Trois dates : 1968, 2002, 2023. Nanterre, capitale (présumée) de la tribu des Parisii, qui déménageront finalement pas loin, à Lutèce, qui deviendra Paris sous l’égide de Saint Louis. Nanterre, ville chargée d’histoire, résume depuis un demi-siècle l’évolution, selon les uns, ou l’échec, selon les autres, de la politique française.
Nanterre 1968
La fac de Nanterre, infiltrée par l’extrême gauche, sera avec le Mouvement du 22 mars le premier foyer de la révolution orange de Mai 68, avant La Sorbonne et Cohn-Bendit. Paris-X (qui deviendra Paris-Nanterre) a été créée en 1964 pour vider le trop-plein de Paris-I, baby-boom oblige.
Tout le monde sait aujourd’hui l’importance du basculement de 1968, qui consacre la victoire culturelle et politique du gauchisme. En ce sens, Macron est l’héritier le plus accompli de cette révolution sociétale pro-américaine, ou antifrançaise.
Nanterre 2002
Le 27 mars 2002, à 1h15 du matin, la séance du conseil municipal de Nanterre traîne en longueur. Un certain Richard Durn, français de mère slovène, se lève du public, sort un Glock et tire 37 cartouches pendant 50 secondes. Il ne vise que la tête et le cœur des élus présents. Bilan : 8 morts, 19 blessés, dont beaucoup resteront handicapés à vie. Maîtrisé par un sportif, qui sera décoré, puis 7 autres élus, il se suicidera le lendemain pendant sa garde à vue. Voici sa confession tirée du procès-verbal du 28 mars 2002 au matin, avant de sauter dans le vide. Elle a été publiée par Libération :
« J’ai été militant de base au Parti socialiste dans les années 90, puis membre d’une association citoyenne, Réinventons Nanterre. Je suis trésorier de la Ligue des droits de l’homme de Nanterre. Toutes ces activités et fonctions, en plus des actions bénévoles effectuées auparavant, ne m’ont assuré aucune intégration sociale. Pendant un temps, elles ont pu ralentir mon projet de folie destructrice. D’autres barrages et digues étaient constitués par ma famille, par une éthique qui m’imposait de refuser le meurtre et de faire du mal, et par le souvenir de gens dignes et luttant contre le racisme et pour la démocratie que j’avais connus au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine. J’ai lutté pendant de nombreuses années contre ce projet, mais n’étant rien socialement, n’ayant plus d’ami proche, ni de famille, ni ne me battant jusqu’au bout pour des causes auxquelles je devais croire, j’ai compris que je n’avais plus ma place nulle part. Donc, je devais m’éliminer. Normalement, si j’avais été un vrai rebelle, un vrai combattant, j’aurais dû me battre pour protéger des gens contre les criminels de guerre, contre des gens prônant le racisme ou une vision totalitaire du monde. Je ne m’en suis pas donné les moyens, je n’en ai pas les capacités intellectuelles, physiques, physiologiques. J’ai toujours vécu dans une prison mentale dont j’étais le propre geôlier. »
« Puisque j’étais devenu un mort-vivant par ma seule volonté, je décidais d’en finir en tuant une mini-élite locale qui était le symbole et qui était les leaders et les décideurs dans une ville que j’ai toujours exécrée. Je n’ai pas trouvé les antidotes pour me respecter moi-même et les autres. Je n’ai pas atteint un idéal d’humanisme et m’étant laissé aller au désœuvrement et à l’échec, j’ai voulu tuer pour prendre ma revanche sur moi-même et sur ces symboles de puissance qu’ils constituent. J’ai voulu connaître la griserie et le sentiment d’être libre par la mort. (…) Je ne supportais plus cette mascarade de démocratie locale, sachant que moi, simple citoyen, je n’ai aucune réalité de contrôle sur ce pouvoir et que je n’étais qu’un pion par rapport aux véritables enjeux politiques et à la réalité du pouvoir, face à ces notables qui m’ont toujours pris pour un con quand je militais. »
