Pierre de Brague vient de sortir un excellent (et salutaire) livre intitulé Dictionnaire de conscience révolutionnaire, édité par Kontre Kulture. Salutaire, car il va permettre, par son accès facile et pédagogique, à des jeunes militants notamment, de voir autre chose en termes de « culture historique et politique », que les traditionnelles références dites « de droite ». Car là, c’est un livre qui penche à gauche, c’est un livre qui penche vers le social, et cela ne fait pas de mal, bien au contraire. Cela devrait permettre à certains, après lecture, de commencer à « tuer le bourgeois » qui est en eux.
Pensé comme un manuel de combat, ce Dictionnaire de conscience révolutionnaire présente cinquante-et-une figures de la philosophie et de la métaphysique à l’aune d’une grille de lecture politique héritée du syndicaliste révolutionnaire Édouard Berth et du communiste critique Costanzo Preve, complétée par les travaux de Werner Sombart, Michel Clouscard, Henri Lefebvre, Roger Garaudy, Georges Sorel, Pierre-Joseph Proudhon, Félix Niesche et Alain Soral.
Pour évoquer cet ouvrage, nous avons posé quelques questions à Pierre de Brague.
Breizh-Info : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Pierre de Brague, militant d’Égalité & Réconciliation et auteur Kontre Kulture depuis plus de dix ans ; je n’ai jamais milité ailleurs. Ne vous laissez pas avoir par la particule de mon pseudonyme, je ne viens pas d’un milieu aristocratique !
Qu’est-ce qui a été le déclencheur de la rédaction de ce Dictionnaire de conscience révolutionnaire, et quel impact souhaitez-vous qu’il ait ?
Ce livre est d’abord un aboutissement personnel dans le sens où il synthétise des réflexions ancrées en moi depuis que je m’intéresse à la question politique. Ensuite, il est conçu comme un outil pour l’époque, une réponse à la problématique du « temps de cerveau disponible » formulée jadis de manière cynique par Patrick Le Lay (un Breton !), alors PDG de TF1. Enfin il correspond à ma volonté de remettre en question des fondamentaux épistémologiques qui sont trop souvent considérés comme des dogmes abstraits… Un peu de nettoyage ne peut pas faire de mal ! J’ai le sentiment que le véhicule révolutionnaire ira plus loin si sa mécanique est mieux huilée.
Qu’est-ce qu’avoir une conscience révolutionnaire dans la société française au XXIe siècle et comment est-ce que cela se traduit dans l’action du quotidien ?
L’idée est d’aiguiser sa conscience : conscience de la menace ploutocratique qui pèse sur la civilisation occidentale, conscience de la nécessité de dépasser le capitalisme, conscience de la métamorphose de la lutte des classes qui met aux prises producteurs et expropriateurs. Prosaïquement, avoir conscience des enjeux tout en ayant une vision à long terme permet d’éviter les nombreux pièges tendus par le quotidien et l’actualité. En somme, il faut être capable de garder son cap si on veut réellement faire bouger les choses. À cet égard, le portrait de Lénine dans l’ouvrage devrait faire réfléchir…
Comment votre formation en sciences politiques a-t-elle influencé votre perspective et vos écrits dans ce livre ?
A priori aucunement, si ce n’est que mon mémoire de recherche universitaire consacré au Cercle Proudhon a finalement été ma porte d’entrée dans le monde de l’édition, puisque publié par Kontre Kulture en 2014. Ma grille de lecture, je l’ai développée hors de tout cadre en recoupant des penseurs tels qu’Édouard Berth, Costanzo Preve, Werner Sombart, Michel Clouscard, Henri Lefebvre, Georges Sorel, Pierre-Joseph Proudhon et Alain Soral.
Quels sont les penseurs (présents dans votre livre) ou mouvements historiques qui ont le plus influencé votre approche de la révolution dans le contexte contemporain ?
De manière primaire, je répondrais évidemment Proudhon, Sorel et Lénine mais les lecteurs qui feront l’effort de comprendre ma thèse verront que je brosse le portrait d’une surprenante famille de pensée qui va de Pascal à Nietzsche en passant par Spinoza, Hegel, Marx, Bergson et même Voltaire ! De quoi ouvrir les débats…
Comment voyez-vous l’évolution de la conscience révolutionnaire dans un monde de plus en plus numérisé et globalisé ?
C’est un paramètre à prendre en considération et j’ai moi-même produit une analyse critique de cette « nouvelle culture de masse », mais le problème me paraît plus être celui – classique d’un point de vue révolutionnaire – du contrôle de l’information et des moyens de communication. De ce point de vue, je regarde plus vers Elon Musk que vers les penseurs post-modernes… Et si je veux penser en dialecticien et en propagandiste, je dirais : « Geeks de tous les pays, unissez-vous ! ». On ne sait jamais, quelques génies de l’informatique voudront peut-être aider la résistance française.
Comment espérez-vous que ce livre influencera le dialogue ou l’action révolutionnaire dans les milieux académiques, militants ou au-delà ?
Pour plaisanter avec moi-même, je me dis parfois : « J’ai fait un livre de gauche à l’extrême droite », histoire de mettre en exergue le côté « course aux obstacles » de ma démarche. Et pourtant, je crois que j’ai mis le doigt sur quelque chose avec cet ouvrage, dans le sens où il répond à certaines attentes larvées du public. Les cadres sont étriqués (les milieux académiques et militants français sont généralement rétractés sur eux-mêmes) mais les esprits sont ouverts. En tout cas, je n’arrêterai pas d’essayer de les ouvrir, comme on le fait avec E&R depuis le début.
Enfin, quel message clé ou quelle réflexion souhaitez-vous laisser aux lecteurs après avoir parcouru votre Dictionnaire de conscience révolutionnaire ?
Permettez-moi de citer une phrase de l’introduction de l’ouvrage pour vous répondre : « Toute construction pérenne nécessite à la fois un idéal et des fondamentaux… ». Merci pour cet entretien et meilleurs vœux à vos lecteurs.