Un collectif anonyme a analysé les discours de cette sulfureuse figure de l’extrême droite. Entretien avec l’un d’eux, sociologue.
Nous ne prenons pas suffisamment au sérieux, dites-vous, le « cas Soral » ?
En janvier 2014, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des milliers de militants d’extrême droite de différentes obédiences ont défilé au cours d’une manifestation unitaire, intitulée « Jour de Colère ». Ils scandaient dans les rues de Paris des slogans que l’on croyait passés aux oubliettes de l’histoire, comme « mort aux juifs ». Alain Soral et ses suiveurs étaient là.
Selon une enquête de Mediapart, son portail Égalité & Réconciliation est le site politique le plus consulté en France avec plus de 8 millions de vues par mois. Il a eu des responsabilités au bureau national du Front national ; c’est lui qui a initié le virage du parti vers le social. Il est également un proche de Jean-Marie Le Pen et a écrit son discours de Valmy. Pour Soral, l’extrême droite institutionnelle serait l’équivalent de Londres pour les Résistants pendant la guerre, tandis que lui et sa mouvance représenteraient le maquis face à la « domination sioniste ».
Comment est né le projet de cet ouvrage ?
Nous sommes politologue, sociologue, spécialiste de l’extrême droite et psychanalyste. Nous sommes des chercheurs engagés dans des travaux plutôt fondamentaux. Il nous arrive de nous croiser, à l’occasion par exemple de réunions entre laboratoires, et d’échanger amicalement. Dans nos discussions, le phénomène Soral revenait souvent. C’est ainsi que nous est venue l’idée de lancer une véritable enquête scientifique à son sujet.
Malgré son rôle important dans le champ politique français, il n’avait fait l’objet que de livres de simple dénonciation, ou d’ouvrages consacrés à l’homme d’affaires – rappelons qu’Alain Soral a fondé une société d’édition florissante. Pour notre part, nous avons voulu explorer le matériau qu’il diffuse avec tant de succès sur le Net.
Nous ne l’avons pas rencontré, car il ne s’agit pas pour nous d’explorer le personnage ni ses éventuelles pathologies, mais de déconstruire son discours : montrer en quoi il appartient à l’extrême droite et à ses traditions, et comment s’articule son antisémitisme. Nous avons passé plus de deux années à visionner et analyser quelques 1 500 heures de vidéos diffusées sur son site entre 2011 et 2017.
Vous signez le livre « Le Collectif des 4 ». Pourquoi avoir choisi l’anonymat, qui n’est pas précisément un gage de sérieux scientifique ?
Alain Soral fédère une extrême droite radicale rouge-brun (lui parle de « gauche du travail, droite des valeurs ») qui ne craint pas de défendre ses idées à coup de poings. Du reste, l’éditeur du dernier livre paru à son sujet, Le Système Soral, a été l’objet d’agressions. Un débat qui l’opposait à Daniel Conversano, un suprémaciste blanc, avec Dieudonné, s’est terminé en rixe. C’est un fasciste au sens propre du terme, pour qui le rapport de force et la virilité conquérante témoignent de la vérité intellectuelle : le plus fort a raison et le démontre par la force physique. Instructeur de boxe, il affectionne le combat. Comme Jean-Marie Le Pen, qui revendique son passé de bagarreur, il se vante de casser la gueule des chauffeurs de taxis.
Soral considère qu’il incarne « l’idéal grec » : il prétend posséder à la fois la force physique, la beauté et l’intelligence. Ainsi, pour « réhabiliter le duel » et prouver la supériorité de ses idées, il annonce par exemple qu’il va se livrer à un combat d’art martial dans une cage contre l’un de ses concurrents du Net, Le Raptor dissident, un vidéaste d’extrême droite.
Nos armes sont celles de la raison et de la déconstruction critique, et nous ne voyions pas l’intérêt d’entrer dans le champ de la confrontation avec lui sur son terrain, celui de la violence. En revanche, comme le marxiste italien Antonio Gramsci, nous considérons que la bataille intellectuelle pour l’hégémonie culturelle est essentielle et qu’il faut contrer les idées de l’extrême droite.
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