Le contraste est saisissant et il résume à lui seul la politique de sécurité suivie par le gouvernement : tolérance zéro pour la contestation politique, tolérance maximale pour la délinquance contre les personnes et les biens.
Le « message de fermeté » porté par Manuel Valls lors de sa visite à Moirans, deux semaines après les violentes émeutes qui ont agité la ville, a bien été présent mais pas là où on l’attendait. Alors que celles-ci n’ont donné lieu à aucune interpellation, faisant pourtant de lourds dégâts (pas moins d’une trentaine de voitures incendiées dont certaines jetées sur les voies SNCF, la gare ainsi qu’un restaurant dévastés, la chaussée gravement endommagée) un jeune homme ayant fait le geste de la quenelle au Premier ministre lors de son déplacement a été interpellé peu après par la gendarmerie. Poursuivi pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique, il encourt une peine de six mois de prison et 7.500 euros d’amende.
Dans un précédent article, nous avions déjà relevé ce qui semble faire l’originalité de la politique de sécurité du gouvernement actuel : une réduction drastique des libertés publiques sous couvert de guerre contre le « terrorisme » – notion bien élastique qui tend à recouvrir une bonne partie de la contestation sociale – s’accompagnant d’une impuissance manifeste sur le front de la sécurité des biens et des personnes. Cet épisode en est la parfaite illustration.
Polysémique et ambigu, le geste de la quenelle est avant tout un bras d’honneur contre les élites en tout genre. Dans le cas présent, son caractère irrévérencieux est d’ailleurs revendiqué par l’auteur du geste pour qui c’est avant tout « un acte d’opposition politique », a expliqué Jean-Yves Coquillat, procureur de la République à Grenoble. Si la contestation politique reste admise, elle trouve rapidement ses limites avec ce bras d’honneur. Une question vient alors, pourquoi tant de haine ?
Deux ans après l’affaire de la quenelle, Manuel Valls ressert les plats. L’acharnement du ministre contre ce geste ne faiblit pas, en dépit de son caractère flou. Geste antisystème ou antisémite ? provocation potache ou salut nazi maquillé ? Signe de cette confusion, une proposition de loi pour pénaliser la quenelle en l’assimilant à un geste antisémite n’a jamais été votée en raison d’obstacles juridiques. Reste alors la stratégie du contournement : criminaliser le geste en l’assimilant à quelque chose d’autre que ce qu’il prétend être. Affaiblir coûte que coûte la contestation politique vaut bien un coup de force juridique… Retour sur quelques épisodes de la guerre menée par le pouvoir socialiste contre ce geste d’insoumission.
La quenelle fait tache d’huile
À l’origine du psychodrame médiatique de la « quenelle », une lettre de dénonciation : celle qu’Alain Jakubowicz, président de la LICRA, adresse au ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian début septembre 2013 pour réagir à une photographie représentant deux militaires français faisant le geste de la quenelle devant une synagogue. Ce terme à l’origine réservé aux « initiés » adeptes de Dieudonné – une marque « quenelle » est même déposée à l’Institut National de la Propriété Intellectuelle par Noémie Montagne, la compagne de l’humoriste – est rapidement popularisé à la faveur de ce feuilleton médiatico-juridique.
Pour Alain Jakubowicz, le sens du geste est clairement antisémite : il constitue à la fois « un signe de ralliement à Dieudonné » et « un salut nazi inversé signifiant la sodomisation des victimes de la Shoah ». Pour les avocats de Dieudonné, il s’agit au contraire d’un « geste humoristique inventé par Dieudonné et qui correspond tout simplement à un bras d’honneur détendu signifiant je vous ai bien eu ou vous m’avez bien eu, dans un esprit farce » (Interdit de rire).