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Réparer la Terre : Alizée à Roland-Garros ou la Dernière Rénovation avant liquidation

Un article d’Hacène Arezki

Réparer la Terre : Alizée à Roland-Garros
ou la Dernière Rénovation avant liquidation

Un article d’Hacène Arezki en exclusivité pour le site E&R

 

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Vendredi 3 juin, une jeune femme a interrompu l’une des demi-finales de Roland-Garros en sautant sur le court, puis en s’enchaînant au filet, afin de porter aux yeux du plus grand nombre sa revendication : sauver le climat, sauver l’humanité. Et comme c’est un vaste programme, un angle d’approche est préférable : il faut faire de la rénovation thermique des bâtiments. Il faut savoir être pragmatique ! Une idée originale, qui n’est pas tout à fait la sienne. Car comme on peut s’y attendre, la jeune Alizée est là où on l’a mise, un parfait exemple de l’air du temps.

 

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Ceci n’est pas le trentième jour
d’une grève de la faim

 

Alizée a 22 ans. Elle est donc née en 2000, l’année du tube Moi… Lolita, d’une certaine Alizée. Sans qu’elle y soit évidemment pour quoi que ce soit, elle faisait son entrée dans le monde en accompagnant et en illustrant malgré elle la mode, l’air du temps, les grands courant qui traversent la société et les individus sans que ceux-ci n’en aient toujours conscience.

 

 

Les prénoms sont comme les températures moyennes mensuelles ou annuelles, ils connaissent des cycles.
La reconstitution de la température (au moment de la formation de la neige) au forage GISP 2, sur la calotte groenlandaise durant l’Holocène (notre interglaciaire). Pour l’évolution la plus récente, tracez un trait jusqu’au niveau du précédent pic, l’optimum médiéval :

 

L’évolution thermique de la calotte glaciaire du Groenland (en bleu) de 1840 à 2007 :

 

Revenons à Alizée, qui porte le nom d’un vent maritime des régions intertropicales – ce qui ne l’empêche pas de redouter la chaleur. Elle s’explique succinctement au micro de Brut.

 

 

On apprend donc qu’Alizée n’est pas seule, mais fait partie d’un collectif : Dernière Rénovation. Vous ne connaissez pas ? C’est normal, nous non plus ; apparemment, ça vient de sortir. Cette petite vidéo nous apprend un certain nombre de choses.

Alizée pense que la fin est proche si nous ne faisons rien. Mais, quelle chance !, il nous reste encore trois ans pour infléchir la trajectoire fatale que nous avons collectivement prise. Ce sont les sciences sociales qui le disent, explique-t-elle. On imagine bien qu’Alizée ne se destine pas à l’étude de la physique atmosphérique à l’université Pierre et Marie Curie ; elle serait plutôt en sociologie à Censier, ou quelque chose d’approchant. C’est la signification de son slogan, celui qu’elle porte sur son tee-shirt : « We have 1028 days left » : il nous reste 1028 jours, sous-entendu pour faire quelque chose, si possible de décisif. Et en anglais, parce qu’il faut aussi être être compris à l’étranger. Pardon, « étranger » étant devenu un gros mot, il faut dire que le message doit retentir à l’international. Quand on a pas fait socio, on sait que ça ne colle pas. En multipliant 365 par 3, ça ne peut pas finir par un 8. Diantre ! c’est trois ans à partir du lancement de leur campagne. Comme le temps passe… écrivait un auteur qu’Alizée ne lira pas.

En plus, une meilleure isolation, c’est moins de dépendance envers le gaz russe. Compte tenu de ce qu’il se passe en Ukraine, c’est hyper important, en fait.

Les grands mots sont lâchés : Alizée et ses amis sont en guerre contre ceux qui ont le pouvoir de faire et ne font rien : « Aujourd’hui, on doit aller contre un gouvernement, on doit perturber, en fait. » Pour perturber et ainsi agir efficacement contre le gouvernement, il va falloir se rapprocher des centres de pouvoir, et au préalable les identifier. Autre chose que de perturber à la marge un match de tennis, fût-il joué à Roland-Garros. Et pour cela, pour cette « résistance civile » de haut vol, Alizée a « été préparée à ça ».

Forte de sa nouvelle notoriété, Alizée est passée chez Hanouna. Le choix idéal pour gagner en crédibilité. Elle n’était pas seule, encadrée par une certaine Sasha, qui visiblement est à un échelon supérieur dans l’organigramme de leur association militante.

 

 

Nous sommes bien dans l’émission TPMP : indigence du propos, clash pour le spectacle. Nous en apprenons un peu plus : les trois ans pour agir ont commencé à la fin d’un ultimatum lancé au gouvernement, qui n’a bien évidemment pas réagi, lançant ainsi le compte à rebours. Dans une vidéo, Sasha, prenant la pose devant le palais de l’Élysée, fait mine de s’adresser aux puissants.

