Mi-octobre, un drapeau palestinien brandi sur scène conduisait le patron du Café de la danse, à Paris, à exclure officiellement les artistes israéliens et palestiniens de sa programmation – mesure extrême et litigieuse sur laquelle il est revenu le jour suivant. Mercredi soir 27 novembre, c’est un keffieh pendu au micro d’une musicienne qui a semé la discorde lors du récital de Dee Dee Bridgewater à l’Espace Carpeaux de Courbevoie (Hauts-de-Seine), provoquant son interruption et l’évacuation de cinq cents spectateurs par la police municipale.
La tournée européenne de la chanteuse de jazz américaine, venue présenter un répertoire de protest songs avec son quartet féminin (le bien nommé We Exist !), s’était jusque-là déroulée sans accroc. Tous les soirs, Rosa Brunello, la contrebassiste italienne du groupe, avait accroché à son pied de micro un keffieh, ce grand foulard arabe traditionnel devenu l’emblème de la cause palestinienne. Jamais le public n’avait semblé s’en émouvoir.
Le concert du 27 novembre, à Courbevoie, était la dernière des dix-sept dates françaises de Dee Dee Bridgewater. Mais alors que la diva de 74 ans chantait depuis une bonne quarantaine de minutes, une dame de la même génération assise au milieu du public l’a soudain invectivée sur la présence ostensible du carré de tissu noir et blanc, déclarant être dérangée par l’exhibition d’un symbole aussi politique. Dee Dee Bridgewater était sur le point d’entonner le très militant Mississippi Goddam, de Nina Simone : un hymne de la colère noire, écrit en 1963, en réponse à la ségrégation et à une série de meurtres racistes dans le Mississippi et en Alabama.
L’apostrophe de la spectatrice, alors qu’elle venait justement d’expliquer le contexte très politique de la chanson, l’a prise de court, mais la musicienne lui a répondu avec calme, en français, rappelant que dans un pays comme la France, a fortiori dans un lieu de culture, chacun était libre de s’exprimer et qu’elle n’était pas en mesure de brider le droit de parole de sa musicienne. Elle a repris sa chanson, soutenue par le public qui s’est mis à taper dans ses mains pour l’encourager. Las ! Des spectateurs avaient pris à partie la semeuse de troubles et celle-ci, sous les huées, a repris ses vitupérations de plus belle.
Soucieuse de ramener le calme, Dee Dee Bridgewater a fini par demander à sa contrebassiste de retirer le keffieh. La musicienne l’a aussitôt dénoué, mais ce geste de bonne volonté n’a pas suffi à calmer la spectatrice ni à désamorcer l’engrenage. Car dans la foulée, le directeur artistique de l’Espace Carpeaux, Philippe Lignier, a cru bon de prendre le micro. Sans doute cherchait-il avant tout à trouver un compromis, mais dire, en substance, qu’un concert n’était pas voué à se transformer en tribune politique, était pour le moins maladroit.
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« Cette dame aussi avait le droit de manifester sa réprobation, poursuit China Moses, mais elle l’a outrepassé quand elle a pris toute une salle en otage. » Car ni China Moses, ni la tourneuse manageuse de Dee Dee Bridgewater, ni même son propre mari ne sont parvenus à raisonner la spectatrice. Isolée, de plus en plus agitée, celle-ci a résisté par moult gesticulations quand des agents de la sécurité ont voulu lui faire quitter les lieux. Philippe Lignier a finalement fait appel à la police, qui s’est avérée tout aussi impuissante à contraindre cette dame âgée. Le reste du public a été évacué. La septuagénaire, seule au milieu des gradins, est encore restée assise près d’une heure avant de sortir.
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