Xavier Darcos, alors Ministre de l’Éducation nationale, fut interrogé par des enseignants syndiqués sur la conjugaison du verbe « naître » au passé antérieur. Il s’est acquitté de cette tâche non sans quelques difficultés. Cette basse manœuvre syndicale n’avait pour objectif que de montrer le caractère désuet de ce temps de l’indicatif et de fustiger les nouveaux programmes 2008 pour l’école primaire. Ces mêmes programmes entendaient revenir à l’acquisition de tous les temps de l’indicatif à la fin du CM2.
Dans notre société friande de nouvelles technologies, la querelle byzantine autour de l’apprentissage du passé antérieur pourrait prêter à sourire si ceci ne révélait pas en réalité un appauvrissement de la langue française et une profonde déculturation de notre pays.
En effet, depuis quelques décennies, les pédagogues claironnent que les savoirs ne se dispensent pas ex cathedra et que seul l’élève donne sens à ses apprentissages. Ainsi, l’analyse rigoureuse du lexique, de la grammaire et de la syntaxe a été abandonnée, car considérée comme trop rébarbative et ennuyeuse, au profit d’une observation réfléchie de la langue. Cette pratique consiste avant tout à observer la langue « à la volée » au gré des lectures en classe et des questionnements des élèves du primaire. L’enseignant les guide dans cette démarche mais n’a, en théorie, aucun savoir à transmettre.
Par ailleurs, la littérature de jeunesse s’est adaptée à ce nouveau public et est devenue une discipline à part entière dans les I.U.F.M. Nombre d’ouvrages de littérature de jeunesse ont non seulement un vocabulaire pauvre mais recourent le plus souvent au temps du présent. De plus, le style de ces ouvrages relève plus de la langue parlée. Ceci finit par rendre inaccessible un auteur de jeunesse comme Paul-Jacques Bonzon, auteur qui n’a pas eu l’heur de plaire aux pédagogistes post-soixante-huitards. Un de ses livres pour enfants, la Maison aux mille bonheurs, reste néanmoins d’une qualité littéraire dont sont privées les jeunes générations.
Il convient aussi de rappeler qu’il n’y a pas de pensée logique et complexe dans une langue pauvre, sans nuances, et réduite à un simple moyen de communication. Un faible niveau de maîtrise de la langue française rend l’individu démuni face à la violence de la société marchande et libérale, violence d’autant plus subie qu’il ne parvient pas à la nommer et encore moins à combattre.
Que faire face à cette situation ? Il est plus que nécessaire de revenir à une analyse rigoureuse et didactique de la langue française. Un élève de fin de CM2 est tout à fait capable d’apprendre la correspondance structurale des huit temps de l’indicatif en réalisant des exercices simples de concordance des temps. Durant toute leur scolarité, ces mêmes élèves doivent pouvoir être initiés à de grands auteurs afin qu’ils découvrent les richesses de notre langue et de notre culture. Faut-il rappeler la fameuse Lettre de Gargantua à Pantagruel de François Rabelais en 1532 qui a servi de modèle pour notre instruction publique durant des siècles ? Cette lettre définit les humanités, à savoir une éducation faite de lectures de grands auteurs grecs et latins, de connaissances scientifiques précises et de morale.
Mais à l’heure où chaque dirigeant politique se targue d’être humaniste, les humanités en France ne se sont jamais aussi mal portées. Ne constituaient-elles pas le dernier paravent face à la marchandisation du monde et à l’abrutissement des masses ?
Jean -Claude Michéa, dans L’Enseignement de l’ignorance pose la seule question qui vaille. Il ne s’agit pas de savoir, comme il est communément admis, quelle Terre nous allons léguer à nos enfants mais plutôt de savoir quels enfants nous allons léguer à notre Terre.