Il y a une Coupe du monde en hiver qui ne concerne que les pays africains et ça tombe bien : ça ne caille pas des meules comme chez nous, le pays de Castex et Véran, et du Conseil constipationnel de Fabius, l’ami des djihadistes de Syrie. On l’appelle la CAN, prononcez la canne, et il s’agit en fait de la Coupe d’Afrique des nations. Pour les téléspectateurs européens accrocs au ballon rond, frustrés de compétitions, et abonnés à BeIN Sports, c’est une bénédiction.
Ça commence vraiment à 1’55’16 avec l’hymne algérien. On va vivre le match ensemble. Résumé : l’Algérie est dernière de sa poule de 4, et doit impérativement gagner pour aller en 8e de finale. Mais les Éléphants ivoiriens se rappellent de leur élimination par les Fennecs algériens de la CAN 2019 et comptent bien prendre leur revanche. Voici le résumé de l’époque :
Voilà pour 2019, retour vers 2022. Les Ivoiriens sont déjà qualifiés mais s’ils peuvent « taper » l’Algérie, comme disent les spécialistes un peu vulgairement, ils ne vont pas se gêner, car cela écartera le vainqueur de l’épreuve précédente. Pasqua disait, en substance : quand ton ennemi est à terre, c’est pas le moment d’hésiter à l’achever.
« C’est la victoire ou rien ! C’est maintenant ou jamais la famille ! »
Le commentaire radio est une spécialité africaine, car il y a encore trois décennies, les foyers n’étaient pas aussi équipés en terminaux télé ou portables comme aujourd’hui. Et puis, en Afrique, et particulièrement au Maghreb, le piratage des chaînes de foot est un sport national.
Soudain, à 2’21’36, alors que notre ami, avant même le début du match, s’est déjà égosillé pendant deux heures, histoire de faire monter la tension, à 2’21’36 donc, le grand silence. Kessié vient de marquer pour les Éléphants. C’est la consternation.
- Juste avant le premier but ivoirien
Mais tout est encore possible, n’est-ce pas ? En foot, tant qu’il reste du temps, il reste de l’espoir.
« C’est pas fini, c’est pas fini, c’est pas fini, c’est pas fini les frères, jusqu’à la dernière minute. »
Nous en arrivons à 2’38’38 (ou la 39e minute du match), donc en première mi-temps, et là, c’est le début de la fin du monde. Avec une énorme faute de marquage... Le genre de faute qui vous met toute un pays à dos. On ne donnera pas le nom du coupable, qui regardait les papillons pendant que Sangaré exécute le gardien algérien d’une tête à bout portant, sur la ligne des 6 mètres. Parfois, l’enjeu paralyse les joueurs et leur fait perdre leurs moyens. Peut-être y avait-il trop d’enjeu pour les Algériens. Là-bas, le sport national est éminemment politique.
- Deuxième but ivoirien
Le commentateur commence à réaliser que ce sera très, très, très, très dur. Remonter trois buts à des Éléphants en furie, c’est presque mission impossible. D’autant que, à 3’11’37, vers la fin de la 53e minute...
Le commentateur a réalisé. L’espoir, qui s’est aminci au fur et à mesure, laisse désormais la place à l’abattement. On est obligé de réaliser que c’est fini, que c’est mort, mais pas une petite mort, non, une grande mort, définitive, totale, mortelle. Une explosion atomique.
« Je pense que c’est clairement fini à l’heure où on parle... Côte d’Ivoire mille fois meilleure sur ce match, on se fait soulever, on se fait soulever, quelle honte, quelle honte, quelle honte, quelle honte, quelle honte, quelle honte. (...)
Là, ça y est, j’ai pris le coup de massue les frères, j’ai pris le coup de massue. »
En football, pour ne parler que de foot, du côté des fans, la joie extrême, presque à l’égale de l’orgasme, côtoie l’abattement, de la mort, cette sensation horrible où tout est laid, noir, vide. Où l’on se sent vide, vidé de toute joie, de toute vie. La joie est partie, effacée. En un éclair, on passe de la joie extatique à l’abattement le plus dur. Le fan calque son système émotionnel sur le jeu, sur le résultat, ce qui procure des émotions sur une échelle très vaste, et parfois dangereuse : celle de l’ascenseur dit émotionnel. Et quand tout un pays est sur l’ascenseur émotionnel...
Le résumé du match du 21 janvier 2022
Le Maroc, qui a déjà éliminé le Ghana, file vers les 8e
Conséquence de la défaite algérienne : pas de scènes de liesse
dans les rues françaises comme en 2019
Foot et politique en Algérie
Cet article de L’Obs de juillet 2014 démontre l’importance extrême de ce sport pour le pouvoir algérien.
La passion qui règne autour de la sélection algérienne aujourd’hui est peu surprenante et s’explique d’abord par la "jeunesse" de cette nation. L’Algérie n’est indépendante que depuis 1962, le football participe donc de la consolidation d’une identité nationale encore récente.
Le football est un instrument idéal pour rassembler une société, forger un sentiment d’appartenance collective autour d’un drapeau et de ses couleurs. Le parcours d’une équipe à l’échelle d’une compétition mondiale apparaît comme un motif de fierté d’autant plus fort que le pays se trouve dans une position politique et économique délicate.
Mais si le football occupe une si grande place dans le cœur des Algériens, c’est aussi et surtout parce que son évolution épouse étroitement les contours de l’histoire algérienne. On peut même dire que l’histoire de ce pays se lit à travers le football, et qu’ici plus qu’ailleurs, le football est bien plus qu’un sport. (...)
Le football, via cette sélection algérienne, apparaît comme l’un des rares motifs de fierté au niveau international pour le peuple algérien, alors que le pays est moribond sur le plan économique, et dirigé depuis 15 ans par un Bouteflika très affaibli et qui n’incarne pas l’avenir.
Notre question finale
Et si l’engouement pour le football était proportionnel à la souffrance d’un peuple ?