Le président voulait faire un gros coup en promettant une « prime de 1 000 € contre dividendes » aux salariés. Problème : cette mesure se révèle inapplicable. Encore du vent…
Nicolas Sarkozy nourrirait-il une passion cachée pour Lucien Jeunesse, feu l’animateur du célèbre Jeu des mille francs ? Depuis deux semaines, la France ne parle plus que de ça, une audience que jamais l’animateur n’aurait espérée : qui va gagner cette prime de 1 000 € ? Mille euros ou moins, car le montant, annoncé la première fois le 15 avril par le ministre du Budget, François Baroin, devra être négocié dans chaque entreprise concernée.
Une semaine plus tôt, en déplacement à Issoire (Puy-de-Dôme), le président de la République, à la peine sur la question du pouvoir d’achat, croit tenir enfin sa martingale : « Je voudrais qu’on imagine un système qui fait qu’au moment où on augmente ce qu’on donne aux actionnaires […] les salariés en aient une partie aussi », lance-t-il devant des ouvriers du groupe Alcan. Voilà comment naît l’idée de la fameuse « prime de 1 000 € contre dividendes ». L’incrédulité des salariés du groupe d’aluminium augurait mal du destin de cette annonce.
Car le rêve vire au cauchemar. Laurence Parisot, patronne du Medef, s’emporte contre une vision d’économie « administrée ». Pis, les syndicats fustigent un dispositif qui ne concernerait que 25 % des salariés, laissant sur le carreau les moins protégés, ceux des petites entreprises. Enfin, que dire aux fonctionnaires à qui l’on vient d’annoncer un gel des salaires ? « Que demandent les salariés aujourd’hui ? Ils veulent plus sur leur fiche de paye, c’est tout simple », conclut Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière. A l’unisson, les centrales syndicales entendent qu’on parle salaires et pas prime exceptionnelle. Quant au gouvernement, il est pris de court par un projet qu’il découvre… en même temps que les Français. Et se divise sur les modalités, voire sur son opportunité.
Deux semaines après l’annonce présidentielle, le gouvernement a été contraint de sortir du bois en annonçant que la mesure ne sera obligatoire que pour les entreprises de plus de 50 salariés et uniquement en cas de hausse de leurs dividendes. Ce qui limite sérieusement la portée de la mesure.
Un slogan, pas une mesure
Mais d’où vient donc l’idée la plus idiote de l’année ? « De Jean Castex, le conseiller social du président. Nous avons appris l’existence de ce projet le jour ou le président en a parlé », raconte-t-on à Bercy. Où l’on reconnaît que si « le président a ouvert le débat », le ministère de l’Economie a bel et bien été pris au dépourvu : « Nos services n’ont pas fait d’analyse d’impact avant le 7 avril », nous confirme-t-on. Bref, l’absence de consultation des technos du ministère de l’Economie montre, si besoin, que la proposition tient davantage du slogan que de la mesure pensée, étudiée et chiffrée.
Même son de cloche au ministère du Travail : « Ça vient tout droit de l’Elysée », assure l’entourage de Xavier Bertrand. Proche des « sociaux » de l’Elysée, le ministre du Travail a pourtant fait le job. Rue de Grenelle, on sait que l’affaire est mal emmanchée : « Cette histoire va finir en usine à gaz. »
Il faut dire que, sous les coups de boutoir du patronat, relayé par le ministre de l’Economie et le Premier ministre, la proposition initiale s’est réduite comme peau de chagrin. S’il est toujours question de prime pour les salariés des entreprises qui ont versé des dividendes, les conditions sont devenues de plus en plus drastiques au fil des jours.
Au seul critère de versement de dividende s’ajoute désormais celui de leur augmentation d’une année sur l’autre. Selon le rapport Cotis, du nom du directeur général de l’Insee, 16 % des PME, 30 % des entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 5 000 salariés) et 41 % des grandes entreprises répondaient, en 2006, au premier critère, soit 25 % des salariés. Avec le second critère ? On ne sait pas…
Tournant « social » raté
Mais prenons l’exemple de Total. Les dividendes du pétrolier étant restés stables, à 2,30 € par action, la plus riche des entreprises françaises, la plus emblématique, avec ses 10 milliards de bénéfices en 2010, ne devrait rien à ses salariés !
Ce n’est pas la première fois que le président, par précipitation et absence de consultation, se casse les dents dans sa tentative de réconcilier le capital et le travail, façon gaulliste*. En 2004, alors ministre des Finances, il avait déjà assoupli les règles de l’épargne salariale, pour permettre aux salariés de la toucher immédiatement, sans pénalité. Résultat ? « Ce fut une double arnaque. En forçant les entreprises à verser cette participation, c’est autant qu’elles ont refusé en augmentations de salaire ! Et pour les comptes publics, l’exonération de charges a entraîné une perte fiscale et sociale… », ironise un ancien responsable patronal.
Rebelote en 2009. Nicolas Sarkozy découvre la règle des « trois tiers » pour le partage des profits. A nouvelle idée, nouveau slogan : un tiers aux salariés, un tiers à l’investissement et un tiers aux actionnaires. Idée finalement enterrée… en demandant un rapport sur le partage de la valeur ajoutée à Jean-Michel Cotis, le directeur de l’Insee. « Nicolas Sarkozy tourne comme une mouche autour du même sujet depuis longtemps, ironise un économiste libéral. Le problème, c’est que la boîte à outils qui va avec ce discours existe bien, mais qu’elle est très à gauche. Des outils qui ne figurent même pas dans le programme du PS ! »
Pourquoi donc annoncer publiquement une prime qui courait, de toute évidence, tous les risques de finir dans le bas-côté ? Il fallait bien que la présidence fasse un geste sur le pouvoir d’achat. Après les tarifs sociaux, le gel du prix du gaz, celui de l’électricité jusqu’en 2012, la hausse des indemnités pour frais kilométriques – autant de mesurettes censées amortir la poussée d’inflation sur l’énergie ou les produits alimentaires –, Nicolas Sarkozy pensait faire ainsi un gros coup.
La prime de 1 000 € constituait un double bénéfice : taper sur les dividendes et redonner un coup de pouce aux salariés. Comme si les hauts cris du Medef valideraient automatiquement un tournant « social » de la présidence. « L’idée était d’estomper l’assouplissement de l’ISF », glisse-t-on aussi chez Xavier Bertrand. En effet, selon les calculs de Thomas Piketty, professeur à l’Ecole d’économie de Paris, la réforme de l’ISF et la disparition du bouclier fiscal vont permettre à 1 900 foyers aisés d’économiser « en moyenne plus de 160 000 € par rapport au système actuel ».
Cent soixante fois plus que cette prime incertaine.