Notre journaliste était devenue végétarienne il y a cinq après un séjour au Chiapas. C’est un autre voyage, cet été, qui l’a décidée à manger de la viande à nouveau. Elle nous explique pourquoi.
Je suis devenue végétarienne il y a cinq ans, par conviction écologique. Aujourd’hui, je remange de la viande... par conviction écologique.
J’ai renoncé aux cuisses de poulet et au rôti de veau en 2010, lors d’un séjour au Chiapas mexicain. Là-bas, dans les montagnes, des communautés rurales mal nourries cultivent d’arrache-pied des lopins caillouteux pour y faire pousser du café. Et à moins de dix kilomètres, dans des plaines fertiles, des milliers de vaches paissent, attendant d’être réduites en steaks congelés pour le marché états-unien. Vision saisissante d’un système agricole absurde. Écœurée, je décidais alors de ne plus prendre part à ce cirque. Devenir végétarienne était un acte à ma portée, ma petite contribution au bien-être animal, à la préservation de la planète et à la lutte contre les inégalités sociales. Du moins, c’était mon avis jusqu’à peu.
En avril dernier, je suis partie en vélo à la rencontre des paysans. De ferme en ferme, j’ai découvert un monde que je pensais connaître. J’ai trébuché, les pieds pris dans mes a priori. Voilà ce qui arrive quand on troque ses bottines contre des bottes. Car la surprise est dans le pré. Surtout, je n’imaginais pas, en enfourchant ma bicyclette, que je redeviendrais carnivore.
Première étape : chez Polo, mes tripes vacillent
Aux Molles, le vent ariégeois balaie inlassablement les collines vertes. Polo, Martine et leur fils Ilan vivent ici depuis vingt-cinq ans, dans des maisonnettes de bric et de broc. Ils élèvent un petit troupeau de chèvres, vendent fromage et chevreaux. Tous les matins, ils traient à la main leurs amies cornues, puis les mènent en pâturage à travers les monts pelés. L’été, ils montent en alpage dans les Pyrénées. Ils vivent chichement et heureux, indéniablement.
« Quand nous sommes arrivés, il n’y avait que des ronces ici, rien d’autre ne poussait », me raconte Polo. Peu à peu, grâce à l’inextinguible appétit des chèvres, les buissons épineux reculent, laissant place aux prairies. Le paysage s’ouvre, les sols gagnent en fertilité. « Aujourd’hui, le lieu s’est transformé, il est devenu vivable. On peut s’y promener, planter des arbres fruitiers, et même cultiver un potager ! »
Au moment du dîner, ses paroles résonnent dans ma tête. Et sèment le doute dans mon estomac. Non, l’élevage, ce n’est pas que la ferme des 1.000 vaches et les feedlots nord-américains. Oui, élevage et écologie peuvent être compatibles. [...]
Il y a les 1000 vaches, les 2000 truies, les 200.000 poulets. Il y a aussi des familles qui vivent avec cinq poules, trois cochons, une vache, un potager, un verger. À l’opposé des fermes usines, il existe encore de très nombreuses fermes maisons. C’est le cas en Transylvanie roumaine, où la plupart des villageois possèdent encore des terres agricoles.