Une semaine avant que les survivants de Charlie ne racontent la terrible matinée (en fait une minute quarante-neuf secondes de tuerie) du 7 janvier 2015 au procès de la cellule terroriste qui aurait aidé à préparer cet attentat sanglant, sortait la très longue interview de Philippe Val – l’ex-patron de l’hebdomadaire qui a sauté du train qu’il avait lancé à toute allure vers son destin funeste – dans la revue Transfuge. Pour ceux qui l’ignorent, ce trimestriel culturel est d’obédience ou de culture sioniste, même si c’est pas dit.
Et d’abord, pour nous remettre dans l’ambiance glauque de ce jour, un extrait du livre de Riss dans Le Parisien, un témoignage sorti il y a un an et intitulé sobrement Une Minute quarante-neuf :
Couché à plat ventre dans un coin de la pièce — « mon visage enfoncé dans mes bras croisés, les yeux fermés » — et s’efforçant, « en apnée », de dissimuler sa respiration. « 11 heures 33 minutes 47 secondes, ils entrent/11 heures 33 minutes 48 secondes, je suis vivant/11 heures 33 minutes 49 secondes, je suis vivant ». Ainsi de suite jusqu’à la délivrance : « 11 heures 35 minutes 36 secondes, ils sortent/Je suis vivant/Je ne suis pas mort ». À ce constat, celui qui dirige aujourd’hui le journal satirique ne met pas de point final. Comme s’il attendait encore, et toujours, la rafale qui lui ôtera la vie. [...]
« Charlie Hebdo s’était permis une audace (NDLR : publier des caricatures et représenter Mahomet en couverture) que leur auguste personne n’avait pas eue. Notre insolence devait donc être dévalorisée et notre parole disqualifiée […]. 2015 me fit comprendre ce qu’avait été la collaboration, car je pus observer à quel point le confort intellectuel copulant avec l’instinct de survie poussent les esprits les plus brillants vers la complaisance et la lâcheté. »
Mais l’attaque se fait plus forte et désespérée encore : le constat, s’appuyant sur les rescapés des camps de concentration, qu’il ne faut rien attendre du monde « ignorant » qui accueille les victimes. « Revenir parmi les vivants, c’est faire le choix de se taire. Parler ne servirait à rien. Ils ne comprendront rien, nous regarderont comme des fous et nous tiendront à l’écart. Il ne faut pas effrayer les vivants. Instinctivement, les survivants deviennent des animaux de compagnie qui espèrent retrouver leur place […]. Ne revendique rien d’autre et ferme ta gueule ».
Riss avait repris le canard qu’avait repris Charb de la main de Val. Dans ce long entretien consacré à la sortie du premier roman de Val (on imagine que la sortie qui tombe pile au moment du procès est calculée, et si c’est vrai c’est très cynique), le « néocons » (il le laisse comprendre dans une autre interview) se plaint de ce que la gauche française s’est fracturée pendant la guerre de Bosnie. À l’époque, Val avait imprimé au journal une conviction très impériale, très interventionniste, très américano-sioniste. De ce point de vue, il n’a pas changé.
« Sauf que la social-démocratie rocardienne a disparu, hélas, laissant sur le carreau des gens comme moi qui se font traiter de néo-cons parce qu’on est contre la destruction de l’État d’Israël. Ces souverainistes ré-idéologisés par le conflit yougoslave ont ensuite combattu le traité de Maastricht, le référendum constitutionnel européen… Voilà pourquoi je voulais écrire un roman situé dans ce bourbier yougoslave, creuset originel d’un virus souverainiste qui a frappé une partie de l’intelligentsia européenne. »
Il explique plus loin que le conflit yougoslave lui a « fait prendre conscience de quelque chose de très profond sur la construction européenne. Il était évident pour moi que l’on devait construire l’Europe ne serait-ce que pour la paix entre ses peuples ». En attendant, ce pacifiste réformé était à fond pour les bombardements de l’OTAN sur la Serbie, soi-disant pour défendre la liberté bosniaque. Ce sera après au tour de la liberté des Kosovars... qui connurent à la fin des années 90 leur mouvement d’émancipation nationale lié à l’UCK, une entité terroriste. Mais Val ne va pas si loin, ça pourrait contrarier son néoconservatisme.
