Que se passe-t-il au Proche-Orient ? À l’évidence d’impressionnants événements se succèdent ces derniers jours à un rythme soutenu, sans qu’ils soient pour autant parfaitement lisibles. Certains sont déconcertants ainsi l’arrêt abrupt de l’offensive israélienne « Colonne de nuées [1] »…
Habituellement les Israéliens retardent les négociations, les font traîner en longueur autant que possible afin d’engranger le maximum de gains sur le terrain et de causer à l’ennemi les plus lourds préjudices possibles. Nous avons par exemple assisté en août 2006 à la fin de la guerre contre le Liban, à une très laborieuse sortie de crise. Là, rien de semblable, les bombardements ont cessé comme par enchantement alors même que Tsahal avait sonné le rappel de 75 000 réservistes ! Le simple bon sens dit assez que l’on ne procède pas à une mobilisation d’une telle ampleur sans avoir planifié l’opération sur la durée et dans la profondeur du territoire ennemi. Non pas évidemment pour rendre les armes le jour suivant.
Des événements ébouriffants, inédits et surprenants
Le 21 novembre, après « huit jours de bataille », l’affrontement asymétrique cessait. Le lendemain les brigades d’Al Qods – nom arabe de Jérusalem – remerciaient l’Iran pour son aide militaire et financière et le soutien politique de l’Égypte. À ce propos, la grande presse applaudissait chaleureusement la médiation du président égyptien Morsi sans relever cependant quelques faits remarquablement inédits : pour la première fois Israël acceptait – même indirectement – le « dialogue » avec le Hamas, lequel de facto reconnaissait implicitement l’entité hébreu – on ne parle pas avec le non-existant n’est-ce pas ? –, ce qu’il n’avait jamais fait jusque là ! À bien y regarder, il est patent que les choses ne se sont pas faites toutes seules et qu’un tiers est discrètement intervenu…
Justement, au soir du 20 novembre, au septième jour de l’offensive, alors qu’une trêve paraissait imminente mais que les pilonnages israéliens redoublaient – un premier et unique soldat hébreu ayant été atteint par une roquette sur le sud d’Eretz Israël contre, à l’arrivée, quelque 160 victimes dans le camp palestinien – la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton s’entretenait à Jérusalem avec le Premier ministre Benjamin Nétanyahou, réitérant devant les caméras « l’inébranlable engagement » des États-Unis à garantir la sécurité du pays, mais ajoutant mezzo voce : « Je pense qu’il est essentiel d’obtenir une désescalade de la situation à Gaza »… Ceci avant de faire le go between en se rendant le lendemain en Cisjordanie auprès du président Mahmoud Abbas. La messe était dite, le cessez-le-feu intervenait moins de quarante-huit heures plus tard. Du jamais vu…
Pourtant, ne nous hâtons pas de voir dans cette relation de cause à effet la preuve de l’innocence d’Israël, dont la politique délétère lui serait ou aurait été, partout et toujours, dictée depuis Washington par les grands méchants prédateurs Wasp (White anglo-saxon protestants)… au final seuls vrais responsables – pour d’obscurs motifs – et perpétuels coupables de l’indéfinie prolongation du conflit israélo-palestinien. En tout cas, c’est ce que certains essaient, avec une certaine persévérance, de nous faire accroire.
Toujours est-il que M. Nétanyahou a certainement dû manger son chapeau et faire face à un feu roulant de critiques tandis que la censure militaire interdisait la diffusion de toute information un peu circonstanciée relative à l’Opération « Colonne de nuées », ses suites et ses résultats. Au sein du Likoud, la crise était ouverte, conduisant le 27 novembre le ministre de la Défense Ehud Barak à démissionner. Les médias resteront à ce propos d’une discrétion exemplaire sur les cause et les conditions de cette retraite anticipée en dépit des soixante-dix ans de « l’homme le plus décoré d’Israël » ! À Jérusalem les dirigeants judéens s’efforçaient de sauver la face en se vantant d’avoir rempli, et au-delà, tous les objectifs assignés à l’assaut lancé contre Gaza [2]… lequel de ce fait pouvait ou devait naturellement s’achever !
