Nombre de commentateurs souvent proches de certains milieux d’extrême droite européens ou néoconservateurs américains mettent en avant comme faiblesse fatale pour la Russie le fait que le pays devrait rapidement devenir un État majoritairement musulman. Sa population comprendrait déjà de 13 % à 15 % de musulmans (soit 19 à 22 millions de personnes) et ce nombre devrait rapidement grossir puisque, toujours selon ces experts américains principalement, les femmes du Caucase musulman auraient 10 enfants !
Pour d’autres analystes journalistiques, la Russie comprendrait 30 à 40 millions de musulmans, soit jusqu’à 25 % de la population de Russie, condamnant de façon irréversible le pays à devenir un califat. Pour eux, à l’horizon 2050, la Russie devrait se transformer en une sorte de Russabia, pendant russe de l’Eurabia de l’Ouest du continent.
Ces théories se sont brusquement développées lorsque durant les 2 ou3 dernières années sont apparues des vidéos sur les prières de rue de la communauté musulmane à Moscou qui, selon certains sites laïcistes, « submergeraient Moscou » comme Paris ou d’autres villes d’Europe.
En réalité il n’en est rien.
Ces prières ont lieu une fois par an dans la capitale de Russie et contrairement à la situation dans d’autres pays européens, elles sont organisées volontairement « par » les autorités municipales russes « pour » les croyants musulmans. La capitale de Russie comprend en effet quatre mosquées pour les quelques deux millions de musulmans que la ville connaît et dont la grande majorité sont issus d’Asie centrale mais travaillent dans la capitale. Il faut noter que les musulmans ne sont pas les seuls à être « mal logés » puisque selon Alexandre Boroda de la Fédération des juifs de Russie, 500 000 juifs vivraient à Moscou alors que la ville ne comprendrait actuellement que quatre synagogues.
D’un point de vue des évolutions démographiques internes à la fédération de Russie, force est de constater que les chiffres et les faits vont aussi pour l’instant à l’encontre de ces prévisions catastrophistes.
Le recensement de 2002 annonçait le chiffre de 14,64 millions de musulmans en Russie, soit un peu moins de 10 % de la population du pays à cette époque. Selon une analyse du Pew Research Center, un think tank américain spécialisé sur les questions démographiques et sociales, on serait arrivé à 16,4 millions en 2010. Toujours selon ce think tank, en 2030 on devrait arriver à 18,6 millions de musulmans en Russie (sur une population de probablement 150 millions soit 12 % de la population totale du pays) mais cela seulement si leur progression se maintient à 0,6 % par an, selon Didier Chaudet. La population musulmane passerait donc de 9 % de la totalité de la population du pays en 2002 à autour de 12 % en 2030.
Qu’en est-il des chiffres dont on dispose ?
Le district du Caucase du Nord, qui représente 6,7 % de la population de Russie n’a « produit » (en 2013) « que » 8,7 % des naissances du pays, incluant les minorités russes présentes dans cette région. Les trois républiques les « moins russes » du grand Caucase Nord que sont la Tchétchénie, le Daghestan et l’Ingouchie (qui comprennent à elles trois moins de 3 % de Russes ethniques) ont connu à elles trois 98 801 naissances en 2013 (contre 99 909 en 2012 soit une baisse de 1,7 %) c’est à dire 5,5 % des naissances de toute la fédération de Russie, un taux presque identique à celui de 2006 comme on peut le constater ici.
L’ensemble de toutes les républiques musulmanes de Russie, du Caucase (Tchétchénie, Daguestan, Ingouchie, Adygué, Kabardino-Balkarie et Karatchaïévo-Tcherkessie) ainsi que de la Volga (Tatarstan et Bachokorstan) ont connu cette année 286 402 naissances pour 14 443 611 millions d’habitants, soit un total de 15 % du total des naissances du pays pour 13,2 % de la population de la fédération de Russie.
Il ne faut cependant pas oublier que nombre de ces républiques « musulmanes » ont en outre de fortes minorités russes (36 % au Bachokorstan, 33 % en Karatchaïévo-Tcherkessie, 30 % au Tatarstan, 25 % en Kabardino-Balkarie) voire une majorité russe comme c’est le cas en Adygué avec 63 % de russes.
Bien sûr, nombre de citoyens de ces républiques sont à Moscou et aussi de façon moindre à Saint-Pétersbourg, ce qui contrebalance un peu la tendance. Mais en même temps ce ne sont pas les minorités tatares ou caucasiennes moscovites (russifiées et urbanisées) qui ont dans leur intérêt de bâtir un nouveau califat ou de faire sécession, bien au contraire.
En effet, selon une étude de Gallup de 2007, 49 % des Russes musulmans ne prieraient jamais (66 % pour les jeunes générations), 46 % ne sauraient pas prononcer la profession de foi musulmane, 50 % boiraient de l’alcool et 27 % mangeraient du porc. Nulle surprise dés lors que selon les derniers sondages de 2013 « seulement » 7 % de la population se déclare musulmane (contre 4 % en 2002 et 6 % en 2007) pendant que 68% des sondés se déclarent, eux, orthodoxes, contre 50 % en 2002.
Ce retour en religion des Russiens et des habitants de la Russie est sans doute l’une des principales raisons du renouveau démographique russe et de la hausse du nombre de naissances ces dernières années, avec la forte propagande d’État entamée en 2005 et évidemment la hausse continue de l’amélioration des conditions de vie, qui incluent l’obtention des primes à la naissance.
Par conséquent et à ce jour, une Russabia ne se profile vraisemblablement pas d’un point de vue démographique interne et sans une potentielle immigration extra-russienne soutenue, comme cela pourrait cependant être le cas en provenance d’Asie centrale, comme abordé ici et là.