 

@derniererenovation.fr Hier marquait le dernier jour de notre ultimatum adressé au Président de la République. Il est désormais de notre devoir d’intervenir. #ultimatum #derniererenovation ♬ son original - derniererenovation.fr

« Si le gouvernement français ne se montre pas en capacité de répondre à notre demande d’ici au 28 mars 2022, soit aujourd’hui, il sera de notre devoir d’entrer en résistance civile. »

Ça ne leur laissait pas beaucoup de temps pour se retourner, mais de toute façon, c’était couru d’avance. On sent la maîtrise du sujet, condition pour être prise au sérieux par ceux auxquels on s’adresse… C’est une anti-phrase, bien sûr. En fait, Sasha et ceux qui sont derrière elle s’adressent au grand public, surtout aux plus jeunes d’entre eux. Et si on veut être un peu grinçant, on ajoutera : surtout ceux qui sont encore dépendants matériellement de leurs parents, mais avec leurs propres idées, c’est-à-dire celles des médias qui leur sont destinés et qu’ils font leurs.

Revenons à TPMP pour le final, afin d’apprendre que leur ultimatum est « scientifiquement fondé ». Car si la Terre s’est déjà réchauffée d’1,5 °C depuis l’ère préindustrielle, il ne faut pas atteindre les 2 °C, car là ce n’est plus maîtrisable. Et il y a trois ans, mais oui, entre nos 1,5 °C (la doxa parle plutôt d’1,2 °C, mais on ne va pas chipoter pour des décimales, même si c’est l’unité de mesure du phénomène « observé ») et les 2 °C qui font peur à ces demoiselles. Après, c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres, car des points de bascule seront atteints. Fondement scientifique nul, mais impact sur les esprits assurés. Les fameux tipping points des propagandistes anglophones, qui entraîneront un véritable dérèglement du climat (n’est-ce pas censé être le cas déjà ?), nous faisant entrer dans un autre monde, avec un milliard d’êtres humains sur les routes à cause des conséquences funestes de notre inaction.

C’est le moment où jamais à cause des points de bascule. Voilà qui nous rappelle un ouvrage paru en français sous le titre Points de rupture en 2008, deux ans plus tôt en anglais, dans lequel l’auteur Fred Pearce écrit :

Si j’ai choisi d’intituler cet ouvrage L’Ultime Génération en anglais, ce n’est pas parce que l’espèce humaine est en danger d’extinction, mais parce que, selon toute probabilité, nous sommes la dernière génération qui puisse compter dans la conduite de ses affaires sur un climat à peu près stable à l’échelle planétaire. James Hansen ne nous donne qu’une décennie à peine pour changer nos manières de faire.

Bon, d’après ce qu’en disait Hansen, c’est trop tard, six ans ayant passé après cet ultimatum-là. C’est aussi trop tard, encore plus, d’après Teddy Goldsmith [1] et ses coauteurs, quand ils affirmaient qu’il ne restait plus que 5 000 jours pour sauver la planète, et ce en… 1990. Là, on a dépassé la date de péremption depuis presque vingt ans.

 

 

La notion de « point de bascule » est intéressante, puisqu’en réalité c’est l’angle d’attaque de ce collectif. On parle de « points de basculement sociologique » dans la lutte contre le réchauffement anthropique : un petit changement de comportement peut avoir des conséquences importantes à une échelle supérieure. D’où la multiplication des actions du collectif d’Alizée et Sasha, afin de toucher un maximum de gens, avec un effet boule de neige attendu.

Alizée et ses amis bloquent le périphérique parisien afin de se faire connaître :

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Vêtements chauds, gants : la neige à Paris le 1er avril, c’est aussi ça, le dérèglement climatique…

 

Le 11 juin, le collectif tente de susciter la sympathie à sa manière en bloquant une nouvelle fois la circulation, avec des militants de base à leur place, le cul par terre et la main collée sur la route (par chance, personne de vraiment énervé n’a tenté de les déloger de force), tandis que Sasha, qui enverra Alizée au casse-pipe (quarante heures derrière les barreaux, pour commencer), est debout pour communiquer avec les journalistes.

« Le but, c’est pas d’embêter la population. »

 

On a quand même l’impression d’avoir affaire à une bande bras cassés, pas très doués, mais faisant malgré tout efficacement parler d’eux. Pour une association qui n’était pas connue il y a peu, l’entrée dans l’arène médiatique est plutôt réussie, même si l’on a l’impression que dans le combat des idées, ce n’est pas encore ça. La faible expérience d’un collectif tout nouveau donc sans gros moyens ? En creusant un peu, on se rend compte que ces jeunes idéalistes qui veulent combattre le Système sont plutôt aidés par lui et ne sont pas franchement dans l’indigence matérielle, avec des militants qui y mettraient de leur poche pour faire avancer la cause. Qu’on en juge.

