Plusieurs centaines de personnes agglutinées sur un bout de trottoir, qui fument du crack entre violences, détritus et effluves d’urine : à Paris, la fermeture des jardins d’Éole aux toxicomanes, sans solution alternative, n’a fait qu’aggraver une situation déjà inhumaine.
Face à l’entrée nord du parc désormais barricadée, les consommateurs s’entassent dans le dénuement le plus total. De leur propre aveu, comme de celui des riverains ulcérés par les désaccords politiques qui ont engendré cette situation, « c’est pire qu’avant ».
« C’est encore plus le bordel, on est tous collés, il y a plus de bagarres », confie Jack (prénom d’emprunt) à l’AFP, entre deux bouffées de crack, dans ce quartier du nord de la capitale.
Étalé au sol, le quinquagénaire observe la rancœur contre les habitants monter parmi ses congénères. « À quoi ça a servi toutes leurs manifestations si c’est pour en arriver là ? On est sur le trottoir, on nous photographie en train de fumer. Alors forcément certains s’énervent et il y a des agressions. »
« C’est catastrophique », confirme Kamel, un riverain qui souhaite rester anonyme, après avoir été menacé de mort par des dealeurs. « La mairie a sorti les toxicomanes du parc comme on le voulait, mais pour les mettre encore plus près des habitations, ça démultiplie les tensions. »
Lors des manifestations hebdomadaires, les pancartes dénoncent désormais une « urgence humanitaire ». Beaucoup se désespèrent de cette situation « indigne d’un État de droit » et de l’attitude des pouvoirs publics, incapables de s’entendre.
« Les riverains sont sacrifiés dans le bras de fer entre mairie et gouvernement », enrage Kamel, qui se demande « si le gouvernement refuse de coopérer pour gêner les ambitions présidentielles d’Anne Hidalgo ».
Mercredi, un Conseil de Paris tendu a illustré l’impasse dans laquelle se trouve la capitale, malgré le plan crack mené conjointement par la ville et divers services de l’État depuis 2019, qui permet d’héberger plus de 400 usagers précaires.
Si la concentration des toxicomanes à Éole depuis mi-mai a allégé les nuisances dans le quartier voisin de Stalingrad, Anne Hidalgo refuse de déplacer encore temporairement le problème à la lisière d’Aubervilliers, comme le propose la préfecture de police.
Passage en force
La maire martèle sa volonté d’ouvrir plusieurs espaces d’accueil des toxicomanes leur permettant d’inhaler du crack, dans Paris – quatre ou cinq, selon plusieurs élus de sa majorité – mais aussi en banlieue.
Elle compte pour cela sur le soutien du ministère de la Santé, qui juge « positif » le bilan des salles de consommations à moindre risque (SCMR) expérimentées à Paris et Strasbourg depuis 2016, et souhaite modifier la loi pour développer ce genre de structures.
En face, le préfet de police Didier Lallement a rappelé l’opposition du ministère de l’Intérieur à la création de nouvelles « salles où on se drogue », tandis que la droite parisienne réclamait « l’hospitalisation obligatoire » des toxicomanes.
Sans attendre l’arbitrage du Premier ministre, Mme Hidalgo a annoncé l’ouverture « dès cet été » d’un « premier lieu de prise en charge spécialisé du crack à Paris ». Une tentative de passage en force que les professionnels du soin observent avec circonspection.