À Gaza le Hamas de son côté commentait sans surprise la démission d’Ehud Barak comme la preuve irréfragable de « l’échec politique et militaire » d’une offensive figée en plein élan. On percevra plutôt quant à nous, dans l’arrêt soudain des hostilités, l’effet d’un ordre péremptoire venu – une fois n’est pas coutume – de Washington. La Maison Blanche ayant dans cette crise montré son savoir-faire en matière de « stay behind », de pilotage de crise à distance ou de derrière le rideau. Tout le bénéfice de la négociation expresse en est donc revenu au président égyptien Morsi, les projecteurs médiatiques concentrés sur les négociateurs rejetant dans l’ombre la secrétaire d’État américaine qui, sur ordre de la Maison Blanche, avait tordue la main du Likoud pour lui faire lâcher prise. Et nous verrons in fine pour quelles impérieuses raisons…
La Palestine, « État observateur non-membre permanent » des Nations unies
D’autres événements marquant une rupture étaient par contre plus ou moins attendus, tel l’accès pour la Palestine au statut d’État observateur non-membre permanent [3] des Nations unies le 29 novembre.
Fait par ailleurs moins prévisible mais excessivement significatif d’un renversement de tendance sera le volte-face, du jour au lendemain, de la diplomatie française… En effet, pour ce qui concerne le petit facteur (nous n’avons pas écrit « petit farceur ») français, le 18 novembre, en pleine offensive israélienne sur Gaza, M. Fabius rencontrait à Ramallah M. Abbas, président de l’Autorité palestinienne afin de lui demander instamment de renoncer à présenter le 29 novembre sa requête à l’Assemblée générale des Nations unies en vue de faire reconnaître la Palestine comme membre de la Communauté des Nations. La démarche du factoton élyséen se vit opposer une fin de non-recevoir. Les considérations techniques style « le moment n’est pas le plus opportun » rencontrèrent une ferme opposition de principe. Quelques heures plus tard, à Jérusalem, M. Fabius, dépité, rendait compte de l’échec de sa mission au principal intéressé, le Premier ministre israélien, M. Nétanyahou. Dont acte.
Le lendemain de son retour à Paris, le mardi 20 novembre, M. Fabius, sortant d’un déjeuner avec Mme Clinton, donnait une conférence devant la presse étrangère. Conférence au cours de laquelle le ministre français des Relations extérieures laissait clairement entendre que la France pencherait pour l’abstention. Position qui était le choix affiché du président Hollande, celui-ci insistant régulièrement sur les « risques de mesures de rétorsion américaines et la crainte que la demande palestinienne ne favorise pas l’ouverture de négociations directes entre Palestiniens et Israéliens ».
M. Hollande avait raison. Mais il se trompait d’acteur ! Au lendemain du vote de l’Assemblée générale, M. Nétanyahou, mauvais joueur, annonçait la reprise de la colonisation avec la construction de 3 000 nouveaux logements en Cisjordanie, notamment à Jérusalem est. En sus, le blocage sine die de la réversion des droits de douanes palestiniens essentiel à la survie de l’embryon d’État. Décisions navrantes ruinant tout espoir de reprise d’un quelconque dialogue, qui valu – une fois n’est pas coutume – au représentant israélien en France d’être convoqué au Quai d’Orsay afin de transmettre à M. Liberman – l’homologue israélien de M. Fabius – une demande de « renoncement » à ce projet de « construction ».
On connaît la réponse : M. Nétanyahou n’entend pas tenir compte des moindres desiderata franco-européens, souhaits aussi respectueusement formulés soient-ils dont il n’a cure. Qu,i en vérité, eût attendu une attitude contraire ? Reste que l’attitude française rompt malgré tout avec son habituel laxisme ou suivisme en un tel domaine. Serions-nous, tout à coup, moins à la remorque ? Convenons que la position de Paris a été en grande partie dictée par une évaluation réaliste du rapport existant entre ceux qui soutiennent l’État hébreu et ceux qui le désavouent pour ses continuelles transgressions de la légalité internationale. Un désaveu qui allait s’exprimer à travers l’écrasante majorité accordant l’admission formelle de la Palestine à la Communauté des Nations, cela tout en isolant les États « parias » qui allaient s’y opposer contre toute raison et toute morale.
