Beyrouth brûle ; la ville le vit mal, irritée et préoccupée par son avenir incertain. Les ambulances hurlent. Il y a des centaines de blessés. Il y a des tirs de balles de gomme, mais aussi avec des munitions de guerre. S’agit-il d’une révolution ou d’une rébellion ?
Qui sont ces hommes torses nus [comme les manifestants d’Occupy Wall Street utilisent leurs torses nus comme messages], musclés qui jettent des pierres à la police au centre du Beyrouth ? Sont-ils d’authentiques révolutionnaires ? Sont-ils là pour réclamer le tant discrédité « Printemps arabe » ? Ou sont-ils venus pour faire une démonstration de force, payés par l’Occident ? Si l’État libanais s’écroule, l’État islamique (EI) pourrait avancer et occuper une partie importante du Liban. Cela pourrait rencontrer les intérêts des pays occidentaux et ceux de la Turquie, mais aussi les intérêts des états du Golfe. Ou Israël pourrait–il profiter de la vacuité du pouvoir et envahir encore une fois le Liban. Ou cela pourrait être les deux : l’EI et Israël.
Il y a deux semaines mon amie disait en plaisantant :
« J’ai trouvé un garçon à Beyrouth qui m’a dit qu’il est en train d’obtenir un emploi dans une ONG européenne. Son travail sera d’aider à déstabiliser le Liban. »
[...] Est-ce qu’il pourrait y avoir deux « types » de manifestants dans le même lieu et au même moment ? Ceux qui luttent pour un Liban meilleur et ceux qui touchent pour se battre pour le sectarisme et les intérêts étrangers (ce qui dans ce pays revient plus ou moins au même) ? [...]
« Vous puez »
Pendant 18 ans le gouvernement n’a pas été capable (ou il n’a pas voulu) construire une usine permanente de recyclage des déchets. Pendant 18 ans, les pauvres qui vivent près de la décharge « provisoire » ont souffert de la contamination produite par la voirie et sont morts à cause d’une incidence exceptionnellement forte de cancers et de maladies pulmonaires. Jusqu’à ce qu’enfin ils dissent : « Basta ! » et ils ont bloqué la décharge. À partir de ce moment-là, les ordures ont commencé à s’accumuler dans les rues de Beyrouth. Au lieu de chercher une solution définitive au problème, le gouvernement a aspergé les montagnes d’ordures en décomposition avec de la mort-aux-rats. Les gens de la capitale ont commencé à tomber malades. Mais les ordures ne sont pas la seule raison pour laquelle la vie dans la capitale – en fait, dans tout le pays – est devenue quelque chose d’insupportable.
Il y a quelque chose qui doit être compris : le Liban n’est pas l’Irak, la Libye ou la Syrie. Tous ces pays avaient un fort leadership socialisant et de vigoureux programmes sociaux (méprisés par l’Occident), depuis la prévention de santé à l’éducation, du logement public aux retraites.
Au contraire, le gouvernement du Liban est dysfonctionnel, corrompu et est divisé. Le pays a survécu pendant plus d’un an sans président, bien que le Cabinet se soit réuni plus de 20 fois pour essayer d’en choisir l’un.
Les ordures ne sont que le sommet de l’iceberg. L’infrastructure du Liban s’effondre : coupures constantes d’approvisionnement d’eau et pannes d’électricité. Il n’y a presque pas de transport public dont on puisse parler et les espaces verts pour un usage public sont pratiquement inexistants. Il y a des confiscations de terres dans tout le pays. La santé et l’éducation sont une catastrophe. Pour beaucoup de gens, le Liban est un lieu inhumain.
Il est possible que le Liban soit l’un des pays les plus capitalistes de la Terre. Il n’y a presque rien qui soit public, il ne reste déjà plus rien de socialisé. Et le capitalisme sauvage (toujours prescrit par les « associés » occidentaux à ses états clients) au Liban, comme dans tout endroit du monde, clairement ne fonctionne pas.
