Ils sont convaincus que le monde tel que nous le connaissons n’en a plus pour longtemps et s’y préparent. Rencontre avec une star du survivalisme helvétique, et plongée dans l’univers des « preppers » étasuniens.
Non, il n’a pas été scout dans son enfance. Et concède que jusqu’il y a peu, le concept de vie dans la nature lui « faisait horreur ». Cela n’empêche pas Piero San Giorgio – grand gabarit, bras musclés, voix posée et lunettes intello – d’être aujourd’hui le roi de la survie en situation compliquée : un survivaliste, comme on les appelle, capable de faire face à une fin prochaine du monde.
Celle que redoute le Genevois est d’ordre économique : les lectures pessimistes du calendrier Maya, la menace d’une attaque martienne ou la crainte d’une chute de météorite, ce n’est pas son truc.
Dans un livre de 400 pages en forme de guide pratique, il détaille comment Survivre à l’effondrement économique. Un ouvrage en cinq parties, qui prédit un écroulement des systèmes basés sur une croissance infinie – « un concept impossible. On s’est lancé dans une sorte de jeu de l’avion planétaire qui arrive à son terme. »
Publié en fin d’année dernière, l’ouvrage s’est écoulé à plus de 20 000 exemplaires, notamment sur Amazon. Un succès qui prouve que le survivalisme – ou le prepping, aux Etats-Unis – a le vent en poupe, et pas seulement auprès des cadres de l’armée suisse ou des policiers français qui seraient nombreux à avoir acheté le livre, selon son auteur.
« Des centaines de familles en Suisse – et presque un millier en France – se préparent comme moi », assure Piero San Giorgio, qui passe beaucoup de temps dans sa Base autonome durable (BAD) : une ferme de montagne retapée, avec son potager bio-dynamique, située à proximité d’une source, dans un endroit tenu secret.
Aux armes citoyens !
Elle contient de quoi nourrir une dizaine de personnes pendant plusieurs mois, comporte des panneaux solaires pour l’énergie, des sanitaires, de même que... des armes à feu – apprendre à se défendre est l’un des sept points de son manuel de survie. « La crise apporte davantage de solidarité, ce qui est positif, mais renforce aussi les mafias. Face à des criminels, celles et ceux qui n’aiment pas les armes ne sauront pas se défendre... »
Dans son livre, toutefois, il avertit : « Nombre de conseils ne s’appliquent que si une situation chaotique et sans lois devait arriver. »
Pour quand prévoit-il l’effondrement économique ? « Dans dix ans maximum. »
On assistera à une convergence entre le pic pétrolier – le moment où la production mondiale d’hydrocarbure déclinera pour cause d’épuisement des réserves – et des catastrophes écologiques de plus en plus importantes. Désormais incapable de se maintenir dans sa logique de croissance infinie, l’économie s’effondrera, entraînant tout avec elle.
« Les Grecs ont déjà débuté leur processus de survie. Et les Espagnols se lancent. »
Le crash, Piero San Giorgio l’a connu, à l’éclatement de la bulle internet à la fin des années 1990. A la tête d’une start-up, après avoir accumulé beaucoup d’argent comme responsable marketing dans le domaine des logiciels et en boursicotant au NASDAQ – c’était des années de « fric facile, grosses voitures, grand appartement, nanas, voyages », écrit-il dans son livre –, il perd tout et se retrouve « pratiquement cul nu dans [sa] BMW décapotable ».
« On nous a fait que croire que le progrès, c’est assouvir nos désirs et que ça consiste à consommer ». Réaliser que cette posture n’est pas viable sur le long terme lui permet de débuter sa « prise de conscience ». Aujourd’hui, après un nouveau passage dans l’informatique, il se débrouille en dépensant beaucoup moins qu’avant et en faisant du conseil de « survie » pour une dizaine de personnes par an. Ses avoirs, il les a investis dans l’or.
Ni gauche, ni droite
Mettre le bonhomme dans une case s’avère complexe. Le survivalisme intéresse souvent les extrêmes, qu’elles soient de gauche – dans la continuation de certains idéaux hippies ou anarchistes – ou de droite. Ainsi, Piero San Giorgio est régulièrement invité par des groupes peu fréquentables, comme les mouvements catholiques extrémistes ou les Identitaires français. « On me reproche souvent de donner des conférences à ces publics. Je ne savais pas qu’ils étaient contagieux ! », se justifie-t-il.
Récemment, il s’affichait avec le sulfureux Alain Soral, qui saupoudre son discours antilibéral avec des prises de position antisionistes qui dérapent parfois du côté de l’antisémitisme. L’intellectuel français, qu’il connaît, est aussi cité à plusieurs reprises dans Survivre. « Vous savez, j’ai beaucoup de clients juifs ou musulmans... Je ne revendique aucune étiquette, si ce n’est celle de passeur d’informations. »
Ce qui n’empêche pas cet agnostique de voter. Au niveau national, pour l’écolo genevois Antonio Hodgers.
Comment sa famille prend-elle son engagement ? « Mes deux jeunes enfants sont contents d’aller à la ferme. Quant à ma femme, elle a passablement tiqué sur le truc des armes, on a frôlé le divorce. Mais finalement, elle aussi aime bien ma ferme. Quant à mes amis, certains me considèrent comme un parano illuminé. Mais je comprends ceux qui s’éloignent : ce que je propose est une remise en question de tout ce qu’on croit vrai. »
Un jour de drague
Survivre comporte dix exercices « pour se préparer dès maintenant à la survie. » Piero San Giorgio y conseille un sevrage de médias pendant un mois, un week-end sans électricité ni eau courante, une semaine sans argent, une autre sans nourriture ou un jour de drague – il s’agit notamment d’« apprendre à aborder quelqu’un pour en obtenir quelque chose ».
L’auteur assure avoir testé tous ses exercices. « Mais ne le dites pas à ma femme... » Même s’il assure ne pas vouloir que sa prophétie catastrophiste se réalise, Piero San Giorgio – qui termine la rédaction d’un livre sur la survie en milieu urbain – est convaincu que « le monde de demain sera meilleur ». Avec moins d’habitants ? Hésitation. « Il y a clairement une sélection naturelle en cours. Certains seront contents de voir qu’il y a beaucoup de personnes très riches et puissantes qui ne vont pas s’en sortir. »
En fin de compte, c’est très suisse de vouloir se préparer au pire et de viser l’autarcie, non ? C’était déjà l’ambition du Plan Wahlen, en 1940, qui visait l’autosuffisance alimentaire. « Exactement. Mon rêve est que la Suisse devienne une grande BAD. » Aux abris !