Dans le chaos moyen-oriental, les chrétiens sont aujourd’hui en première ligne. Etes-vous de ceux qui estiment qu’il faut « défendre les chrétiens d’Orient » contre les coupeurs de tête du nouveau califat ?
Je ne suis pas tout à fait sûr que le pays qui a inventé la guillotine soit le mieux placé pour reprocher aux djihadistes de décapiter leurs ennemis ! Mais je réponds bien sûr à votre question par l’affirmative. Cela dit, on peut défendre les chrétiens d’Orient pour des raisons très différentes. On peut le faire par solidarité confessionnelle, c’est-à-dire par réflexe communautariste (chrétien). Mais il est étrange que cette solidarité s’exerce si rarement en faveur des chrétiens de Palestine, dont le patriarche latin de Jérusalem rappelait récemment qu’ils meurent à Gaza, tout comme les musulmans, sous les obus israéliens, pour ne rien dire des Yazidis, dont la religion, héritée de l’ancien culte indo-iranien, avait déjà 2000 ans d’existence à la naissance du Christ.
On peut aussi le faire parce que l’on croit que l’islamisme est aujourd’hui l’ennemi principal, ce qui n’est pas mon avis (l’ennemi principal est à mes yeux l’expansion planétaire de la logique de la marchandise imposée par l’illimitation du système capitaliste qui aboutit à priver l’homme de son humanité). On peut enfin le faire, comme Barack Obama, parce que l’on trouve que les combattants islamistes s’approchent un peu trop des puits de pétrole du Kurdistan (la production pétrolière kurde passera l’an prochain à 250 000 barils/jour).
Pour ma part, je préfère les défendre pour une raison de principe, en l’occurrence mon hostilité à toute forme de persécution ou d’inquisition politique, religieuse, culturelle ou autre. Un principe ne vaut évidemment que par sa généralité : les chrétiens doivent pouvoir vivre leur foi en « terre musulmane », comme les musulmans doivent pouvoir vivre la leur en « terre chrétienne ».
Que devrait faire la France pour ces chrétiens persécutés ?
Il y a différentes manières de défendre les chrétiens d’Orient. Les mesures de sauvetage humanitaire en sont une, l’action militaire en est une autre. Or, François Hollande a décidé d’envoyer des armes (lesquelles, d’ailleurs ?) aux Kurdes irakiens. Il en avait livré précédemment aux islamistes syriens. Cela revient à dire que la France est entrée en guerre. Dès lors, la question n’est plus de savoir si l’on aime ou non les chrétiens d’Orient, mais de savoir s’il est de l’intérêt de la France de participer aux côtés des Américains à une nouvelle guerre d’Irak. Cela n’est pas d’évident. Plutôt que d’agir sur les conséquences, il me semble qu’il vaudrait mieux agir sur les causes. À l’heure actuelle, la France se veut l’alliée de l’Arabie saoudite et du Qatar, qui sont les principaux soutiens des criminels illuminés de l’État islamique, et l’ennemie de la Syrie de Bachar al-Assad, qui les combat. Si l’on veut défendre sérieusement les chrétiens d’Orient, c’est par un renversement d’alliance qu’il faudrait commencer.