Raphaël, le fils Glucksmann, monté (certes rapidement) en grade dans les médias, au fur et à mesure que son père en disparaissait, a fait une sortie inattendue au micro de France Inter ce lundi 4 janvier 2015, face à la troublante Léa Salamé, dans le journal matinal de Patrick Liste Noire Cohen.
Eh non, le lobby sioniste ne parle pas d’une seule voix, celle de Cukierman ou de BHL, par exemple. Ceux qui croient à l’unicité de la parole sioniste en seront pour leurs frais.
Expliquons-nous : personne (de sérieux) n’ignore les activités relativement lobbyistes (dans le sens d’influentes) du jeune Glucksmann, dont l’épouse est directement liée au pouvoir ukrainien anti-Poutine. Ce qui ne fait pas de lui un agent de la CIA ou du Mossad, mais la multiplication de ses interventions médiatiques, supérieures à celle d’un ministre de la République en exercice, ne laisse pas d’interroger. Nous répondrons à cette interrogation un autre jour. Pour l’instant, ce qui nous intéresse, c’est le conflit d’extension apparent entre le mot d’ordre de l’oligarchie américano-sioniste, soutenue financièrement par l’Arabie saoudite, en tension actuelle face à l’Iran (jusqu’ici, tout est cohérent), et la sortie médiatique de Raphaël Glucksmann, qui ose dénoncer le double jeu des Saoudiens dans les conflits du Proche-Orient :
« On ne peut pas s’aligner, s’aplatir devant le régime saoudien. Parce que qu’est-ce que le régime saoudien ? C’est un régime médiéval en Arabie saoudite, mais c’est aussi le principal sponsor à travers le monde de l’idéologie intégriste, fondamentaliste, qui nous attaque. »
Électron libre ou superagent de l’Empire ?
Raphaël – appelons-le comme ça – réagit donc plus en Français qu’en agent supposé d’un supposé lobby sioniste qui aurait (grande) voix au chapitre en France.
Certes, les tenants assez radicaux d’une présumée domination sioniste sur la France diraient que ce faisant, le fils Glucksmann ne fait qu’embrasser la tendance actuelle montante antisaoudienne, et, posant sa patte velue sur cette tendance, il la valide, afin de la contrôler. C’est la théorie de l’occupation totale du prisme médiatique, quitte à se contredire en apparence entre deux agents théoriquement opposés du prétendu lobby sioniste. Par exemple, certains pensent que l’axe Zemmour-BHL, qui couvre presque tout le camembert politique français, est en fait une pince de contention droite/gauche, qui permet de contrôler tous les débats intermédiaires, et de ne pas « louper » une tendance. Toujours être à la pointe du débat, le créer s’il le faut, le contrôler si c’est possible.
Mais en allant plus loin dans son interview, on saisit mieux la visée de Raphaël :
« Quand il y a un attentat terroriste en France… qu’est-ce que font les leaders politiques ? Ils disent : ce sont des barbares, ce sont des criminels, nous allons les combattre. Mais pourquoi laisser à Marine Le Pen le monopole du nom de l’idéologie qui nous attaque ? »
On comprend qu’il ne veut pas laisser, comme il le dit très exactement, le « monopole du nom de l’idéologie qui nous attaque » à la dirigeante du Front national. Et il se lance dans une diatribe contre les dirigeants élyséens :
« On peut parfaitement parler avec des gens qui ne partagent pas vos valeurs. Par contre on évite de dépendre d’eux, c’est-à-dire qu’on évite, par exemple, quand on est François Hollande, d’aller poser avec un sabre, applaudi par une ribambelle de salafistes wahhabites saoudiens. On évite aussi, quand on est ancien président de la République, d’aller toucher de l’argent à Doha au Qatar. On évite en gros, de se lier, de s’offrir pieds et poings liés à des régimes qui, fondamentalement, s’opposent à nos principes et qui, fondamentalement, nourrissent l’idéologie qui nous combat. »
Léa Salamé intervient à deux reprises au nom du réalisme : « Une fois qu’on a dit ça on fait quoi ? Parce que ça c’est au niveau des principes, après il y a la politique, la realpolitik, une fois que vous avez dit ça vous faites quoi ? On arrête de parler avec l’Arabie saoudite, on s’aligne sur l’Iran ? »
« Bien sûr qu’il ne faut pas soutenir l’Iran, qu’il ne faut pas soutenir Bachar al-Assad, qu’il faut lutter contre Bachar al-Assad, mais simplement, il faut le faire sans idéaliser notre relation avec l’Arabie saoudite, sans être les premiers à servir leurs intérêts et sans non plus les laisser pénétrer en France parce que moi mon problème, c’est la France. Or, quand on laisse des pays comme le Qatar financer des plans pour les banlieues, à mon avis ça pose un réel problème, beaucoup plus profond d’ailleurs que le changement de Constitution. »
Et il propose, du haut de ses 36 ans, fort de son expérience d’essayiste, tout simplement un infléchissement de la politique extérieure de la France :
« Au lieu de changer la Constitution française, peut-être ferait-on bien de réviser un tout petit peu notre politique moyen-orientale… Au lieu de discréditer toute critique de la déchéance de nationalité au nom de la prise en compte du contexte […], on ferait mieux d’arrêter de tapiner à Doha et à Ryad. […] Quand on est face à des événements aussi graves que les attentats terroristes que la France a connus en 2015, il ne faut pas changer ce que nous sommes, il faut changer ce que nous faisons. Or, la Constitution, c’est ce que nous sommes. »
Les Glucksmann, père & fils : du sionisme 1.0 au sionisme 2.0
Curieuse posture du fils, qui semble venue de nulle part, mais qui prend en compte le sentiment anti-islamiste actuel – dû principalement aux attentats –, il est vrai très entretenu par les médias et les « alliés » de la France que sont Israël et les États-Unis. Une sorte de mutation du sionisme, un sionisme 2.0.