« J’avais projeté de tuer ces gens à d’autres conseils municipaux précédents, mais j’avais encore des garde-fous moraux et des inhibitions. Pour m’en débarrasser, j’ai tout fait pour me tuer socialement, intellectuellement et affectivement : vie de vieux garçon ; aucune connaissance d’un métier dont je serais fier ; aucune expérience de construction de lien durable avec des gens, impossible d’aimer et d’être aimable [...]. Je m’étais depuis longtemps mis dans une logique de destruction. Je ne voyais pas comment changer le cours des choses même si j’avais le choix et que j’aurais dû lutter comme un fou pour la vie. »
« N’ayant rien conquis, rien à transmettre, je voulais tuer plutôt que de finir en prison, à l’hôpital psychiatrique ou comme un clochard. Il était aussi absolument nécessaire que je me supprime dans le même temps. Une de mes armes devait me servir à me suicider, le Smith and Wesson, mais j’ai été maîtrisé par les élus et les policiers. À cette occasion, j’ai reçu des coups de pied par un élu au visage et je me suis cogné moi-même la tête par terre pour me la fracasser. »
« Hier soir, j’ai quitté mon domicile à 18 heures, j’ai juste pris avec moi trois armes, deux Glock 17 et 18, et un Smith and Wesson. Pour le Smith and Wesson, j’avais prévu vingt cartouches environ et garni le barillet de six cartouches. Pour les Glock, j’avais pris plusieurs chargeurs que j’ai approvisionnés chacun de quinze cartouches de 9 mm. J’ai mis mes trois armes dans les poches intérieures et extérieures de ma parka. C’est la première fois que je venais armé à un conseil municipal. Je suis arrivé à pied à 19 heures, je me suis installé sur un siège du public au milieu de la salle. Assis à ma gauche, un élu que je connaissais de l’association Réinventons Nanterre. »
« J’ai assisté à l’ensemble du conseil et, durant tout ce temps, je me suis demandé si j’allais passer à l’action ou pas. Je ne sais pas quelle proportion idéologique et psychiatrique peut expliquer le pourquoi de mes meurtres. À la fin du conseil, toutes mes inhibitions se sont levées et j’ai compris que je devais passer à l’acte et ne pas partir sans avoir rien fait. Je n’avais plus de notion de l’heure, le public a quitté peu à peu la salle, les élus s’apprêtaient également à le faire. À ce moment-là, je me demandais encore ce que je devais faire. Dans les dernières minutes du conseil, je me suis dit, et j’ai compris que je ne pouvais plus reculer : c’était maintenant ou jamais. »
En sociologie ou en psychologie, on appelle ça un retour d’expérience et une remontée de terrain.
Le massacre de Richard Durn annonçait un nouveau basculement, dans la violence cette fois-ci, des rapports oligarchie-peuple, comme si le contrat social avait été déchiré. Une violence d’en bas répondait à la violence d’en haut, même si les élus abattus étaient évidemment innocents et n’étaient pas des décideurs d’en haut. Pour Durn, ils étaient symboliques de l’échec de la politique, et de l’échec de la confiance placée dans les hommes politiques. Il explique pourquoi il a visé la première élue de la ville :
« La seule personne que j’ai visée intentionnellement était madame Fraysse. Je l’ai visée pour sa qualité de maire, mais aussi parce que je ne la respectais pas. Pour moi, elle est l’incarnation d’une apparatchik inamovible, créant un système de clientélisme et représentant typique de la grande bourgeoisie rouge hypocrite et contrôlant énormément de choses, se faisant passer pour démocrate et soi-disant proche du peuple. Pour les autres élus, j’ai agi au hasard, sans regarder ni la personne, ni l’étiquette. »
Nanterre 2023
Deux décennies plus tard, le 27 juin 2023, une racaille au volant d’une voiture puissante est arrêtée par deux policiers. Le mineur au volant refuse d’obtempérer, un des deux policiers tire, à l’américaine. Le jeune homme de 17 ans aux 12 antécédents judiciaires (dont 4 pour refus d’obtempérer, 2 pour détention de stupéfiants, 1 pour recel de vol, tout ça pour un casier... vierge) décède quelques minutes plus tard d’une balle dans le côté gauche de la poitrine. Le policier a été mis en examen pour homicide volontaire.