Dernière Rénovation a été crée par des membre d’Extinction Rebellion, qui s’en sont éloignés probablement de manière concertée. Rappelons de suite ce que nous écrivions sur ce collectif à peine plus ancien :

On peut dire la même chose d’XR, Extinction Rebellion, la nouvelle association devenue très influente en à peine une année. Son cofondateur, Roger Hallam, est un professionnel du militantisme, lié, via l’Open Democracy, à l’Open Society de George Soros, mais aussi à la Fondation Ford et aux Rockefeller. Farhana Yamin, qui fait elle aussi partie de l’aventure, est membre de la Chatham House, think tank financé, notamment, par Shell, BP, Exxon… ! Bref, tout ce petit monde milite d’arrache-pied pour que l’accord de Paris sur le climat soit respecté et que d’importants investissements soient effectués dans l’économie verte (« New Deal pour la Nature »), où il y a beaucoup d’argent à faire, en espérant sauver l’économie d’une crise que de plus en plus de gens voient venir.

Dernière Rénovation est une véritable armée mexicaine : une centaine de militants de terrain, se collant la main sur la route ou interrompant un match de tennis, pour cinquante membres dans sa coordination. Dont Sasha, 22 ans, employée à plein temps. Le sont-ils tous ?

Difficile de savoir où ces militants professionnels se réunissent, mais en cherchant un peu, on trouve une adresse où envoyer un CV, car ils embauchent ; une adresse qui n’est pas inconnue des habitants du IVe arrondissement de Paris : l’ancienne mairie, rien de moins.

 

 

En 2020, les quatre premiers arrondissements parisiens se réunissent en une nouvelle entité : Paris Centre. La mairie du IIIe arrondissement devient la mairie du secteur, tandis que celle du IVe héberge l’Académie du climat, créée en septembre 2021. Un lieu pour l’écologie bobo, où l’on peut se retrouver entre gens contents de soi, accueillir des groupes scolaires, et même des étudiants, apprendre à faire un sac à dos en carton pour les jours de pluie, voir des expos d’art – car il n’y a pas que le vrai et le bien, il y a le beau aussi –, faire des tables rondes sur l’écoféminisme. Sans oublier la buvette écoresponsable, car l’écologisme, c’est la convivialité ; la possibilité pour les sorcières des potagers urbains de rencontrer des hommes déconstruits…

 

 

Le lien entre Académie du climat et Dernière Rénovation n’est pas très clair, mais il existe manifestement. Les deux sont des créations récentes, tout comme le Réseau A22, dont fait partie le collectif d’Alizée et Sasha. Créé en avril 2022, ce réseau regroupe neuf associations dans neuf pays (Allemagne, Australie, Canada, États-Unis, Italie, Norvège, Royaume-Uni, Suisse), se coordonnant pour porter chacun une revendication spécifique auprès du grand-public et des politiques.

Bref, une coordination internationale, des moyens importants malgré la création récente de ces collectifs, apportés directement par le Système censé être combattu. Dernière Rénovation entre ainsi en guerre contre le gouvernement, sur la base du discours porté par le GIEC, soit le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dont les membres sont nommés par les gouvernements, et dont la version finale de ses différents rapports ne sort qu’après approbation de ces gouvernements ; et ce avec l’argent fourni par ceux qui devraient être leur cible, comme la Mairie de Paris avec l’Académie du climat.

Voilà qui ne manque pas de nous rappeler la petite Greta Thunberg, instrument de ceux qu’elle pense combattre, qui morigénait les grands de ce monde en 2019 au Forum économique mondial, à Davos, qui la remerciaient secrètement de les « forcer » à aller dans la direction choisie par eux. On notera que le retour de Greta s’est fait en train en compagnie de Jennifer Morgan, de Greenpeace, qui elle, pendant que les projecteurs étaient sur Greta, participait aux discrètes discussions sur le « New Deal pour la Nature » : les investissements massifs dans l’économie verte.

 

 

Le gouvernement vous remercie, Alizée et Sasha.

 

 

 

Bonus : Qu’est-ce qu’un expert ?

Sasha et ses amis, qui sont surtout des amies, ont une tendance naturelle (la culture est une seconde nature, nous dit Pascal) à tirer une tronche de six pieds de long.

 

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Ça doit être la faute du patriarcat…

 

Cette courte fable, contée de manière truculente, fera peut-être naître un sourire sur leur jeune visage (à défaut de leur faire prendre conscience de certaines choses) :

 

 

 

Hacène Arezki

 


 

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Notes

[1] Edward, dit Teddy, Goldsmith est un Britannique né à Paris en 1928 (décédé en 2009) d’un père juif allemand et d’une mère française (son prénom de naissance est d’ailleurs Édouard). Il est une figure importante de l’écologisme au XXe siècle, notamment fondateur de la célèbre revue The Ecologist et de sa version française L’Écologiste.

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