Val entame alors une réflexion sur la démocratie, le débat, la tolérance. Lui qui était dans ses éditos rien moins que tolérant, peut-être avec l’âge, découvre les vertus du dialogue :
« Je suis un fervent lecteur des romanciers du XVIIIe et XIXe siècle et je suis toujours étonné, par exemple chez Hugo dans Quatre-vingt-treize, de voir à quel point certains de ses personnages opposent des arguments magnifiques à la pensée d’Hugo. Balzac a fait ça aussi dans plein de ses romans. Et je suis effaré de voir qu’après Proust, grosso modo, cet art de faire parler l’Autre a disparu. On a eu de grands talents monologuant, mais on ne peut pas dire que des écrivains comme Gide ont donné la parole dans leurs écrits à ceux qui les contredisaient. Le roman français au XXe siècle a souffert de cette carence. Les écrivains se sont mis à adhérer au Parti communiste, ou au fascisme, et la morale n’avait plus lieu d’être pour eux quand il s’agissait des adversaires. Alors en effet, j’ai essayé de faire parler l’Autre. J’avais à cœur de montrer que ceux qui ne pensent pas comme moi ont aussi des arguments solides. Et je regrette qu’aujourd’hui, ce genre de dialogue ne se passe plus nulle part. »
Dans son journal (il possédait avec Cabu 80 % des parts), il a tranquillement évincé tout ce qui ne pensait pas comme lui, dessinateurs et journalistes. On se souvient de l’épisode Siné, pourtant un historique de Charlie Hebdo, qui a été viré pour antisémitisme supposé (il s’était moqué du mariage du fils Sarkozy avec la fille Darty [1]). La méthode du CRIF, tout simplement : on accuse de fascisme, et le procès est terminé. Point de dialogue, l’accusation vaut condamnation !
Mais en 20 ans, Val a peut-être changé, comme nous changeons tous. Il croit à la démocratie, mais pas à l’outil Internet, qui pourtant a accordé le droit d’expression à tous. Le dialogue, oui, mais entre gens bien élevés, entre démocrates, si possible néoconservateurs !
« Internet, c’est un moyen de diffusion hallucinant de la moindre connerie complotiste. Autrefois, la bêtise complotiste était artisanale : ces gens avaient quelques feuilles de chou, maintenant, ils disposent d’un outil industriel international. Mon ami Rudy Reichstadt travaille sur les sites complotistes et la jungle de conneries diffusées est hallucinante. »
Rudy, le petit conspirationniste subventionné par la mairie de Paris qui passe son temps à comploter contre les patriotes, les Gilets jaunes, les anti-CRIF... Tous antisémites, voyez-vous ! « Tu n’es pas avec le CRIF ? Tu es antisémite ! » Illustration :
Tout est anti-sémite, les palestiniens, les quenelles, les comiques drôles, tous les arabes de l’univers, les dauphins, les moustiques qui piquent BHL, etc, c’est CLAIR
— Dajelmo (@Dajelmo1) September 12, 2020
Pour Val, les médias mainstream ne valent pas mieux que l’Internet. Les journalistes sont des tanches qui laissent une parole dangereuse – pourtant trois pages avant il défend la parole de l’Autre, allez comprendre... – s’écouler impunément au vu et au su de tous :
« Certains journalistes sont compétents, mais beaucoup ne travaillent pas assez et laissent le robinet ouvert. »
Enfin, Val explique qu’il n’y a pas de transcendance, d’où son attachement à l’universalisme (l’autre nom du sionisme au XXe siècle) :
« La pensée de Montaigne, c’est celle-là : quelle que soit la naissance, tout le monde a les mêmes droits, il n’y a rien avant la naissance et rien après la mort, et il faut faire en sorte que chacun puisse avoir une vie bonne. Si je pense que l’Autre n’a pas droit à une vie bonne, je ne vois pas comment la mienne pourrait l’être. Par conséquent, je ne veux pas qu’on fasse à l’Autre ce que je n’aimerais pas qu’il me fasse. À partir de là, pourquoi remettre en question l’universalisme, ce principe a garanti la paix à chaque fois qu’il a été respecté. Tant que la science ne nous aura pas prouvé qu’il y a un dieu qui a voulu l’univers, la Terre, l’humanité, l’universalisme reste pour moi une évidence. »