Et qu’est-ce que le sionisme 1.0 ? C’est le sionisme pro-islamiste des années 1990, celles où André Glucksmann (et l’inévitable BHL) défendaient mordicus les musulmans bosniaques face aux horribles criminels contre l’Humanité qu’étaient les Serbes. Soutien qui conduisit logiquement à la bénédiction des bombardements de l’OTAN – l’armée de l’Empire – sur la Yougoslavie en 1999. L’islam était alors le bras armé de l’Empire contre les alliés des Russes, ce qu’il était déjà 20 ans auparavant en Afghanistan, quand les faucons de Washington décidèrent d’armer les fondamentalistes locaux contre l’envahisseur soviétique. Mais tout a changé, les alliances de circonstance ont basculé. Le sionisme 2.0 est désormais anti-islamiste, l’islam étant associé depuis 2001 au terrorisme, à la décapitation, à la barbarie, bref, au crime contre l’Humanité.
Moralité : l’Empire finit toujours par jeter aux flammes ceux dont il se sert pour ses basses besognes.
Raphaël revient donc, en dénonçant le financement du Djihad en Algérie et en Bosnie dans les années 1990 par les Saoudiens, sur les propos droitdelhommistes de son André de père ! Et c’est aussi là que nous comprenons les limites de l’intervention du jeune essayiste : il ne propose évidemment pas de changer de politique... israélienne de la France, qui peut se résumer là aussi en un mot – soumission, avec ses conséquences désastreuses. Par exemple devant le monde non aligné, qui en conçoit un étonnement et un mépris vis-à-vis de la France actuelle auxquels la France éternelle n’est pas habituée. CQFD, diront les ultras que nous avons évoqués plus haut.
Si l’on devait emprunter l’expression raphaélique, on dirait « tapiner à Tel-Aviv et à Washington ».
Qatar et Arabie saoudite, des amitiés nouvelles pour la France, qui trouvent leurs défenseurs dans nos médias. Les amateurs de média-bashing auront probablement sursauté lors de l’intervention de Léa Salamé à 4’34 du début :
« Aujourd’hui l’Arabie saoudite c’est notre meilleur allié dans la région, c’est la plus grande puissance sunnite, pour gérer les problèmes avec Daech, pour gérer la question de la Syrie, pour gérer tout ce qui se passe dans la poudrière moyen-orientale, est-ce qu’on peut se permettre nous la France d’arrêter de parler avec la grande puissance sunnite, et je ne vous parle pas des 10 milliards de contrats, et de l’argent ? »
À croire que France Inter est financée par « la grande puissance sunnite » !
Petit rappel historique
Avant 1914, disons dans les années 1890, les grandes sociétés d’armement britannique, française et allemande, soutenues par leurs banques nationales respectives, étaient la propriété d’intérêts croisés britanniques, français et allemands. Toutes s’entendaient sur le développement de leurs marchés respectifs, en Europe ou en Asie, ce qui n’excluait pas quelques frictions... commerciales. Elles s’entendaient pour créer des conflits factices ou envenimer des conflits frontaliers (Grèce/Empire ottoman, ou Russie/Empire ottoman), afin d’augmenter leurs marges.
Les membres des gouvernements respectifs de ces pays à l’origine du déclenchement de la Première Guerre mondiale avaient soit des intérêts directs dans ces sociétés d’armement, soit ils étaient carrément composés d’actionnaires desdites sociétés. Quand ils ne travaillaient pas foncièrement pour elles en tant que ministres de Affaires étrangères, empereur, président du Conseil ou Premier ministre nommé par la Chambre des Lords.
Pour finir sur la presque cohérente diatribe de Raphaël Glucksmann, que faut-il penser de sa pointe anti-Hollande, quand il évoque l’exhibition de notre président – invité du roi d’Arabie saoudite – avec un sabre, alors que ce pays décapite ses condamnés, et qu’il est le sponsor des coupeurs de têtes et autres égorgeurs en Syrie ?
Que Hollande est foutu, diront les radicaux. Que le « lobby » l’a lâché. Voyons, naïfs complotistes que vous êtes, le petit Glucksmann, du haut de ses 36 ans, armé de son seul humanisme, n’a pas ce pouvoir !
L’interview complète de Raphaël par Léa chez Patrick est ici :