Les cités de banlieue n’attendaient qu’une étincelle, et, depuis, la France retrouve ses nuits bleues d’octobre 2005, sauf que ces dernières avaient été allumées à dessein par Sarkozy. Le pouvoir, qui a la matraque, la grenade et le LBD faciles pour réprimer les manifestants sociaux, se retrouve coincé avec les manifestants asociaux, espérant éviter une nouvelle Malik Oussekine.
Afin de faire baisser la tension, Macron a pris fait et cause pour la victime, et on peut penser que le tireur prendra cher. La déclaration fourchue du Président a fait péter les plombs au syndicat Alliance.
« Nous avons un adolescent qui a été tué, c’est inexplicable, inexcusable »
Ce faisant, Macron s’aligne sur toute la gauche, qui profite du fait divers pour se refaire une santé.
Pour Nahel et ses proches, il faut vérité et justice. Et on connaît, trop souvent, les entraves à cette vérité : dans la police, à l’IGPN, au parquet.
À la violence policière ne doit pas s'ajouter la violence judiciaire : dépaysement de l’enquête, contrôle externe de la police. pic.twitter.com/RvjWeN1Eez
— François Ruffin (@Francois_Ruffin) June 28, 2023
Symbolique aussi cette descente du député LFI Bilongo à Nanterre (celui qui avait pleurniché dans l’hémicycle), qui se fait tarter et dégager en corner assez rapidement :
Tu veux pas aller essayer de vomir ton discours à Nanterre qu'on rigole un peu ? Ton collègue @BilongoCarlos il a pas traîné lui et a même rien dit quand un jeune lui met un coup sur la tête, il rigole comme un niais pic.twitter.com/SdlUCo36Eo
— francky (@pikita832699721) June 28, 2023
Du côté de Renaissance, on a essayé timidement de protéger le travail de la police, mais la sortie antiflics de Macron a brisé l’autorité de l’État.
Refus d'obtempérer à #Nanterre : Faisant part de son "émotion" après la mort du jeune homme, @AbadieCaroline rappelle néanmoins que "c'est la police qui détient le droit de faire usage de la force". "Quand il y a un barrage de police, on s'arrête. Point barre."#DirectAN #QDActu pic.twitter.com/G7UmwWEpGE
— LCP (@LCP) June 27, 2023
Les émeutiers, eux, disposent du soutien d’Omar Sy, toujours en première ligne quand il s’agit de salir la France et sa police, et de Kylian Mbappé, qui tweete probablement sur ordre de Macron.
Mes pensées et prières vont à la famille et aux proches de Naël, mort à 17 ans ce matin, tué par un policier à Nanterre. Qu’une justice digne de ce nom honore la mémoire de cet enfant.
(Omar Sy)« J’ai mal à ma France. Une situation inacceptable. Tout mes pensées vont pour la famille et les proches de Naël, ce petit ange parti beaucoup trop tôt. »
(Kylian Mbappé)
On imagine que Kylian n’est pas ironique... Le message péteux du Président, qui craint l’émeute et le peuple comme la peste et le choléra, n’a pas empêché le sarkozyste Darmanin de convoquer l’artillerie lourde :
« Hier, il y avait 9 000 policiers mobilisés, aujourd’hui il y en aura 40 000 et des moyens techniques et technologiques importants pour lutter contre ces émeutes. »
Nous revoilà en octobre 2005... On terminera l’épisode de ce feuilleton d’été sur une citation d’actualité du sociologue Maffesoli : « Le sang va couler ».