirmer. Une semaine diplomatique intense débute en effet en Amérique du Sud durant laquelle l’ensemble de ces acteurs va être confronté à la gestion d’une crise dont les conséquences géopolitiques concernent directement toute la région. Pour le moment, et après de premières déclarations timides des gouvernements de la Colombie et du Chili prononcées au début de la crise paraguayenne à Rio – lors de la Conférence des Nations unies « Rio+20 » sur le développement durable –, la dynamique de condamnation collective semble se consolider et s’amplifier.
Face aux enjeux de l’intégration régionale et à l’intérêt que représente cette dernière pour tous les gouvernements actuels sud-américains – y compris les plus conservateurs –, il semble que personne ne soit prêt à soutenir directement, du moins pour le moment, l’aventure de l’oligarchie paraguayenne.
Sur le plan bilatéral, de nombreux pays ont pris des mesures diplomatiques, parfois de sanction, contre cette dernière désormais au pouvoir. Ainsi, l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, l’Uruguay et le Venezuela ont retiré leur ambassadeur à Asuncion. Le président Hugo Chavez a également annoncé la suspension de la coopération pétrolière de Caracas avec le Paraguay.
De leur côté, les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay) ont décidé de « suspendre le Paraguay, de façon immédiate ( …), de son droit de participer à la 43ème réunion du Conseil du marché commun et au Sommet des présidents » qui se tiendra en Argentine le 29 juin. Dès le 24 juin, un communiqué commun du Mercosur et de ses pays associés (Bolivie, Chili, Colombie, Equateur, Pérou, Venezuela) exprimait, lui, une « énergique condamnation de la rupture de l’ordre démocratique intervenue dans la République du Paraguay » [6].
Ce faisant, l’ensemble de ces pays fait écho à la position - qu’il durcit - exprimée initialement par l’Unasur dans son communiqué officiel du 22 juin. Celui-ci désavouait le nouveau gouvernement de Federico Franco au motif que ce dernier constituait « une menace de rupture de l’ordre démocratique » [7] au Paraguay. L’actuel bénéficiaire du coup d’Etat « constitutionnel » n’est autre que l’ancien vice-président du pays dont la formation, le Parti libéral, a « lâché » l’alliance gouvernementale avec Fernando Lugo pour soutenir la manœuvre du Parti colorado.
Le président élu a pour sa part annoncé la mise en place d’un « gouvernement pour la restauration démocratique » qu’il a réuni pour la première fois le 25 juin. Qualifiant la situation de « coup d’Etat politique parlementaire », il a confirmé qu’il se rendra également, es qualité, au Sommet du Mercosur et assuré qu’en aucun cas, il n’était possible « de coopérer avec un gouvernement illégitime ».
C’est dans ce contexte que l’Organisation des Etats Américains (OEA), dont on ne peut suspecter la moindre proximité avec les gouvernements progressites latino-américains, doit se réunir le 26 juin pour statuer sur la situation au Paraguay. Par la voix du secrétaire général de sa Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), Santiago Canton, cette dernière semble prendre ses distances avec le gouvernement illégitime. Ainsi, pour Monsieur Canton, la situation au Paraguay constitue une « atteinte à l’état de droit ». Et d’ajouter : "Destituer un président en 24 heures sans qu’il puisse se défendre est une parodie de justice et une violation des droits de l’homme".
Pour sa part, le secrétaire général de l’OEA, José Miguel Insulza, considère que le droit à la défense du président Lugo a bel et bien été violé lors de l’activation du mécanisme de destitution par le Sénat : « la communauté internationale a émis des doutes fondés quant au respect (par le parlement paraguayen) des normes de la Constitution du Paraguay et des traités internationaux souscrits par ce pays qui consacrent les principes universels (…) du droit légitime » a-t-il déclaré.
Toutefois, pour Monsieur Insulza, ce point de vue ne doit pas aboutir, à cette étape, à la reconnaissance d’un coup d’Etat. Il reste en effet plus ambigüe sur son appréciation du fond de la situation. « Je préfère ne pas attribuer d’adjectif (sur le coup) (…). Il y a eu une décision du Congrès prise avec les majorités nécessaires, mais sans (que le président Fernando Lugo) n’ait pu se défendre » a-t-il précisé. Pour lui, le rôle de son organisation sera de « chercher une solution constructive » [8].
Les conclusions de l’OEA permettront en réalité de découvrir la position d’un autre acteur politique clé dans la région : les Etats-Unis. Prendront-ils acte, s’ils ne peuvent s’appuyer sur d’éventuelles divisions au sein d’Unasur, du rejet des nouvelles autorités du Paraguay par tous les pays d’Amérique du Sud ?
De même, ces derniers – notamment les pays alliés des Etats-Unis – prendront-ils, comme l’a fait le Venezuela, de réelles mesures de sanction contre le gouvernement de Federico Franco une fois écoulée cette première semaine de crise ou laisseront-ils pourrir la situation en attendant les prochaines élections prévues en avril 2013 ?
C’est tout l’enjeu d’une semaine cruciale pour le Paraguay et l’Amérique du Sud.
[1] Il y a tout juste trois ans, le 28 juin 2009, le président démocratiquement élu du Honduras, Manuel Zelaya, était destitué dans des conditions comparables.
[2] Le 22 juin, le président Fernando Lugo a été destitué par le Sénat à neuf mois de la fin de son mandat. Pour lire un compte rendu exhaustif des faits et connaître l’ensemble des réactions officielles et des mouvements sociaux, lire, en espagnol, l’article d’Antonio Martins « Sorpresa em Paraguay : es posible reverter el golpe » (http://www.outraspalavras.net/.../r...).
[3] Comme au Honduras, le mouvement progressiste au Paraguay, peu organisé socialement, est faible dans les institutions. Ces dernières sont contrôlées par l’opposition.
[4] Traité constitutif d’Unasur : http://www.unasursg.org/.../Itemid=339
[5] L’ALBA réunit des pays sud-américains, d’Amérique centrale et de la Caraïbe. Lors de son 11ème Sommet, l’ALBA a adopté le principe de l’adhésion future de trois nouveaux membres : le micro-Etat caraïbe Sainte-Lucie (anglophone), le Surinam (néerlandophone) et Haïti, ce qui porterait le nombre total de pays à 11. Sur ce sujet, lire Bernard Cassen, « L’ALBA s’élargit et monte en puissance » (http://www.medelu.org/L-ALBA-s-elar...).
[6] http://operamundi.uol.com.br/.../do... [ 7] http://www.unasursg.org/.../Acomuni... ;Itemid=346