Notons qu’en réponse au revirement français, la réponse de Tel-Aviv ne s’est pas fait attendre : le 4 décembre, JSSNews.com, webzine israélien francophone, lançait une virulente campagne – pétition à l’appui – de « mobilisation visant à demander au gouvernement israélien d’expulser de la capitale du pays, le Consul Général de France à Jérusalem. Frédéric Desagneaux, de son nom [qui possède également] le statut d’Ambassadeur pour la Palestine ». Joignant le geste à la parole, une manifestation était illico organisée, qui prévoyait de réunir quelques milliers d’exaltés… cela à l’appel d’un site qui en toute logique – parce qu’il appelle à la sédition – devrait se voir en France pénalement sanctionné… « Après l’affront sans précédent hier de la diplomatie française envers l’État d’Israël [la convocation au Quai d’Orsay relative à la reprise de la colonisation] et les atteintes répétitives à la souveraineté d’Israël par le Consulat général de France à Jérusalem qui se comporte dans la capitale d’Israël [la capitale légale en droit international étant en réalité Tel-Aviv] comme s’il s’agissait d’un État terroriste arabe se dénommant « Palestine », nous protesterons à 16 h mercredi 5 décembre devant le Consulat de France à Jérusalem. Nous, citoyens israéliens originaires de France, nous demanderons du Gouvernement israélien qu’il déclare comme Persona non Grata le Consul général de France Thierry Desagneaux et qu’il l’expulse sur le champs de notre pays bien-aimé. » Amen.
Pourquoi de tels changements dans la diplomatie franco-européenne ?
Poursuivons notre chronologie de ces quelques jours qui ébranlèrent nos plus solides convictions quant à la conduite des Affaires occidentalistes au Proche-Orient. Au demeurant n’allons pas trop vite en besogne. Il y a peu de chances pour que M. Obama ait soudain conçu le désir de mériter enfin son « Nobel de la Paix ». Les mobiles profonds qui dictent sa conduite sont assurément d’une toute autre nature.
Bref, l’exact lendemain de sa rencontre avec la secrétaire d’État américaine, le ministre français des Affaires étrangères annonçait l’intention d’un vote positif de la République en faveur de la Palestine… sachant que le vote français détermine celui d’un certain nombre d’autres chancelleries européennes… L’Allemagne s’abstiendra ; seuls dans l’Union le Royaume-Uni et la Tchéquie voteront « Non » ! On pressent ici – à l’occasion de cet inopiné changement de cap diplomatique – que la décision n’a pas été prise à l’Élysée, ni au Quai, pas même à Bruxelles. La décision est venue d’ailleurs, certainement de Washington à l’occasion du déjeuner en comité très restreint déjà mentionné.
A priori, M. Fabius n’a au fond rien à refuser à Mme Clinton, dont il est un « groupie » et à qui il mange littéralement dans la main : n’annonçait-il pas dans Le Point du 22 novembre son futur soutien à la candidature en 2016 de la susdite à la présidence des États-Unis ? « C’est une femme remarquable, exceptionnellement intelligente. Quand elle entre dans une pièce, elle incarne et impose l’autorité, même avec des hommes, même avec Barak Obama. »
Le 27 novembre soit deux jours avant le vote des Nations unies, Laurent Fabius justifiait plus précisément, devant les députés français, son tête-à-queue diplomatique et ce, avec un aplomb magistral et une mauvaise foi consommée : « Ce vote, nous allons le faire avec cohérence et lucidité. Vous savez que depuis des années et des années, la position constante de la France a été de reconnaître l’État palestinien. C’est la raison pour laquelle jeudi ou vendredi prochain, quand la question sera posée, la France répondra Oui. » Étayant la nouvelle position française – cela ne manque pas de sel ! – par le vote positif en octobre 2011 de la présidence Sarkozy en faveur de l’entrée de la Palestine à l’Unesco… Et, pour faire bonne mesure, en se référant à l’engagement pré-électoral de M. Hollande d’obtenir la reconnaissance internationale d’un État palestinien, cela dans le droit fil de la position adoptée par feu Mitterrand dès 1982 (AFP, 27 novembre). Ah mais !
