Sur sa page Facebook, un prof de Sciences Po a procédé, ces jours-ci, au lynchage d’une étudiante, désignée comme « antisémite ». Sans la moindre preuve. Dans la meute des « likeurs », un vice-président du CRIF, et... le Délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Sur les forums et les réseaux sociaux, les haines les plus diverses s’expriment sans frein, le plus souvent dans le secret de l’anonymat. Mais les attaques se font aussi parfois à visage découvert, en pleine lumière, et en toute bonne conscience. À l’heure où certains n’ont de cesse de dénoncer les « dérives de l’antiracisme » réelles ou supposées, il est peut-être bon de rappeler qu’une haine folle et gratuite peut parfois se dissimuler aussi sous le masque respectable et avantageux de la lutte contre l’antisémitisme.
François Heilbronn enseigne le marketing et la stratégie d’entreprise à Sciences Po Paris où il siège également au comité de direction. Il est aussi président de l’association des amis de l’université de Tel-Aviv. Alix du Paty est étudiante à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Ces deux personnes, apparemment, ne se connaissent pas. Ces jours-ci, sur sa page Facebook, le premier a pourtant mis en cause la seconde avec une violence et une mauvaise foi sidérantes, instruisant son procès en antisémitisme sans la moindre preuve, mais avec un art consommé de l’amalgame.
Le crime de l’étudiante ? Avoir « invité sur le campus de Saint Germain en Laye, le 24 mars, Tariq Ramadan à s’exprimer… ». La belle affaire ! Chacun est libre d’apprécier ou pas la pensée et les écrits de Tariq Ramadan, et éventuellement de critiquer le fait qu’il soit invité ici ou là. Mais en dépit de sa réputation controversée, ce dernier n’a jamais été condamné – ni même poursuivi – pour racisme ou antisémitisme. Surtout, rien ne permet d’affirmer qu’Alix du Paty aurait personnellement « invité » l’intellectuel musulman. Le débat dénoncé par François Heilbronn était organisé par les Rencontres de Sciences Po St Germain une association estudiantine qui compte plusieurs membres (un président, un vice-président, un trésorier, un vice-trésorier), au sein de laquelle, l’étudiante mise en cause n’occupe que le rôle de secrétaire et chargée de communication.
Mais qu’importe ! Si ce n’est toi, c’est donc ton grand-père… Alix du Paty est en effet atteinte d’une tare majeure et accablante qui signe son crime : elle serait la descendante (l’arrière petite fille, l’arrière petite-nièce ? A moins qu’il ne s’agisse que du nom de son mari, mais François Heilbronn a-t-il pris le soin de vérifier ?) d’Armand du Paty de Clam – qui s’illustra naguère comme l’un des pires ennemis du capitaine Dreyfus – et de son fils Charles qui succéda à Darquier de Pellepoix, entre février et mai 1944 à la tête du Commissariat aux questions juives. Suffisant pour que le professeur de Sciences Po prononce contre l’étudiante ce jugement sans appel :
« Une belle lignée de français qui de génération en génération, restent toujours fidèles à leurs valeurs : celles de la collaboration avec l’ennemi des Démocrates et des Juifs ».
On croit rêver. Mais le pire est à venir : les commentaires qui assortissent cette publication. Les plus doux félicitent le professeur : « Bien vu, François ! », « beau travail de recherche, un vrai généalogiste ». Certains s’interrogent sur l’existence possible d’un gène de l’antisémitisme. D’autres, plus circonspects, tranchent en faveur d’une éducation familiale. Une certaine Véronique suggère de pratiquer des tests génétiques « dès la maternelle ». Mais les plus remontés se lâchent dans l’outrance et la démesure : « belle lignée d’affreux collabos et antisémites », « belle lignée de vermine, on va s’occuper de leur réputation » », « un ramassis de racailles », « une gangrène », « de vraies ordures », « la lèpre nazie : une nazie qui invite un nazi ».
Les plus courageux se targuent d’avoir posté des messages vindicatifs sur la page Facebook de l’étudiante et invitent les autres à faire de même. Un internaute, très motivé, suggère même la liquidation physique : « À une autre époque, on faisait disparaitre certaines personnes et plus personne n’en parlait ».
Tous ces commentaires figurent sur une page Facebook ouverte sans le moindre filtre au plus large public, et donc placée sous l’entière responsabilité de François Heilbronn. Ce dernier, qui a pris soin de répondre à certains commentaires, (ceux qui précisément, semblaient s’indigner du procédé) n’a visiblement pas estimé devoir faire usage, pour les autres, de la moindre intervention modératrice…
Plus inquiétant, enfin. 90 personnes ont partagé cette publication. Et près de 200 personnes ont « liké ». Ainsi, Ariel Goldman, vice-président du CRIF. Ou Jacky Mamou, ancien militant d’extrême-gauche, rallié, via les comités Urgence Darfour, à la cause néoconservatrice. Et surtout, Gilles Clavreul… ancien préfet et délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (DILCRA) !