Selon un rapport de la Commission fédérale pour les questions de migration (CFM) datant de 2010, la présence de personnes sans autorisation de séjour sur le territoire suisse n’a cessé de gagner en importance depuis les années 1980. Leur estimation est difficile à chiffrer et leur nombre se situerait entre 70’000 et 300’000 personnes. Le quartier des Pâquis qui concentre une forte population immigrée est un quartier connu pour ses restaurants exotiques, sa prostitution de rue et ses vendeurs de drogue qui agissent quasiment en totale impunité. Le soir du 22 octobre, nous y avons rencontré une personne en situation irrégulière à Genève qui a accepté de témoigner et de nous raconter son parcours tumultueux.
De Dakar à Genève
Raymond, la trentaine bien entamée, est originaire du Sénégal. Il a vécu toute son enfance dans un quartier populaire de Dakar au nom évocateur de « Gueule Tapée ». Sa présence sur le sol genevois date du début de l’année 2013. « Chez nous tous les jeunes rêvent de partir en Europe. Dès que l’occasion se présente, peu d’entre nous refusent le voyage », confie celui qui est parti un jour de mai 2012 en pensant accéder à un niveau de vie supérieur à ce qu’il avait connu jusqu’à présent. Commence alors un long périple en bus à travers le Mali, le Niger et la Libye. Très vite, il trouve le moyen d’embarquer sur une embarcation de fortune en direction de l’île italienne de Lampedusa. La traversée n’était pas agréable mais il estime avoir eu de la chance, surtout quand il prend connaissance de l’actualité récente et du sort tragique de centaines de réfugiés qui ont bravé la mer comme lui. Pris en charge par les garde-côtes italiens, il est emmené dans le camp saturé de la petite île d’une superficie de 20,2 km2. Très rapidement, il est transféré sur le continent dans le camp de réfugié de Manduria, situé dans les Pouilles. Après un long séjour dans ce camp, il reçoit la possibilité de faire une demande d’asile en Italie ou bien de prendre le train en direction du nord de l’Europe. « J’ai choisi de prendre la direction de la Suisse et de Genève en particulier car on y parle le français. J’ai entendu que la Suisse était un pays prospère. », explique Raymond.
Situation précaire
Il n’a pas déposé de demande d’asile auprès des autorités car il redoutait une décision négative comme c’est le cas pour nombre de ses compatriotes. Comment parvient-il à assurer sa subsistance ? Il loge chez un ami avec plusieurs clandestins dans un petit appartement et travaille sur appel dans un restaurant du quartier des Pâquis. « Les conditions de vie sont difficiles, je pensais qu’il y avait du travail en Europe mais je parviens tout juste à survivre et je ne peux même pas envoyer de l’argent à ma famille qui avait placé un grand espoir sur mon départ. Je déconseille à mes compatriotes de tenter le voyage, le jeu n’en vaut pas la chandelle », poursuit le trentenaire. Il confie avoir des problèmes de santé, notamment des problèmes rénaux mais ne s’est jamais rendu à l’hôpital par peur d’être découvert.
Retour au pays
Désormais, Raymond songe de plus en plus au retour au pays. Sa famille lui manque et il n’en peut plus de devoir raser les murs et d’avoir des montées d’adrénaline à chaque fois qu’il croise une patrouille de police. « Il faut que les Africains prennent leur destin en main et cessent de croire à l’Eldorado européen, il y a tant à bâtir en Afrique », explique le jeune homme qui a pris conscience de la nécessité d’agir en visionnant une vidéo du polémiste panafricain Kemi Seba.i En attendant de réunir les ressources nécessaires à son retour, Raymond disparaît dans la foule anonyme des Pâquis en rêvant de jours meilleurs.
Alimuddin Usmani, le 25 octobre 2013