[…]
Robert Bolognesi est tombé dans la neige tout petit. À 7 ans très exactement. Sa grand-mère lui avait prêté son appareil photo. En villégiature dans les Alpes du Sud, un soir de neige, le gamin s’était promis de l’inaugurer le lendemain matin. Il se souvient du froid, du bleu, de la poudreuse, des arbres chargés. Au retour, il a dit à l’aïeule : « Je veux travailler dans la neige. » Elle lui a répondu : « Tu auras le temps de voir. » C’est tout vu.
Quarante ans que Robert Bolognesi, né en 1960, fait parler la neige. Pour savoir si elle augure du meilleur ou du pire, si elle promet le plaisir ou combine le drame. Il ne vous le dira pas comme ça, mais ce scientifique franco-suisse est, à sa façon, un pionnier. Il a inventé un modèle de prévision d’avalanche, il a développé des programmes informatiques et des algorithmes capables non seulement d’analyser mais encore de produire des méta-raisonnements et d’apprendre de leurs erreurs. « Mais pour le moment, j’utilise une version simplifiée de ce programme, car les PC actuels ne sont pas encore suffisamment performants pour traiter assez rapidement ces données », dit-il.
En attendant que le progrès technologique ne résolve les énigmes qui l’obsèdent, Robert Bolognesi va, de son pas calme et sûr, arpenter les cimes de nombreuses stations en Suisse et à l’étranger, qui lui confient la charge d’aider à leur salut. Avec, entre autres, deux doctorats (en informatique à l’EPFL et en géographie alpine à l’Université des sciences de Grenoble), à quoi il faut ajouter un brevet d’artificier pour le déclenchement préventif des avalanches ainsi qu’un brevet de pisteur-secouriste, il dirige aujourd’hui son bureau d’études Météorisk à Sion [Suisse].
Assez pour que devant cet homme des neiges, la question nous brûle les lèvres : faut-il profiter de ce jour de ski comme si c’était le dernier ? Avec la menace du réchauffement climatique, beaucoup prédisent la mort du ski. Et lorsque le Conseil fédéral a épargné les stations de la fermeture, que n’a-t-on entendu vouer aux gémonies cette sacro-sainte culture helvétique qu’il faudrait s’empresser d’oublier. Alors, la mort du ski, c’est pour quand ? « On ne peut pas mettre en doute le réchauffement climatique, répond le nivologue. Pourtant, le ski n’est pas menacé à moyen terme, en 2050. Car il y aura pendant longtemps encore passablement de neige dans les domaines situés au-dessus de 1500 mètres. Si les températures estivales sont en nette augmentation et affectent les glaciers, elles ne concernent pas la neige. »
Comment le scientifique peut-il être optimiste, alors que les climatologues affirment le contraire ? Sa conclusion, il ne l’a pas formulée en faisant de la sculpture sur cumulus, mais à force d’analyses et de statistiques. Voici : sur la base de données homogénéisées de MétéoSuisse concernant le col du Grand-Saint-Bernard, à 2472 mètres d’altitude, et qui bénéficie de 156 années de relevés, ainsi que Château-d’Oex, à 1028 mètres d’altitude et 120 années de relevés, on constate dans les deux cas un réchauffement hivernal sur plus d’un siècle, mais un refroidissement en janvier et février sur les derniers trente ans. C’est encore plus vrai en haute altitude : « On ne peut donc pas prétendre, sans nuance, qu’il fait plus chaud en hiver, conclut le nivologue. Et comme le réchauffement climatique va entraîner une augmentation des précipitations, les chutes de neige s’accroîtront en janvier et février en haute altitude. »
Pourtant, si l’on en croit le rapport sur les scénarios climatiques CH2018 de la Confédération, « les hivers seront nettement plus doux au milieu du siècle. Il y aura certes plus de précipitations, mais surtout sous forme de pluie ». Sur son visage, on lit du scepticisme mêlé de désabusement : « Ces conclusions sont valables pour la plaine et le plateau mais pas pour la haute montagne. Franchement, je ne comprends pas cet alarmisme. Je me demande dans quelle mesure il n’est pas la manifestation d’une forme d’idéologie. Comme si afficher une bonne nouvelle revenait à dire qu’il est permis de polluer. Contentons-nous de dire qu’il ne faut pas polluer, neige ou pas neige ! »
Et de tordre le cou au souvenir tronqué des neiges d’antan, celles que la mémoire, parée de l’émotionnel, embellit. Or, les hivers secs ont toujours existé, à preuve ces photos. Verbier, années 1960 : des gens garnissent leurs hottes de neige pour combler les pistes. Années 1980 : un patrouilleur charrie l’or blanc sur son traîneau de secours pour fabriquer une piste étroite. Robert Bolognesi rappelle aussi qu’avec les progrès du canonnage et du damage une éventuelle diminution d’enneigement ne compromet pas nécessairement le ski : « On reçoit du ciel la matière première, puis on fabrique un produit qui s’appelle la piste. »
Pourtant, selon les modèles, le réchauffement pourrait atteindre entre 2 et 6 degrés en 2050. Cela fait froncer les sourcils du nivologue : « Un tel écart me paraît scientifiquement problématique. Il faut faire attention avant d’avancer des pronostics aussi flous, car c’est sur eux que les politiques vont fonder leurs décisions. C’est grave et démotivant pour les gens qui vivent en montagne. »
[…]
Lire l’intégralité de l’article sur letemps.ch