Jeux de miroirs, jeux de dupes
L’on comprendra que Washington ait exprimé du bout des lèvres son « désaccord » avec la France – double langage et répartition des rôles obligent ! – en déclarant avec retenue son « opposition à toute prise de position à l’Assemblée générale qui de notre point de vue rendrait la situation encore plus compliquée » (AFP, 27 novembre). À Jérusalem le ton était moins amène, le Premier ministre Netanyahou y dénonçait avec la virulence de l’orgueil blessé l’intervention du Palestinien Abbas devant l’Assemblée des Nations unies : « Le monde a entendu un discours diffamatoire et venimeux rempli de propagande fallacieuse contre l’armée israélienne et les citoyens d’Israël. Quelqu’un qui veut la paix ne parle pas comme cela… La décision de l’Onu ne changera rien sur le terrain. Il n’y aura pas d’État palestinien sans arrangements garantissant la sécurité des citoyens d’Israël… En présentant leur demande à l’ONU, les Palestiniens ont violé leurs accords avec Israël, et Israël agira en conséquence. »
Une allusion limpide aux accords d’Oslo de 1993, lesquels envisageaient « la création d’un État palestinien comme résultant de négociations de paix directes israélo-palestiniennes » et non issue d’une initiative unilatérale. Reste que personne au cours de la seconde moitié du XXe siècle, n’a jamais vu les Israéliens conclure des pourparlers sans les remettre aussitôt en question, leur règle en la matière semblant être que « tout accord conclu fait automatiquement l’objet d’une renégociation en gros et en détail » !
Illustrant cette règle d’or – le prétexte était trop beau pour n’être pas aussitôt saisi – le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Liberman et son vice-ministre, Danny Ayalon, se sont empressés d’avertir – de menacer ? – la communauté internationale qui « une fois de plus a fait la preuve de son irresponsabilité… qu’aujourd’hui, nous ne sommes plus tenus par nos accords avec les Palestiniens, et nous agirons uniquement en fonction de nos intérêts... La poussière doit s’accumuler sur le discours d’Abbas ».
La force et l’arrogance se concentrant sur une seule des deux parties, celle-ci a maintenant beau jeu d’en faire à sa guise : certes le nouvel État palestinien existe désormais, mais seulement sur le papier parce que territorialement il s’agit d’une toute autre paire de manches ! La colonisation israélienne a en effet créé l’irréversible : la cannibalisation extensive du territoire palestinien avec 600 000 colons actuellement implantés en Cisjordanie. De sorte que revenir à présent en arrière apparaît comme une mission désespérément impossible. Le président Abbas aura par conséquent beau dire et beau faire, son discours à la tribune des Nations unies ne changera rien à la mauvaise donne actuelle : « Le moment est venu pour le monde de dire clairement : assez d’agression, d’implantations et d’occupation » ! Oui, mais comment ? La seule solution qui aurait pu s’avérer viable étant celle – peut-être ? – d’un seul État pour deux Peuples. Mais le fanatisme religieux l’empêchera. Que faire ?
Une lueur d’espoir, l’aube d’une ère nouvelle ?
Finalement, demandons-nous si les oukases venus de Washington pourraient annoncer une révision de la politique proche-orientale des États-Unis. Les enthousiastes, les croyants, se sont en effet derechef engouffrés dans la brèche. Obama qui n’a plus rien à perdre – pas de réélection possible pour un troisième mandat – devrait maintenant pouvoir donner sa mesure et remettre Israël à la place qui eût dû être la sienne depuis longtemps. Son mentor Zbigniew Brzezinski n‘a à ce propos pas mâché ses mots : « Les États-Unis ne suivront pas Israël comme une mule stupide [4] » (« US won’t follow Israel ’like a stupid mule », rt.com/USA 29 décembre). Un langage particulièrement nouveau, mais à entendre dans le contexte d’annonces réitérées de frappes hébraïques sur l’Iran.
La Maison Blanche, de toute évidence, n’est plus décidée à se laisser entraîner dans une nouvelle aventure militaire, entendant selon toute apparence se « désengager » progressivement d’un Proche-Orient à l’égard duquel sa dépendance énergétique devrait diminuer au fur et à mesure que seront mis en exploitation ses propres gisements pétroliers en mer profonde, ceux aussi de ses sables bitumineux et ses gaz de schiste… L’Amérique se voyant déjà comme un nouvel eldorado pétrolier définitivement affranchi des approvisionnements en provenance du Golfe arabo-persique. Reste que cela n’est pas si simple et ce nouveau facteur – l’autonomie énergétique potentielle annoncée des États-Unis – ne signifie pas pour autant renoncement au contrôle d’une région d’intérêt géostratégique crucial…
Cet ensemble d’éléments, pour intéressant qu’il soit, ne suffit évidemment toujours pas à expliquer pourquoi un commandement brutal, arrivé de Washington, a intimé l’ordre au gouvernement israélien de mettre fin sans délai à l’offensive sur Gaza… ni qu’il ait pu être suivi d’effet aussi vite. Un acte, répétons-le, en totale contradiction avec tout ce qui s’était vu jusqu’à présent, sauf réorientation absolue de la diplomatie armée américaine. Une hypothèse qui ne séduira que les optimistes invétérés.