Et qui sont les anti-universalistes ? On vous le donne en mille : les islamistes. Il propose alors sa théorie « iranienne » :
« À l’époque, la République ne faisait pas grand chose pour ses immigrés, et pourtant, l’intégration fonctionnait plutôt bien. Et puis un événement politique a enrayé cette machine d’intégration en France : le retour de Khomeiny en Iran. J’ai constaté à partir de là un rejet progressif des valeurs occidentales alimenté par la propagande islamiste. Avant, la religiosité bigote n’existait pas chez les musulmans de France. Dans les années soixante, je n’ai jamais entendu le mot “islam” ni le mot “juif”. Après le retour de Khomeiny, l’Arabie Saoudite a répandu sa vision rigoriste de l’islam dans tout le monde musulman sunnite à coups de pétrodollars. Mitterrand a alors créé SOS Racisme mais c’était déjà trop tard. Puis on a arrosé les quartiers à coups de subventions jusqu’à aujourd’hui mais ça ne marche pas, parce que de l’autre côté, une partie des populations n’a pas la volonté de s’intégrer dans la République. Dans les années soixante-dix, il existait une critique de notre société, aujourd’hui, ce n’est plus une critique, c’est une condamnation sans appel. »
Val ne se pose pas la question :
1. de l’afflux d’immigrés et majoritairement de musulmans en Europe en général et en France en particulier ;
2. de ceux qui ont décidé d’ouvrir le robinet à migrants ;
3. de la responsabilité des sionistes aux commandes dans l’immigrationnisme forcené des gouvernements français successifs depuis 50 ans.
Val est sioniste, il le revendique – personne ne lui conteste ce droit –, mais il regarde trop les branches, pas assez les racines.
« Je ne nie pas que l’intégration fonctionne encore, je dis juste que sous l’effet de l’islamisme existe une montée du rejet des valeurs de la République. »
Val devrait peut-être, et c’est valable pour monsieur Finkielkraut, se poser la question de savoir si cette montée de l’islamisme ne serait pas, entre autres, une défense contre le sionisme d’État en France...
Nous terminerons sur un bon résumé de la pensée ou de la vision du monde valienne :
« Aujourd’hui ressemble à l’inverse des années soixante-dix : on disait à bas les flics, et maintenant, je peux travailler, vivre, me déplacer parce que des policiers assurent ma protection. On vit une époque où la liberté d’expression est protégée par les tribunaux et contestée par la rue ou les réseaux sociaux. »
On appelle ça l’ironie de l’Histoire. Mais de dire que « la liberté d’expression est protégée par les tribunaux » est faux, c’est même malhonnête de la part de Val, qui est très bien informé : les ennuis judiciaires d’Alain Soral et de son mouvement sont la preuve que seule la liberté d’expression tendance Charlie est protégée. Un peu tard, peut-être, quand on songe aux événements tragiques du 7 janvier.
Et puis la jurisprudence « Charlie » n’a pas profité aux pensées différentes, alternatives, à l’Autre quoi, comme dirait philosophiquement Val, lui qui loue Victor Hugo dans 93 (non, pas le département islamiste), son roman inachevé sur la Révolution et la Commune qui donne la parole à ceux qui ne sont pas hugoliens, c’est-à-dire républicains.
Or, la République, aujourd’hui, ne défend plus les Français, et encore moins les patriotes : elle défend les organes de pouvoir occultes communautaires qui ont mis la main sur elle.