Ils sont de plus en plus nombreux en Suisse et dans le monde à se préparer à la catastrophe totale. Comme Piero San Giorgio, ils accumulent des réserves et mettent tout en place pour pouvoir survivre en totale autonomie.
Il le dit d’emblée : « Tant pis si je passe pour un parano farfelu. » Piero San Giorgio n’a pas peur des étiquettes. Ce qu’il craint, en revanche, c’est la fin du monde tel qu’on le connaît.
Il est « sûr à 200% » : dans une dizaine d’années, le système va s’effondrer. « Tout converge : le pétrole s’épuise, idem pour l’eau. La crise financière est imminente, la population augmente, on va droit dans le mur », martèle ce quadragénaire, qui a récemment pris ses distances avec l’industrie high-tech dans laquelle il évoluait.
Le ton est détendu, mais le regard convaincu. « Il faut admettre qu’il y a cumul de problèmes et aucune solution. Si l’on compte sur les conférences genre Durban, on peut attendre longtemps. Moi, je ne me repose pas sur l’Etat, je pense qu’il faut être prêt soi-même. »
Il fait partie de ceux qui anticipent la catastrophe, que l’on appelle les « survivalistes ». Sur le Net, les sites et forums foisonnent. Crise climatique, nucléaire, sociale, les raisons de se préparer au pire ne manquent pas. Piero San Giorgio, lui, c’est la crise économique qu’il redoute, comme l’indique le titre de son manuel, Survivre à l’effondrement économique. Un livre qui s’est déjà écoulé à 20 000 exemplaires, actuellement en rupture de stock chez Amazon.
Un succès que son auteur qualifie d’« inattendu », même si « la prise de conscience va crescendo ». « D’après ce que j’ai vu, nous sommes des centaines de familles à nous préparer rien qu’en Suisse romande. »
Pas un ’’fou furieux’’
Alors ce père de trois enfants – 7, 5 et 2 ans – s’organise petit à petit. Ce Genevois d’origine italienne vient de faire l’acquisition d’une ferme qu’il adapte à son concept. Pantalon kaki à poches, crâne rasé, lunettes noires, Piero ne cadre pas tout à fait avec les prairies bucoliques qui l’entourent.
Il préfère que l’emplacement exact ne soit pas révélé, la discrétion étant déjà « une forme de défense ». C’est donc quelque part dans les montagnes suisses qu’il développe sa « BAD », comme il l’appelle, comprendre sa « base autonome durable ».
A quasi plein temps, il stocke dans sa cave de quoi faire vivre dix personnes pendant un an, bichonne ses plantons de salade, vitupère le renard qui a bouffé tout son poulailler, projette de tapisser le toit de panneaux solaires et fait connaissance avec ses voisins, histoire de pouvoir échanger des compétences « et faire un peu de troc » lorsque le mode survie sera enclenché.
« L’idéal, ce serait que toute la vallée soit autonome », expliquet-il. Voire même « faire de la Suisse une très grande base autonome durable ».
Il précise, toujours d’un ton calme, que ce n’est « pas un truc de fou furieux. Il est juste question de potager, d’accès à une source d’eau potable. En gros, des choses évidentes que nos ancêtres savaient. »
Après plusieurs mois de recherches, Piero a distingué sept piliers essentiels. Une source d’eau. Des réserves de nourriture en cas de mauvaise récolte. De solides connaissances en hygiène et santé, savoir se soigner par les plantes, mettre un garrot, faire des points de suture.
Piero est d’ailleurs en train d’accumuler les formations en premiers secours et soins de base. Le point 4 démontre que notre homme n’est pas un « ayatollah du survivalisme pur et dur », comme il le dit.
Il s’accorde ainsi une source d’énergie alternative, gain de temps et de confort. « Je ne veux pas finir dans une forêt froide à faire du feu avec un silex non plus ! » Une bonne bière fraîche avec un DVD, c’est important pour le moral. « D’ailleurs, en parlant de DVD, la culture et la connaissance sont le cinquième point. »
Des piles de livres sont stockées dans l’une des pièces de la ferme. Les thèmes vont de l’écologie à la stratégie militaire, en passant par la mythologie grecque, « pour l’ouverture d’esprit, et même faire l’école à mes enfants », ou encore un essai du polémiste Alain Soral – « une personne très intéressante ».
Enfin, le lien social et la défense. Piero San Giorgio ne cache pas posséder plusieurs armes à feu. « Il faut se projeter dans ce qui va se passer en cas de crise. Imaginez, 200 000 Français qui débarquent chez nous. Et ça, c’est encore rien… »
« Je ne me repose pas sur l’Etat. Il faut être prêt soi-même »
Alors quoi ? Faudra-t-il s’entretuer ? Trier par nationalité ? « Non, mon but, c’est la survie du plus grand nombre possible, assure-t-il. Mais il faut être pragmatique. Si je dois accueillir des personnes dans ma « BAD » pour les sauver, ce sera d’abord ma famille. Puis mon voisin. Eventuellement d’autres Suisses, mais pas les hordes de gens débarqués du Pakistan par exemple, c’est simplement une question de place et de ressources. »
Selon lui, chacun devrait sérieusement y réfléchir : « Vous pouvez décider de ne pas survivre. C’est votre choix. » Quid de ses proches ? L’ont-ils fait, ce choix ? Si au début son épouse n’était « pas très chaude », il assure qu’elle le comprend désormais. Certains amis se sont éloignés. Plusieurs sont revenus, convaincus.
Et, pour ceux qui restent sceptiques, Piero prépare un deuxième ouvrage, centré sur la survie en milieu urbain. « Mais là, ça se complique, notamment à cause de la proximité. » Il est prévu pour septembre-octobre. D’ici là, notre survivaliste continue ses préparatifs. Donne de nombreuses conférences sur son sujet. Et profite de la vie.
D’ailleurs, puisque la fin du monde n’est pas pour aujourd’hui, il monte dans son monospace et file profiter d’une fin de journée bien méritée aux bains thermaux du coin.