Israël/États-Unis, des « agendas » divergents
Et bien gageons très simplement que les « agendas » israélien et américain ne coïncidaient plus. Les Hébreux veulent forcer le passage et préparer le terrain pour une attaque de l’Iran… Gaza en étant la première étape, puis Beyrouth où, après le Hamas, il conviendrait de « casser les reins aux Hezbollah [5] ». Ce nettoyage préalable effectué, la voie deviendrait libre pour s’en prendre à Téhéran. Cela peut-être dès après les législatives israéliennes de janvier prochain. La vox populi s’étant exprimée et M. Nétanyahou ayant été reconduit dans ses fonctions de Premier ministre avec une légitimité – espère-t-il – renforcée. Ceci lui permettant toute les initiatives belligènes, avec ou sans les Américains contraints ensuite, volens nolens, de suivre. Patatras, ceux-ci ne sont plus d’accord avec ce scénario idyllique parce que Washington entend d’abord régler son compte au régime baasiste de Damas.
De ce point de vue les choses vont excessivement vite. Damas, accusé depuis le 3 décembre de vouloir mettre en œuvre ses armes chimiques, se voit aujourd’hui menacée d’une intervention directe des États-Unis, qui ont discrètement – et avec beaucoup d’à-propos – concentré ces dernières semaines des forces navales d’intervention tandis que des forces spéciales américaines seraient prépositionnées Israël, en sus d’unités anglo-françaises en Jordanie. La France se préparerait à une intervention imminente en Syrie (LePoint.fr, 4 décembre) au sein d’une coalition multinationale dirigée par les États-Unis. Coalition comprenant le Royaume-Uni, la Turquie, « pilier oriental » de l’Alliance atlantique, et la Jordanie dont le souverain, Abdallah II, bien qu’à moitié Anglais, est en principe Chérif de la Mecque, le Gardien de lieux saints. Il fallait aussi prendre les devants et prendre de court les enragés de Tel-Aviv qui auraient envisagé une attaque des sites d’armes chimiques à deux reprises au cours du mois de novembre après avoir obtenu l’accord d’Amman (IsrInfos, 4 décembre).
Mais à la différence de la Libye de Kadhafi, après des frappes délivrées au moyen de missiles de croisière, les forces internationales héliportées devraient engager des opérations terrestres au prétexte de sécuriser les sites d’entreposage des armes chimiques syriennes. Dans les faits, cette première vague d’attaques ne devrait être que le préambule d’une guerre totale et ouverte contre le régime de Damas. Moscou sera mis devant le fait accompli et s’emploiera, faisant dès lors la part du feu, à sauver l’essentiel de ses intérêts en Syrie… à savoir sa base navale de Tartous – son seul point d’appui en Méditerranée – et la protection de ses cent mille ressortissants présents sur le territoire syrien. Une intervention qui ne pourrait qu’apporter du baume sur les plaies morales du Likoud, lequel, avons-nous dit, s’est vu frustrer de sa guerre contre le Hamas. On entrevoit ici que le divorce n’est pas tout à fait pour demain entre Tel-Aviv et Washington, la Maison Blanche se réservant de garder peu ou prou la main sur son propre agenda indépendamment du programme égocentré et exclusiviste de son meilleur allié, qui est aussi, probablement, son meilleur ennemi.
Ce même 4 décembre, le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, annonçait à Bruxelles, à l’issue de la réunion des ministres des Affaires étrangères des vingt-huit États membres de l’Alliance atlantique, que des missiles anti-missiles Patriot fournis par la République fédérale d’Allemagne allaient être mis en batterie le long des 900 km de la frontière syro-turque… Pour arrêter des obus de mortier sans doute ?! Des armes à longue portée a priori défensives mais qui peuvent en tout état de cause créer une zone d’interdiction aérienne sur la majeure partie du nord de la Syrie, permettant la consolidation d’une poche « libérée » et de bases à partir desquelles l’assaut pourra être lancé dans la profondeur du territoire syrien.
