Pour Mahmoud Khalaf, un habitant de Gaza, c’est une expérience pour le moins inhabituelle de se prosterner cinq fois par jour pour la prière musulmane sous le regard d’une icône de Jésus dans une église de l’enclave palestinienne.
Mais depuis que l’armée israélienne a commencé à pilonner sa ville de Chaaf, dans le nord de ce petit territoire de quelque 360 km carrés, il n’a pas eu d’autre choix que de se réfugier dans l’église grecque-orthodoxe Saint-Porphyre, dans le quartier du Vieux Gaza.
"Ils nous laissent prier. Cela a changé la vision que j’avais des chrétiens. Je n’en connaissais pas vraiment avant, mais ils sont devenus nos frères", explique ce musulman palestinien de 27 ans.
"L’amour entre les musulmans et les chrétiens grandit ici", témoigne-t-il.
Mahmoud Khalaf triture nerveusement son chapelet mais il se dit en même temps soulagé d’avoir trouvé refuge, avec quelque 500 autres déplacés, dans cette église dont personne n’ose imaginer qu’elle pourrait être une cible.
Il commence à s’habituer à prier dans un lieu de culte d’une religion étrangère, plus encore durant le ramadan, le mois sacré de jeûne musulman qui s’achève fin juillet.
Chaque jour, il se tourne vers La Mecque, le premier lieu saint de l’islam en Arabie saoudite, récite les versets du Coran et se prosterne, comme il le ferait dans une mosquée.
Et les prêtres comme les paroissiens de Saint-Porphyre sont attentionnés pour leurs hôtes.
Fête des martyrs
"Les chrétiens ne jeûnent pas, bien sûr, mais ils évitent soigneusement de manger devant nous pendant la journée. Ils ne fument pas et ne boivent pas quand ils sont avec nous", observe Mahmoud Khalaf.
Mais il reconnaît qu’il est difficile de rester pieux quand les obus pleuvent alentour et que plus de 900 Palestiniens ont été tués, en majorité des civils et pour beaucoup des enfants.
"En temps normal, je suis un musulman pratiquant, mais j’ai fumé pendant ce ramadan. Et je n’observe pas le jeûne à cause de la peur et de la tension dues à la guerre", avoue-t-il.
La semaine prochaine, la grande fête du Fitr marquera la fin du ramadan. Mais pour les familles endeuillées, pour les dizaines de milliers de déplacés et pour tous ceux qui subissent encore les bombardements, le coeur ne sera pas à la fête.
"Les chrétiens et les musulmans vont peut-être célébrer l’Aïd ensemble ici", avance Sabrine al-Ziyara, une musulmane qui travaille depuis 10 ans comme femme de ménage à Saint-Porphyre.
"Mais cette année, ce ne sera pas la fête de la fin du jeûne, ce sera la fête des martyrs", dit-elle tristement.
"Aime ton prochain"
Malgré l’atmosphère de cohabitation et de tolérance, l’église, à l’ombre du minaret de la mosquée voisine, demeure au milieu d’un champ de bataille et les tensions restent vives.
Ainsi, l’arrivée de provisions provoque presque une rixe entre les femmes et les enfants qui se précipitent pour attraper les sacs contenant du pain et de l’eau, que des volontaires de l’église tentent de distribuer de manière aussi ordonnée que possible.
Alors que les explosions résonnent non loin de là, une dispute oppose l’archevêque grec-orthodoxe Alexios et l’un des volontaires, apparemment pour savoir qui laisser entrer dans l’église.
Mardi, le cimetière adjacent a été touché par des obus et les bâtiments de la cour sont grêlés d’impacts d’éclats. Mais les bombes ne font pas de discrimination : le cimetière musulman, en face, a aussi été touché par un missile israélien.
La communauté chrétienne de Gaza compte environ 1 500 âmes, des grecs-orthodoxes pour la plupart, sur une population majoritairement musulmane de 1,8 million d’habitants. Il ne resterait plus que quelque 130 catholiques romains.
De fait, la coexistence n’est pas toujours aussi amicale. La minorité chrétienne a fait l’objet de plusieurs attaques imputées aux extrémistes islamistes et condamnés par le Hamas, qui contrôle Gaza.
Mais l’expérience de subir ensemble les bombardements, renforce les liens.
"Jésus a dit : Aime ton prochain. Pas seulement ta famille, mais ton collègue, ton camarade de classe : musulman, chiite, hindou, juif", explique Tawfiq Khader, un volontaire chrétien. "Nous ouvrons nos portes à tous".