Dans son dernier numéro, l’Obs révèle l’existence d’un centre d’écoutes installé à seulement 9 km de Paris, plus précisément au 148 rue du Lieutenant Petit-Leroy, à Chavilly-Larue. Or, il se trouve que cette adresse est celle d’une annexe de l’ambassade de Chine en France.
Officiellement, cette emprise abriterait une « annexe logistique ». Mais ces antennes et autres paraboles trahissent en fait un centre d’écoutes satellitaires de l’unité 61046 du 3e département de l’Armée populaire de libération (APL-3), l’équivalent chinois de la NSA américaine. Du moins, rapporte l’Obs, c’est ce que croient savoir les services français.
Ce centre fait partie d’un ensemble plus vaste. La Chine en dispose d’autres sur l’île de Hainan, à Cuba, au Laos ou encore en Birmanie. D’après un spécialiste des interceptions satellitaires consulté par l’hebdomadaire, le système installé à Chavilly-Larue, de par l’orientation de ses antennes, servirait à « écouter » l’Afrique et le Moyen-Orient, qui sont « deux zones prioritaires dans la guerre économique qui oppose la Chine à l’Occident, la France en particulier ».
Légalement, les ambassades et leurs dépendances sont « inviolables » (convention de Vienne). Pour autant, il n’est pas possible d’y faire ce que l’on veut. Comme par exemple y installer un poste émetteur radio. Sauf si l’autorisation est donnée par « l’État accréditaire ». En clair, les autorités françaises, qui ne font pas de commentaires à ce sujet, n’auraient exprimé aucune opposition à l’installation de ces antennes dans la banlieue parisienne.
Quand l’accord a-t-il été donné ? D’après l’Obs, il l’aurait été en 2010. « Évidemment, la demande officielle chinoise concernait des moyens de transmissions et non d’écoutes. C’était d’autant plus facile à faire passer que les paraboles pour les deux utilisations identiques. Mais personne n’a été dupe. La DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, ex-DCRI) a râlé mais on lui a répondu que la France était en train de négocier de gros contrats, il fallait se montrer coulant », a expliqué un ex-haut responsable français sollicité par l’hebdomadaire. Et les dirigeants de l’époque sont tous plus ou moins frappés d’amnésie…
La même année, la Délégation interministérielle à l’intelligence économique (D2ie) avait remis un rapport de 25 pages sur l’espionnage chinois en France au Coordinateur national du renseignement. Manifestement, le document a dû servir à caler un coin de table… Car selon Vanity Fair (n°15), qui a pu en consulter une copie, le silence est de mise à son sujet. Tout au plus a-t-on fait comprendre au mensuel qu’ « aucun signal négatif ne doit parasiter l’entente cordiale entre Paris et Pékin ».
« La Chine est déterminée à devenir indépendante de l’Occident en matière d’innovation technologique. Elle est donc avide de connaissances, de savoir-faire et de procédés à faire venir en Chine ou à absorber à l’étranger », était-il écrit dans ce rapport, signé par Olivier Buquen, un proche de Brice Hortefeux. Les services chinois ont recours à plusieurs « ficelles » pour arriver à leurs fins.
Il y a bien évidemment le cyber-espionnage, qui fait régulèrement l’objet de rapports très bien documentés (au passage, cela n’empêche par l’armée française d’aller se fournir chez Lenovo pour son matériel informatique). Et puis il y a des pratiques plus classiques comme les vols de matériels informatiques et de documents, l’approche de scientifiques et de dirigeants, les « visites » de chambres d’hôtel ou encore recours à des espionnes aux formes affriolantes. Mais il y a surtout le placement d’étudiants et de « stagiaires » dans les entreprises françaises. « Ils forment des bataillons d’espions motivés et bénévoles ; Chaque chinois qui étudie ou travaille à l’étranger peut être "actionné" un jour ou l’autre au service de son pays », a expliqué un expert de l’intelligence économique à Vanity Fair.
Or, en mars dernier, le président Hollande a appelé à multiplier les échanges avec la Chine, notamment au niveau des « universités, des laboratoires et des chercheurs ». De quoi faire tousser au sein des services de contre-espionnage.
« On sait que les services secrets de Pékin demandent à beaucoup d’étudiants chinois envoyés à l’étranger de grappiller des infos. Ils leur fournissent même des listes de question. On avait obtenu de Sarkozy de limiter leur nombre à 50 000 par an. Mais Hollande vient d’autoriser la venue de 80 000 ! Pour eux, ce sera open bar », a déploré un cadre de la DGSI dans les colonnes de l’Obs. Et outre les stagiaires, il y a aussi le nombre de journalistes chinois accrédités par le Quai d’Orsay, lequel a augmenté de façon « exponentielle ». Visiblement, il s’agit d’une très bonne couverture pour un officier de renseignement…
Alors, pourquoi cette naïveté (ou cette passivité) ? L’hebdomadaire a posé la question à Roger Faligot, l’un des rares spécialistes des services de renseignement chinois (et pour cause, il les « pratique » depuis 40 ans). « En France, une partie de l’élite a été favorable à Mao ou nourrit une passion particulière pour la culture et la civilisation chinoises. Ces personnalités estiment que Paris et Pékin doivent se rapprocher bien davantage, notamment pour contrer l’influence des États-Unis et rafler des contrats », a-t-il expliqué.
Et, « de peur de perdre ces fameux contrats, les autorités politiques rechignent à prendre le problème à bras-le-corps. Pire, elles le minimisent sans cesse », a ajouté M. Faligot. Et cette « complaisance » vaut à droite comme à gauche. « Que de bonheurs possibles dont on sacrifie ainsi la réalisation à l’impatience d’un plaisir immédiat », a écrit Marcel Proust. À méditer…