Ancien ministre des affaires étrangères suédois (2006-2014), Carl Bildt fut avec son homologue polonais de l’époque, Radoslaw Sikorski, le grand maître d’œuvre du « partenariat oriental » lancé par l’Union européenne vis-à-vis des pays issus de l’ex-URSS, et notamment de l’Ukraine. Ferme soutien des nouvelles autorités proeuropéennes de Kiev élues au printemps 2014 après le renversement du régime prorusse, il évoque pour Le Monde l’enlisement des accords de Minsk, signés en février 2015 sous le parrainage de Paris et de Berlin, pour une solution politique du conflit avec les rebelles séparatistes prorusses qui occupent une partie du Donbass, dans l’est de l’Ukraine.
Pourquoi le processus de Minsk est-il bloqué ?
Les rebelles séparatistes continuent à mener des attaques le long de la ligne de cessez-le-feu. Il y a eu sept morts le 24 mai, le bilan le plus lourd en une seule journée depuis le début de l’année. Malgré les accords, les deux corps d’armée occupant le Donbass continuent de se renforcer, notamment en équipement, avec le soutien de Moscou. On peut donc comprendre que les autorités ukrainiennes soient sceptiques sur la possibilité de tenir des élections libres et équitables dans les zones contrôlées par les rebelles.
[...]
Où en sont les réformes ?
[...]
La sécurité est la première des conditions pour que le processus puisse aller de l’avant. Le traumatisme reste très fort dans la société ukrainienne. Ce conflit a fait quelque 10 000 morts, un nombre de victimes plus important que celui au Kosovo lors de l’intervention de l’OTAN au printemps 1999.
L’Europe doit-elle maintenir les sanctions contre la Russie ?
C’est essentiel tant que Moscou n’aura pas changé d’attitude. Leur levée est clairement conditionnée à la « pleine application » des accords de Minsk. Il n’y a aucun signe que cela puisse avoir lieu avant juin et la réunion du Conseil européen. Elles sont reconduites tous les six mois. Pour décembre, nous verrons ce qui se passe d’ici-là. On ne peut certes pas exclure que la Russie ait commencé à réellement mettre en œuvre les accords, mais pour le moment il n’y a aucun signe en ce sens. La levée des sanctions si les conditions ne sont pas remplies priverait l’UE et les États-Unis d’un levier sur le Kremlin. En outre, une telle décision entraînerait une continuation du conflit avec l’alternance de phases de haute et de basse intensité.
[...]
La Russie sait profiter des occasions qui s’offrent à elle. D’où l’importance de mesures concrètes pour contenir cette imprévisibilité, comme le déploiement, dans un but de dissuasion, de forces conventionnelles de l’OTAN dans les pays de l’Alliance qui sont le plus proches [de la Russie]. Il n’y aura pas de fait accompli russe aux dépens d’un membre de l’OTAN si Moscou comprend que ce sera difficile et que le coût économique, politique et diplomatique en sera très élevé.