Le Mur est mort, vive Le Mur !
Son nouveau spectacle, Asu Zoa, est en subtilité. Avec une culpabilité feinte, Dieudonné nous livre par petites touches son message : même s’il nous affirme que son spectacle « entre strictement dans le cadre de la liberté d’expression », on comprend bien vite que la verve de « l’ex-humoriste », selon la formule de France Inter, reste intacte.
Et c’est autour d’un sobre mur en ruine que Dieudonné évolue pendant une heure trente. Les thèmes sont divers. S’il y a bien les piques en direction de la classe politique, notamment la bien-pensante gauche auto-proclamée, Dieudonné aborde des sujets aussi variés que le millénarisme ou l’adoption pour tous.
Le dialogue entre un fabricant de bébés installé en Afrique et un couple d’acheteurs laissera des traces au même titre que les dessins de Claire Bretécher dans les années quatre-vingt. Le petit chef d’entreprise qui règne sur quatre étages de production d’enfants a une large gamme de produits, depuis le préadolescent des deux sexes jusqu’au fœtus de trois mois, voire six semaines ! « Il y a donc une clientèle pour ça, questionne le couple acheteur ? » Il faut alors voir l’œil gourmand de Dieudonné : « Oui, les Japonais » ! Que les Japonais se rassurent : c’est du deuxième degré, puisqu’il semble que ce type d’humour ait été oublié.
Et puis il y a une découverte. On sait que Dieudonné a « un organe », une voix grave qu’il utilise à merveille quand il prend l’accent de son grand père camerounais pour lequel il garde une tendresse non-feinte. Mais on ne connaissait pas le Dieudonné chanteur de jazz. Une magnifique voix grave, avec ce rien de raucité genre crooner italien. Une mélopée d’une lenteur extrême s’élève et nous envoûte, Dieudonné ferme les yeux, son corps se recroqueville, il est possédé par son chant même. Le thème est simple, comme les mots : la douceur d’un fruit glacé dans la chaleur tropicale, « frais, frais, frais ananas… ». Le public retient son souffle. Un moment de grâce.
Et puis il y a la critique acerbe de la télé-réalité dans ce qu’elle a de plus violent : montrer à la télévision un enfant atteint d’un cancer en phase terminale. Alors, bien entendu, il y a un prétexte, une fausse bonne idée : une association demande à un enfant qui se sait condamné « la personnalité qu’il souhaiterait rencontrer, même s’il s’agit du pape, d’un champion sportif ou du président des États-Unis. Nous ferons tout pour exaucer ce vœu ultime. » L’alibi humaniste du voyeurisme le plus sordide. Mais voilà contre toute attente que l’enfant demande à voir Dieudonné ! Stupeur :« On’a pas ça au catalogue » ! Mais l’enfant est venu, Romain est monté sur scène, il a dansé pour le public devant Dieudonné. Ils se sont placés tous les deux des deux côtés du mur, si proches et bientôt si loin l’un de l’autre : le mur est devenu le miroir de Cocteau. On passe du rire aux larmes. Il l’a fait, du grand Dieudonné. Chapeau l’artiste !
La liberté d’expression de Dieudonné, c’est notre liberté de penser, d’aimer, de rassembler. Il y a des collèges et lycées Georges Brassens ou Michel Colucci. Il y aura un jour des lycées Dieudonné Mbala Mbala.
Christophe Oberlin, le 9 février 2014