Encore un bel exemple de bug dans la Matrice bien-pensante et de l’ordre incohérent des priorités : normalement, le journal Libération est socialo-sioniste, donc antiraciste.
C’est l’introduction de l’article incriminé. Si la Fachosphère (l’ensemble des forces fascistes du paysage politique, pas la revue papier qui va très bientôt sortir chez E&R) prend fait et cause pour les Arméniens (chrétiens) contre les Azéris (musulmans), alors le bon camp doit être celui des Azéris, donc celui des Turcs puisque le président Erdoğan a déclaré soutenir politiquement et militairement les Azerbaïdjanais.
Mais, ce faisant, Libé soutient un dictateur, puisque Erdoğan, après la tentative de coup d’État de 2016, a purgé non seulement l’armée (ce qui lui pose aujourd’hui problème dans le domaine aérien) mais aussi la société civile avec bon nombre de procès et d’enfermements de journalistes.
Libé, qui a justement dénoncé cette pratique antidémocratique, se retrouve aujourd’hui à défendre le dictateur d’hier.
Le bug dans la Matrice survient quand un des pieds de la bien-pensance se heurte à un autre de ses pieds. Ils ne sont donc pas compatibles, ce qui fait tituber la bien-pensance. Un autre exemple célèbre est celui des gauchistes agressées sexuellement par les migrants de Paris XVIIIe : si elles râlent, elles sont racistes ; si elles se taisent, elles ne sont plus féministes. Les migrants leur donnent donc la migraine, puisqu’ils prouvent que féminisme et antiracisme sont, dans ce cas, difficilement compatibles.
Tout a commencé le 2 octobre, quand Libé a diffusé un article dénonçant les prises de position antiturques de la fachosphère. L’article ayant été caviardé, probablement par gêne, en voici le morceau principal :
Un prêtre en soutane qui brandit un fusil d’assaut kalachnikov dans sa main gauche et une croix orthodoxe dans la main droite. En légende, une simple phrase : « Soutien à l’Arménie ». La photo, diffusée par la propagande d’Etat arménienne, a été largement reprise cette semaine par la fachosphère française qui s’est soudainement prise de passion pour le conflit opposant l’Arménie et les séparatistes du Haut-Karabakh à l’Azerbaïdjan (https://www.liberation.fr/planete/2... la-guerre_1800661). Un intérêt opportuniste qui se focalise sur le prisme confessionnel – pourtant secondaire dans ce conflit – et vise à matérialiser la prétendue guerre que mènerait l’islam contre l’Occident chrétien. Un discours central pour cette mouvance, majoritaire au sein de l’extrême droite française, qui croit au grand remplacement et racise ou confessionalise (à grands coups d’islamophobie) jusqu’au moindre fait divers.
Pour preuve, la une du quotidien national-catholique Présent de ce jeudi. En pleine page, un gros plan sur le bras d’un combattant arménien en treillis brandissant une kalachnikov et un chapelet. « L’Arménie résiste à l’attaque azéro-turque pour sa terre, pour sa foi », titre le journal du courant chrétien de l’extrême droite radicale, détaillant : « Soutenu et poussé par la Turquie, l’Azerbaïdjan a attaqué le Haut-Karabakh arménien. Le plus ancien pays chrétien du monde se bat courageusement pour garder son territoire des convoitises néoottomanes. »
Au-delà du sort du Haut-Karabakh et des considérations anti-impérialistes, le sujet qui mobilise l’extrême droite française est ainsi bien la prétendue agression des musulmans azéris contre les chrétiens arméniens (alors que personne n’est en mesure, à l’heure actuelle, de dire qui est responsable de ce nouveau regain de tensions de cette guerre larvée qui dure depuis près de trois décennies).
Pour Libé, il est donc plus grave d’être pro-arménien qu’anti-turc sur une base confessionnelle. Si la fachosphère soutient les Arméniens, alors, dans la logique fasciste, c’est par islamophobie ou même par racisme. Mieux, le Premier ministre arménien Pachinian ayant été reçu à Moscou en 2018, pour se rassurer (en tant qu’ancienne République soviétique) ou pour recevoir des armes anti-drones (les Turcs, qui manquent de pilotes, compensent par l’utilisation de drones tueurs), l’Arménie se place donc doublement, sans le savoir (tout le monde ne lit pas Libé, à Erevan) dans le camp du Mal, celui de Poutine.
L’Arménie fait en effet partie d’un pacte de défense, l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective) dans lequel la Russie coordonne les défenses de six autres pays, tous issus de la sphère post-soviétique. Et comme la Russie est l’arbitre du conflit du Haut-Karabakh (qu’on écrit aussi Karabagh), l’entrée de la Turquie dans le jeu risque de déstabiliser le très fragile équilibre qui y existait depuis 25 ans. Le Monde écrit à ce sujet :
Le conflit entre ces deux ex-Républiques soviétiques autour de ce territoire autoproclamé indépendant place le Kremlin dans une situation délicate. Malgré la résurgence régulière d’affrontements entre les deux États voisins qui se vouent une haine tenace, Moscou était jusqu’ici parvenu à contenir la situation. La stagnation du conflit depuis vingt-six ans lui permettait de se positionner en tant qu’arbitre, en vendant des armes aux deux camps pour maintenir un équilibre des forces, mais aussi pour le plus grand bien des affaires du complexe militaro-industriel russe. Ce qui incitait Bakou à reprocher de temps à autre à la Russie de livrer des armes plus perfectionnées à Erevan, sans compromettre néanmoins leurs relations.