Le pays ne produit presque rien. Il y a plus de Libanais vivant à l’étranger que dans leur propre pays ; ce sont les versements d’argent qu’ils envoient qui maintiennent de quelque façon le pays à flot. De plus, il y a une production importante de capital provenant des bénéfices d’affaires troubles en Afrique occidentale et en Irak, mais aussi des bénéfices de l’industrie financière (surtout celle qui sert au Moyen-Orient et aux états du Golfe) et ceux que rapportent les narcotiques produits dans la vallée de la Bekaa.
Il y a une abondance de richesse dans les poches et les comptes bancaires de quelques personnes, mais il n’y a presque pas d’argent pour des services publics. Durant les nuits, les Lamborghinis et Ferraris font la courses sur La Corniche, et la marina de la baie de Zaytouneh concourt honteusement avec celle Abu Dhabi. Mais la plupart de la ville est contaminée, tombant en morceaux et désespérée. Au milieu de tant de contrastes, des réfugiés syriens désespérés font la manche.
Rien ne semble être suffisant. L’argent circule et, mystérieusement, une grande partie de celui-ci s’évapore tout simplement.
Maintenant, le pays est totalement brisé. Des sources gouvernementales soutiennent qu’actuellement la dette publique libanaise arrive à 143 % du produit national brut.
La population libanaise est fragmentée selon des lignes sectaires en 18 groupes religieux : les principaux sont les chrétiens, les musulmans sunnites, les musulmans chiites et une petite minorité druze. Grâce au sectarisme, l’unité nationale ou « le projet national » sont presque inexistants.
Quelques manifestants avec qui j’ai conversé proclament qu’ils en ont marre des sectarismes et des divisions ; ils veulent un Liban unique, qui soit fort et uni. Au moins c’est cela qu’ils disent.
Ahmed, l’un des manifestants, professionnel d’âge moyen qui vit à Beyrouth, m’a expliqué : « Je ne veux pas d’un Liban dechrétiens et de musulmans ; je veux un seul Liban, un pays uni ! »
Il semblerait qu’il n’y a pas d’idéologie qui unifie vraiment les manifestants. Il y a seulement des motifs de se plaindre ; c’est l’unique chose qu’ils partagent. Les exigences semblent être légitimes.
Mais au Liban, il est impossible d’être sûr de ce qui existe en-dessous de la surface. Courent des rumeurs de ce que maintenant chaque groupe religieux envoie ses adeptes pour qu’ils luttent sur les barricades. Pendant des années et même des décennies, des intérêts politiques en lutte ont été tiraillés dans des directions distinctes de ce petit pays.
« J’ai connu un type qui manifestait et il était clair qu’il était anglais », m’a dit un diplomate qui vit à Beyrouth et qu’il ne voulait pas être identifié. « Il n’était pas journaliste ; en réalité : c’était un manifestant ! Il ne parlait pas arabe. Il y a beaucoup de personnages bizarres dans les manifestations ». Souvent c’est très difficile de savoir qui est qui, et qui est avec qui.
Les motifs de protestation des chrétiens ont à voir surtout avec l’Occident. Les musulmans sunnites sont étroitement alliés aux états du Golfe et, indirectement, avec l’Occident. Les musulmans chiites, en incluant le Hezbollah, tendent à s’approcher de l’Iran.
Presque tout le monde est ici d’accord avec le fait que le Hezbollah est l’unique force sociale solide dans le pays. Il vise aussi l’unité libanaise et le rapprochement des groupes non chiites.
Aujourd’hui, le Hezbollah est pris dans une bataille épique contre l’EI, une armée brutale et terroriste qui à son origine était appuyée et entraînée par l’Occident, la Turquie et, en général, par l’OTAN. Le Hezbollah s’oppose aux actions terribles de destruction que l’Occident et lsraël sèment dans toute la région. Pour cette raison, le nom de Hezbollah demeure fermement dans la liste sélecte étasunienne des groupes terroristes.