Washington reprend la main : des raisons pressantes
À propos de l’offensive sur Gaza il est temps de conclure. Dans la perspective d’un conflit ouvert avec Damas, l’affaire de Gaza s’explique de façon très élémentaire ! Si la priorité de Washington est effectivement d’en finir avec le Baas syrien et la gouvernance alaouite, alliée de Téhéran, les Américains ne peuvent s’appuyer à l’intérieur de la Syrie que sur la seule force politiquement organisée que sont les Frères musulmans, fer de lance de la rébellion. En outre ceux-ci incarnent la renaissance de l’Oumma – la Communauté des croyants – sunnite. Ceux-ci ne sont, de ce fait, pas isolés au sein du monde arabe : l’Égypte, la Tunisie sont aujourd’hui dirigées par les Frères et la Turquie néo-ottomane, sunnite également, les soutient avec vigueur. Or la nécessité d’en finir avec Damas exclut catégoriquement de s’aliéner les Frères musulmans… auxquels appartient le Hamas. Que les stratèges israéliens ne se soient pas rendus compte de cette contradiction – on ne peut faire la guerre à des gens en compagnie desquels l’ont combat par ailleurs – est proprement consternant. Gageons pourtant que, à la décharge des gens de Tel-Aviv, Washington n’avait peut-être pas encore arrêté sa décision, celle de passer à la vitesse supérieure et d’intervenir urgemment pour liquider le régime de Damas, quand l’offensive a démarré.
Il faut dire que maintenant le temps presse de faire diversion en entrant en Syrie, car de nombreux nuages s’accumulent dans le ciel d’Israël… Notamment à l’occasion de cette 67e session des Nations unies : recommandation de l’Assemblée générale à déguerpir du Golan, pris sur la Syrie à l’occasion de la guerre des Six jours en 1967 et annexé en 1981 (New York, 1er décembre, Ria Novosti]. Pire encore, l’Assemblée générale a en outre appelé l’État hébreu à renoncer définitivement à faire de Jérusalem sa capitale et à entamer un dialogue de paix avec les Palestiniens. Une des résolutions réaffirme à ce titre que « toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, Puissance occupante, qui ont modifié ou visaient à modifier le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, en particulier la prétendue “Loi fondamentale” sur Jérusalem et la proclamation de Jérusalem capitale d’Israël, étaient nulles et non avenues et devaient être immédiatement rapportées » !
Last but not least, le pire du pire, les Nations unies engagent dorénavant Israël à ouvrir les portes de leurs centres atomiques aux inspections internationales (Associated Press, 4 décembre). L’Assemblée générale ayant massivement approuvé une résolution enjoignant Israël de se mettre à jour vis-à-vis de la communauté internationale en matière de nucléaire civil et implicitement/explicitement militaire. La résolution approuvée lundi 1er décembre par un vote de 174 pour, 6 contre et 6 abstentions, appelle instamment Israël à adhérer au Traité de non-prolifération nucléaire « sans plus tarder » et « à ouvrir sans restriction ses installations aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique ». Rappelons cependant qu’Israël n’est pas seul à refuser de se soumettre aux règles de bonne vie commune sur cette question, partageant ce triste privilège avec trois autres États – l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord – officiellement détenteurs de l’arme atomique et des vecteurs afférents.
Observons que les six États s’étant opposés à la normalisation de la situation nucléaire de l’État hébreu sont comme il se doit Israël lui-même, les États-Unis, le Canada… les îles Marshall, la Micronésie et Palau ! Un assemblage pour le moins baroque qui donne la mesure de l’isolement diplomatique – sur ce dossier – de la superpuissance américaine. Un vide proprement effrayant que les Européens n’ont pas osé atténuer en se solidarisant avec Big Sister America. Un découplage impressionnant et un détramage diplomatique que ne parviendra pas à masquer très longtemps la médiatisation outrancière des dernières péripéties de la scène politique égyptienne.
On saisira que dans une telle conjoncture géopolitique de chute libre, il devienne prioritaire pour le couple américano-israélien d’ouvrir un front de guerre active en Syrie, entre autres pour rattraper – si c’est encore possible – l’effondrement du « crédit conjoint » américano-sioniste intervenu à l’occasion de cette 67e Assemblée générale. Un véritable krach sur la valeur internationale de l’Amérique-monde – et de son acolyte – qui ouvre au demeurant de bien peu engageantes perspectives d’avenir pour la paix et la stabilité régionales… mais également globales.