Les parents Deligny aimeraient que leurs enfants puissent vivre des expériences de collectivités, de départ seuls afin de découvrir et de vivre autre chose que la cellule familiale. Ils ne savent pas vraiment dire ce que cela pourrait apporter à leurs enfants, mais ils savent, que pour eux-mêmes, l’expérience de la colonie de vacances a été un enrichissement.
Cette famille a trois enfants : Gabriel (12 ans) timide et réservé, Adèle (10 ans) qui a un diabète et Émilie (8 ans), elle est trisomique. La « famille Deligny » est une forme d’écriture permettant de cristalliser et d’illustrer des situations complexes rencontrées à plusieurs reprises, séparément, dans le cadre de mon activité professionnelle.
- Des enfants courent le 25 juillet 1956 dans le centre aéré des écoles de la ville de Paris installé dans le Bois de Boulogne
La mixité sociale n’existe pas
Gabriel, le plus grand, veut bien partir mais avec son meilleur ami Adam. Adam habite à côté de chez eux, dans la partie du quartier en politique de la ville. La famille d’Adam n’a pas les moyens de payer un séjour à plein tarif (entre 600 et 1 000€ les 8 jours). La mère de Gabriel a bien essayé de les inscrire par son Comité d’entreprise, mais, pour cela, il aurait fallu que les parents d’Adam travaillent dans cette entreprise. Adam pourrait partir dans une des colonies organisées par la ville ou dans le séjour financé par l’opération Ville Vie Vacances (VVV). Mais Adam et Gabriel ne sont pas intéressés par les activités proposées autour du foot, ni par des vacances avec les jeunes du quartier, ni par des vacances à la montagne…
Adèle, la cadette, voudrait partir en colonie. Sa mère est d’accord mais elle aimerait être rassurée sur la prise en charge du diabète de sa fille. Elle aimerait aussi qu’Émilie, la benjamine, puisse partir avec sa sœur. À deux, elles se rassurent et sont « plus fortes » dit-elle. Les organisateurs des colonies du CE n’y sont pas favorables. Le directeur explique ne pas avoir le personnel adéquat, qu’il faudrait qu’elle se rapproche de la Maison Départementale de la Personne Handicapée (MDPH) pour obtenir le financement d’un personnel. La maman s’est rapprochée des organisateurs de séjours sanitaires pour Adèle, mais Émilie ne pourrait pas partir avec elle : elle n’a pas de diabète. Même discours chez les organisateurs de vacances adaptées, Adèle n’étant ni déficiente, ni handicapée, elle ne peut intégrer ce type de colonie.
Ces situations témoignent des difficultés actuelles des colonies de vacances qui sont, en partie, liées à une question financière, mais aussi à l’organisation même de ce que les colos sont dans leur forme présente. Dans le cadre du dispositif #GenerationCampColo [1], le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a financé une évaluation réalisée par notre équipe de chercheurs pluridisciplinaires, portant sur l’innovation, la qualité et la mixité sociale dans les séjours. L’évaluation montre que les enfants sont séparés, les groupes sociaux sont séparés, la mixité sociale n’existe pas. Elle met en lumière ce qu’illustrent les situations de Gabriel, Adam, Adèle et Émilie : ils ne peuvent pas partir ensemble.
Les colos sont devenues aussi un marché
Les colonies de vacances n’ont pas résisté à la dynamique de marchandisation généralisée dans notre société. Elles sont devenues un produit et les principaux organisateurs de séjours ont tous, ou presque, (associations, fédérations, entreprises) basculé vers la segmentation commerciale de leurs publics, les catalogues, les sites internet de e-commerce, un management centré sur la vente, les campagnes de communication. Au final, on sépare les enfants, les jeunes en organisant des séjours différents : pour riches à forte valeur ajoutée et pour pauvres appelées pudiquement « colo traditionnelles ». Les premiers se déroulent plutôt dans des bâtiments aux normes hôtelières, contrairement aux seconds. On trouve des thèmes visant plutôt à séduire les garçons (ex : foot, sports mécaniques) et d’autres les filles (ex : danse, couture) ; des thèmes pour riches (ex : golf) et d’autres pour pauvres (ex : multi-activités).
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Pour ceux qui n’ont jamais connu la colo, ce reportage « en immersion » du 20 Heures de France 2 :
Après la raison économique, désormais primordiale, l’autre raison pour laquelle les parents rechignent à placer leurs enfants dans une colo c’est tout simplement la sécurité... Une crainte renforcée par la médiatisation des accidents sur les lieux de vacances. Il y a 50 ans, une noyade ne faisait pas le tour de la Toile, qui n’existait d’ailleurs pas. Il y avait des accidents, mais ils étaient circonscrits dans le cercle familial, voire local.
Aujourd’hui, une noyade fait le tour de France, et parfois, du monde. L’accident est surmultiplié, prenant une importance qui le dépasse. La multiplication des faits divers concernant les colonies de vacances a créé un halo de peur irrationnel autour de cette activité, largement inoffensive du point de vue statistique. La séparation du milieu familial faisant le reste : la colo, c’est l’apprentissage de l’autre, de la société, de l’inconnu, de la peur... sans la protection des parents.
Et curieusement, l’enfant qui part en colo est logiquement moins aimé et protégé que dans sa famille, mais il revient plus fort.
L’amateurisme de certains moniteurs a été mis parfois en cause, et les défauts d’organisation de certaines colonies, la plupart « pauvres ». Il y a moins d’encadrement, budget oblige. Les règles en la matière sont les suivantes : 2 adultes minimum quelque soit la taille du groupe et l’âge des enfants, 1 animateur pour 8 enfants de moins de 6 ans, 1 animateur pour 12 enfants de 6 ans et plus.
De l’autre côté de la barrière sociale, on dispose de deux accompagnateurs par groupe de 10 enfants (exemple chez Telligo, spécialisée dans la colonie thématique), avec des activités très attractives à la clé. La fracture vacancière, ça existe.
Plus globalement, la mobilité professionnelle induite par le libéralisme, la diminution des postes en CDI, ont détaché les Français de l’entreprise unique, celle qui protégeait ses employés de l’embauche à la retraite. Il faut être aujourdhui chez EDF ou à la SNCF pour pouvoir profiter de tarifs avantageux proposés par leurs puissants comités d’entreprise. Dans les PME et TPE, ces avantages n’existent pas.
Pour ne rien arranger, dans le paysage politique de notre pays, la réduction du communisme et du catholicisme social – évolution due à l’évolution naturelle de la population vers plus d’individualisme ou tournant imposé par l’oligarchie en place – ont retiré à beaucoup d’enfants pauvres la possibilité de partir en colo à moindre frais, voire gratuitement.
Il y a 50 ans, Pierre Perret faisait un tabac avec ses jolies colonies de vacances :