Elle n’est pas sous les feux de l’actualité mais l’intégration du continent-monde continue, inexorable, au grand dam du Washingtonistan.
Les stratèges états-uniens ont dû se ronger quelques ongles en apprenant que l’Ouzbékistan allait rejoindre L’UEE. Le dernier "e" est d’importance : il ne s’agit évidemment pas de l’attirail d’euronouilles sis à Bruxelles, mais de l’Union économique eurasienne. Il y a un mois, la nouvelle est tombée :
« La présidente du Conseil de la Fédération de Russie a déclaré que le président ouzbek Chavkat Mirzioïev avait pris la décision d’engager la procédure d’entrée de son pays dans l’Union économique eurasiatique. Jusqu’alors, l’Ouzbékistan s’était toujours refusé à rejoindre l’union douanière. C’est un revirement de taille et rapide. Le président de l’Ouzbékistan a pris une décision et travaille sur la question de l’adhésion du pays à l’UEE. »
Ce revirement n’est pas tout à fait une surprise, comme le fidèle lecteur de nos Chroniques en avait été averti dès septembre 2016 :
Commençons par la mort d’Islam Karimov, satrape de l’Ouzbékistan depuis son indépendance en 1991. Personnage rusé et retors, il était le symbole de ces potentats centre-asiatiques issus du soviétisme. Comme son collègue turkmène au nom imprononçable (Gourbangouli Berdimoukhamedov) et aux mesures originales, Karimov était extrêmement sourcilleux sur l’indépendance de son pays, bien plus que les leaders des trois autres -stan. Aussi a-t-il mené une politique de relatif équilibre entre la Russie et les États-Unis.
Connaissant parfaitement le byzantinisme de la région et sachant ménager les susceptibilités locales, Poutine procéda par petites touches afin de ne pas se mettre à dos ce pays-clé de l’Asie centrale. Moins fin, tonton Sam et ses gros sabots se prit une volée de bois vert quand, en 2005 et après avoir utilisé durant des années la base aérienne de Karshi Khanabad pour son opération afghane, l’administration Bush se permit une critique suite à la répression des émeutes d’Andijan. La réponse ne se fit pas attendre : les Américains étaient invités à quitter leur base dans les plus brefs délais, perdant une occasion unique de s’implanter durablement dans le Heartland.
Rien n’a changé depuis et la mort de Karimov risque même d’accélérer le rapprochement avec Moscou au détriment de Washington. Vladimirovitch a fait les choses comme il faut, envoyant Medvedev aux funérailles et faisant lui-même un stop au retour du sommet du G20 en Chine afin de présenter ses condoléances, geste que l’on apprécie dans les steppes. La chaleureuse réaction du Premier ministre ouzbek et vraisemblable futur président, Shavkat Mirzyoyev, donne une indication intéressante. Il se pourrait même qu’à terme, Tachkent entre dans l’Union eurasienne, chose qu’avait toujours refusée l’ombrageux Karimov.
Bingo ! C’est désormais en passe de se réaliser et le Président, sans doute bien accommodé par Vladimirovitch, a eu de la suite dans les idées. L’Ouzbékistan prépare son entrée dans l’organisation qui avait provoqué l’ire de l’hilarante Clinton, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, en son temps (2012) : « Cela ne portera pas le nom d’URSS. Cela portera le nom d’union douanière, d’Union économique eurasiatique, mais ne nous y trompons pas. Nous en connaissons les buts et nous essayons de trouver le meilleur moyen de le ralentir ou de l’empêcher. »
On se rappelle d’ailleurs que c’est l’éventuelle adhésion de l’Ukraine qui avait précipité le putsch du Maïdan :
Pièce centrale du Grand jeu, l’Ukraine était déjà en difficulté financière en 2013. L’ancien président Yanoukovitch (démocratiquement élu, faut-il le rappeler ?) décida d’abandonner le partenariat oriental de l’Union européenne pour se rapprocher de l’Union eurasienne proposée par la Russie. La raison en était simple : loin d’être un pion pro-russe comme trop souvent répété, Yanoukovitch est allé voir Bruxelles et Moscou pour faire, assez cyniquement d’ailleurs, monter les enchères. Bruxelles proposa une aide de 500 millions d’euros, Moscou de 15 milliards. Le calcul était vite fait...
Ce rapprochement avec la Russie déclencha l’opposition de la partie occidentale de ce pays très polarisé. C’est le premier Maïdan ou l’Euromaïdan (novembre-décembre) : des manifestations pacifiques, bon enfant, de gens représentant vraiment une partie de la population ukrainienne. Ce mouvement était évidemment soutenu en sous-main par les États-Unis, dont la politique depuis vingt ans consiste à arracher l’Ukraine à la sphère russe et à la faire entrer dans l’OTAN après y avoir installé un gouvernement pro-occidental, isolant la Russie de l’Europe et de la Méditerranée. Tout l’appareil US se retrouvait sur cette ligne, de Victoria "Fuck UE" Nuland à Brzezinski en passant par les officines néocons ou encore le NED qui finance les ONG dans les pays qu’il veut déstabiliser.
2012, 2014 : les Américains assurent qu’ils lutteront de toutes leurs forces contre l’intégration eurasiatique, organisent même un coup d’État en Ukraine pour l’empêcher d’y accéder. Depuis, on mesure la dégringolade de l’empire...