Car il y a aussi un lobby militaro-industriel en Russie, il ne faut pas se leurrer. Poutine se retrouve donc, selon la presse mainstream, coincé par sa stratégie d’équilibre et la nouvelle déstabilisation turque, obligeant le président russe à intervenir d’une manière ou d’une autre. S’il opte pour la manière douce, il sera considéré comme affaibli par les autres protagonistes des conflits régionaux autour de la Russie, et s’il choisit la manière forte, alors il aura la pression occidentale sur le dos, que ce soit via l’OTAN ou le groupe de Minsk (France et USA, avec bien sûr la Russie), qui gère depuis 1992 les tensions arméno-azéries.
Libération, avec ses gros sabots antifascistes, a donc marché sur une mine en fascisant le conflit, alors que les Arméniens n’y peuvent rien s’ils sont chrétiens, et chrétiens soutenus par la christianosphère occidentale. Pour ne rien arranger, 300 éléments islamistes basés en Syrie ont été selon le président Macron (« Ils sont connus, tracés, identifiés, ils viennent de groupes djihadistes qui opèrent dans la région d’Alep ») importés en Azerbaïdjan pour prêter main forte à l’armée locale ! Libé se retrouve donc, par « antifascisme », à soutenir des djihadistes ayant opéré en Syrie, dont on sait que certaines mouvances ont été protégées par Erdoğan, quand il rêvait encore de dépecer la Syrie dans son grand rêve pan-ottoman, avant l’arrivée des Russes en 2014...
On comprend que la nouvelle direction de Libé, désormais sous la main d’un « ancien » du Mossad, ait préféré caviarder l’article, d’autant qu’on apprend maintenant que des armes israéliennes seraient vendues aux Azéris...
Israël compte en effet parmi les premiers pays à avoir reconnu l’Azerbaïdjan après son indépendance, lors de la chute de l’URSS, en 1991. Depuis, dans le domaine de la défense, l’État hébreu est devenu un important partenaire de l’Azerbaïdjan.
« Il a entraîné les forces spéciales et il a aussi amélioré toutes sortes d’équipement militaire de l’ère soviétique, notamment des chars d’assaut, rappelle Gallia Lindenstrauss, chercheuse à l’Institut pour les études de sécurité nationale à l’université de Tel-Aviv. Mais je pense que 2011-2012 ont été des années charnières car Israël a commencé à vendre des drones et des systèmes de navigation satellite ». (RFI)
Ce qui prouve bien que la logique commerciale – des Israéliens qui soutiennent des islamistes, qui plus est chiites ! – prime la logique politique.
Le conflit arméno-azéri est devenu un conflit médiatico-politique en France, surtout quand Messiha, du RN (et donc théoriquement, selon le journal gauchiste, de la fachosphère), est entré dans la danse.
#Armenie
Face à l'agression perpétrée contre les #Chretiens du #HautKarabakh, @libe soutient l'#Azerbaidjan musulman lui-même soutenu par la #Turquie de l'islamo-fasciste #Erdogan.
La grandeur de la démocratie c'est de laisser les pires traitres s'exprimer.https://t.co/MB4nhQigHB— Jean MESSIHA (@JeanMessiha) October 2, 2020
RT France a contacté le journal Libération, sans succès. Mais relate le passage chez Schneidermann de Jonathan Bouchet-Petersen (le mari de la LCR Sophie, l’ancienne conseillère de campagne de Ségolène Royal, candidate malheureuse aux présidentielles de 2007 qui vient par ailleurs d’entrer à la télé sur LCI) :
Le rédacteur en chef adjoint de Libération, Jonathan Bouchet-Petersen, affirme auprès d’Arrêt sur image que la dépublication de cet article est temporaire. Celle-ci a été décidée après que l’envoyée spéciale de Libération dans la région a fait savoir à sa rédaction « que cet article compliqu[ait] son travail sur un terrain déjà compliqué ». « On a fait un arbitrage à court terme, entre maintenir sur le site un article pointant la façon dont l’extrême droite s’agite, et la nécessité de sécuriser le travail d’une journaliste sur le terrain, alors que deux journalistes du Monde venaient d’être blessés dans un bombardement », explique Jonathan Bouchet-Petersen.
Un peu tiré par les cheveux ! Libération devrait peut-être revoir son logiciel antifasciste, qui n’a pas l’air de fonctionner au mieux, surtout dans des situations géopolitiques complexes, et Dieu sait si la géopolitique de l’Asie mineure l’est.
Pour conclure sur cet épisode, un conflit régional pour une enclave de 4400 km2 disputée par deux pays, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, avec comme soutiens la France et les États-Unis d’un côté, la Turquie et Israël de l’autre (pays qui se retrouvent eux-mêmes en conflit en Méditerranée pour les gisements de gaz naturel), sous l’œil perçant du grand arbitre russe, sans oublier le voisin iranien qui voit d’un très mauvais œil la douteuse amitié israélo-azérie, ce n’est plus un conflit régional mais un conflit régional qui se mondialise.