Comme l’explique un des reportages que nous diffusons, le camping a pris en France dans les années 60 comme une traînée de poudre. Des millions de Français sont devenus en un temps record des adeptes de la tente, de la caravane ou du mobile-home, même si cette dernière version rapproche plus le vacancier du sédentaire que du nomade.
À l’origine, le camping était un retour à la nature, au sauvage, un éloignement de la ville, de la foule et du stress. Aujourd’hui, le secteur s’est industrialisé et le camping est devenu une pratique de masse de sédentaires grégaires, soit l’exact inverse du projet originel. Nous ne jetons pas la pierre aux Français qui triment 11 mois par an pour se reposer un mois, mais il nous semble que le désir de liberté exprimé dans ces reportages pourrait être satisfait autrement que par cet esprit concentrationnaire à la fois géographique et temporel.
« Johnny, il est passé à côté de nous » (Jean-Claude, 46 ans de camping à Saint-Tropez)
Le premier reportage est le fruit d’un travail paresseux de France 2 intitulé « Saint-Trop’ au camping ». On y découvre tous les clichés du genre, et le moins qu’on puisse dire, c’est que devant ou derrière la caméra, ce n’est pas très reluisant. On ne respire pas le bonheur, ou alors le bonheur idiot de ne rien faire, de changer juste de décor pour « se vider la tête », se changer les idées, des idées qui semblent d’ailleurs étrangement absentes.
« Une semaine de vacances, voilà, se vider la tête »
(à vos risques et périls)
Élisa : « J’adore ce côté fête, on peut être qui on veut en fait à Saint-Tropez »
On peut admirer Kim et Élisa, une « chanteuse » et une « vidéaste » – le premier qui tousse est un jaloux sexiste – qui viennent chercher à Saint-Tropez, ce temple de la Marchandise au bord de l’eau, un peu plus que leur quotidien, une sorte de transcendance, même si elles ignorent le mot. La brune et la blonde admirent les riches qui font la fête (ils bougent maladroitement et boivent tout le temps) sur les ponts de bateaux rutilants.
Élisa, devant un yacht : « J’crois, en fait, c’que j’préfère, c’est la descente de marches, elle est trop belle ! »
- Kim au cameraman : « Vous pouvez pas négocier un truc pour qu’on monte ? »
Moins matérialiste, plus philosophe, Patrice, surnommé « le roi du camping », exprime une certaine souffrance :
« Vous savez, c’est pas marrant, ici c’est le paradis, on va dire c’est le paradis quoi, vous galérez pendant onze mois et puis euh, le douzième mois vous vous éclatez, c’est vrai que ça passe tellement vite... »
Le nœud du problème est là : 11 mois de contraintes pour 1 mois de liberté, cela ressemble à de la prison, à une petite conditionnelle pour ne pas craquer. Alors, pourquoi ne pas inverser ou au moins changer le rapport contraintes/liberté ? Certes, vivre libre demande du courage (et de la souffrance), mais cette souffrance a un sens, c’est pourquoi elle est acceptable.
Le second reportage, avec un sifflement permanent en guise de bande-son, est plus terre-à-terre encore. Le camping, ce village idéal pour beaucoup, une fois qu’on y pénètre, n’est plus si joli. Les deux dragueurs en herbe qui rameutent des filles sur la plage pour le concours de Miss camping le comprennent peu à peu. Leur innocence en fait des rabatteurs pour commerçants.
Nous n’allons pas verser dans le racisme social à la manière des Deschiens de François Morel sur Canal+, ces Français à l’accent picard ravalés au rang de bêtes, mais nous ne pouvons ignorer que le divertissement, et son industrie, sont là pour neutraliser ou contenir toute élévation de conscience personnelle ou sociale.
D’autres Français partent à la campagne ou à la montagne (l’endroit qui fait mal aux jambes et qui du coup est racaillefrei) pour se ressourcer, loin des grappes humaines paradoxalement reconstituées sur la Côte. Ils retrouvent en petits comités un brin de relation avec mère Nature, et reconstituent ce lien qui les relie aux forces cosmiques, que les croyants appellent Dieu.
- Créature du paradis terrestre
Si les habitants du camping de Saint-Tropez rêvent de rapports humains pacifiés dans un environnement idyllique sans travail ni stress (leur définition du « paradis »), ce qui est humainement compréhensible, il n’est pas sûr que Dieu habite quelque part dans ce village Potemkine reconstitué un mois par an. Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.