Astro Teller, le patron de X, le centre de recherche de Google, explique la méthode très déstabilisante d’expérimentation et d’abandon de projets menée au sein de ses équipes.
- À l’intérieur du Google Data Center
Making Of
De nos jours, on dit Alphabet, pas Google, et juste « X », pas Google[x] ; à part ça, l’objectif reste le même dans le lointain laboratoire R&D de la société tech la plus riche de la planète : changer le monde. Découvrir des trucs. Pas forcément dans cet ordre.
Dirigé par Astro Teller (né Eric avant d’adopter un prénom plus adapté à ce qu’il est), X relève volontairement des défis qui semblent avoir davantage leur place dans des récits de science-fiction que sur les bilans comptable d’une entreprise publique.
Son premier projet était la voiture autonome et les suivants incluent Google Glass, le projet de service par ballon Loon Internet, les cerfs-volants à énergie Makani, et le service de livraison par drone baptisé Project Wing. (Plusieurs projets de X ont dépassé le programme : le réseau neuronal artificiel Google Brain est à présent intégré à l’équipe de recherche Google, et leur incursion dans le domaine de la santé Verily Life Sciences développe actuellement des lentilles de contact intelligentes dont l’idée est née à X, ainsi qu’un projet qui espère réussir à faire passer des nanoparticules dans le sang pour détecter des maladies à un stade précoce.)
Le patron de Teller, Sergey Brin, veut voir s’opérer des changements drastiques au sein de X : il veut décupler l’efficacité des méthodes actuelles en instaurant des expériences impliquant des atomes, pas juste des bits (en d’autres termes, de vrais trucs qui peuvent casser, s’effondrer et exploser).
Ah oui, et l’objectif est de faire trucs qui fonctionnent vraiment – et si possible d’en tirer un profit financier.
Comme l’explique Teller ici, dans une version adaptée de son discours prononcé lors du TED 2016, cela requiert une nouvelle méthode d’invention, radicalement différente de ce qui est aujourd’hui devenu un cliché, le célèbre « échoue vite et recommence ».
C’est une méthode souvent désordonnée, comme le montrent les exemples ci-dessous, dont certains sont ici rendus publiques pour la première fois.
En 1962, à l’université de Rice, JFK [John Fitzgerald Kennedy, ndlr] s’est adressé à la nation [américaine, ndlr] en parlant d’un rêve. Le rêve d’envoyer un homme sur la Lune avant la fin de la décennie. D’où le concept du « moonshot » (un tir vers la Lune, en anglais).
Personne ne savait si c’était réalisable, mais il s’est assuré qu’un plan soit prévu au cas où ce serait possible. Les grands rêves ne sont pas juste des visions. Ce sont des visions doublées de stratégies élaborées pour les concrétiser.
- Astro Teller lors d’une présentation à Tribeca, New York, le 22 avril 2015
J’ai l’incroyable chance de travailler pour une usine à moonshots. À X, anciennement appelé Google[x], vous trouverez un ingénieur en aéronautique spatiale travaillant aux côtés d’un créateur de mode et d’anciens commandants de troupes militaires, en réunion avec des spécialistes des lasers.
Ces ingénieurs, ces créateurs et ces inventeurs imaginent de nouvelles technologies qui, nous l’espérons, amélioreront considérablement nos modes de vie. Nous utilisons le mot « moonshot » pour ne jamais oublier de voir les choses en grand. Pour continuer à rêver. Et nous utilisons le mot « usine » pour nous souvenir qu’il faut avoir des plans concrets pour donner à chaque vision les meilleures chances de se concrétiser.
L’usine à moonshots est un lieu désordonné
Mais j’ai un secret à vous révéler. La machine en vogue qu’est la Silicon Valley a créé le mythe de visionnaires amassant des fortunes sans effort. Ne croyez pas ça.
L’usine à moonshots est un lieu désordonné. Mais plutôt que de fuir le désordre ou de prétendre qu’il n’existe pas, nous avons essayé d’en faire notre force. Nous passons la majeure partie de notre temps à casser des choses et à travailler à comprendre que nous faisons fausse route. C’est ça le secret, s’attaquer aux aspects les plus difficiles du problème en premier. Se demander joyeusement : « Comment allons-nous tuer notre projet aujourd’hui ? »
Nous avons trouvé un équilibre qui nous convient : autoriser notre optimisme inépuisable à alimenter nos visions tout en cultivant un scepticisme enthousiaste et une pensée critique pour insuffler la vie dans ces visions et les concrétiser.
Je veux vous présenter quelques-uns des projets que nous avons dû abandonner, et certains joyaux qui, en tous cas jusque-là, ont non seulement survécu à ce procédé mais ont été accélérés.
- Vue du Google Data Center
Un gros problème qui affecte des millions de gens
Voici la marque de fabrique de nos moonshots :
Nous cherchons un gros problème qui affecte des millions de gens dans le monde.
Puis nous tentons de proposer une solution radicale à ce problème.
Enfin, il doit y avoir une bonne raison de penser que la technologie pour parvenir à cette solution radicale peut être construite. Quelques gouttes d’espoir pour nous mettre en marche, et définir clairement certaines étapes par lesquelles il va nous falloir passer sur la voie qui mène à sa concrétisation.
L’année dernière, nous avons dû abandonner un projet d’agriculture verticale automatique. Cette image montre des laitues que nous avons fait pousser.