Après la lecture du livre d’Alain Soral, "Comprendre l’Empire", que je considère comme une oeuvre didactique majeure sur la compréhension du réel dans lequel nous vivons et aux thèses duquel je souscris entièrement, je veux faire une petite mise au point sur une phrase malheureuse du bouquin qui amalgame les Croates aux Oustachis et sur laquelle je me porte en faux.
La partie nord de la péninsule balkanique est habitée par quelques petits peuples slaves et, au début du XIXe siécle, deux grandes puissances y règnent : l’empire ottoman et l’Autriche qui deviendra par la suite l’Autriche-Hongrie. Les deux empires sont multinationaux, l’un est sur le déclin, l’autre est directement menacé. Les Balkans sont un passage obligé pour le Moyen-Orient et il est naturel qu’ils soient d’un grand intéret pour l’Europe.
Les intérets des états européens s’y affrontent et les petits peuples slaves de cette région seront souvent les enjeux des politiques impériales. Conserver son identité est un impératif urgent pour ces petits peuples qui n’auront qu’un désir, celui de se libérer de ces deux puissances qu’ils rendront responsables de tous leurs maux. Du fait de la désintégration de l’empire Ottoman durant le XIXe siècle, les peuples balkaniques qui leur sont soumis auront de meilleures chances de libération que ceux qui sont sous la domination de l’Autriche ; cette dernière traverse elle-meme une crise étatique et sociale provoquée entre autre, par les aspirations nationales des peuples qui la composent.
En 1804, les paysans serbes se révoltent contre leurs oppresseurs les plus directs, les dahis et seront soutenus, au début, par le sultan. Très vite cependant cette lutte va devenir un combat pour la libération totale et la création d’un état propre. D’autres peuples des Balkans mènent la meme lutte : les Grecs, les Bulgares, les Roumains, les Albanais et les Monténégrins. Les mêmes aspirations voient le jour en Autriche : à la moitié du siècle,la révolution hongroise, prolongement des révolutions d’Europe occidentale, exprime clairement le désir d’identité nationale du peuple hongrois.
Le même phénomène se produit chez les autres peuples slaves soumis à l’Autriche. Tout le XIXe siècle sera une longue lutte pour le changement des structures sociales, la suppression des privilèges féodaux et l’affirmation de la personnalité nationale. Dans ce combat,les petits peuples ont tout naturellement cherché et eu l’appui de puissants alliés occidentaux intéressés quant à eux, à s’assurer les moyens de leur percée impériale.
On pourrait résumer cette situation de la manière suivante : les luttes de libération des petits peuples slaves des Balkans et de l’Europe centrale se sont déroulées sous l’influence du romantisme européen et, pour simplifier, sous le signe de 2 ou 3 idées nationales. Comme on le sait le romantisme fait de la langue le fondement de la nation, à cette époque il y avait 4 langues slaves : le russe, le polonais, le tchèque et l’illyrien. Ljudevit Gaj (à la tete du mouvement de renaissance nationale croate) eu tout naturellement l’illusion qu’il existait une nation slave du sud unique, la nation illyrienne, laquelle pouvait avoir son propre état.
L’histoire alla à l’encontre de cette idée romantique et l’on vit apparaitre deux conceptions antinomiques de cet état slave du sud : l’une, née dans l’empire turc, était serbe, pan-serbe et grand serbe ; l’autre apparue dans le cadre de l’empire autrichien était illyrienne ou slave du sud. Les théoriciens de la première conception étaient les Serbes Vuk Karadzic et Ilija Garasanin : les théoriciens de la seconde étaient des croates, parmi lesquels le plus connu fut Ljudevit Gaj et le cercle qui se réunissait autour de son journal "Danica".
Cette conception illyrienne voulait éviter que cette communauté slave du sud porte le nom d’un seul des peuples qui la composait, aussi l’appellation de communauté illyrienne fut-elle considérée comme la plus juste. Les Croates étaient pret alors à sacrifier et leur nom et leur langue pour la réalisation de cette idée. Mais dès le début ce fut l’affrontement avec la conception serbe qui n’admettait pas d’autre communauté slave du sud hormis la leur.
Comme la Serbie eut son propre état et put mettre en pratique ses idées, la conception grand-serbe apparut rapidement comme historiquement plus juste ; elle fut, en réalité, plus forte. Le petit duché serbe devint bientot un royaume et, après la première guerre mondiale, la paix de Versailles fit triompher la vision grand-serbe de l’union des peuples slaves du sud. Sans les Bulgares.
Ainsi naissait le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes qui devint en 1929, le royaume de Yougoslavie mais n’était en réalité qu’une grande Serbie. La conception grand-serbe avait matériellement triomphé mais elle ne put tuer les aspirations profondes des Croates à la création d’une communauté slave du sud basée sur l’égalité absolue des peuples qui la composaient, sur la justice.
Aussi Belgrade fit quelque compromis espérant qu’avec le temps le pouvoir finirait par venir à bout de toutes les résistances : dans le cadre de la Yougoslavie, toutes les "peuplades" devraient disparaitre, absorbées par la serbité. L’abus, le mensonge et la brutalité prenaient la place de la justice.
Historiquement, toutes les aspirations des Croates au yougoslavisme, à l’unité des slaves du sud, apparaîtront comme un réflexe de défense et s’il existe un élément primordial, constitutif de l’âme de ce peuple, alors c’est la défense, la défense de sa propre identité. Pris entre l’Est et l’Ouest, ils ont du se défendre, des siècles durant des Turcs tout en défendant l’Autriche, l’Italie et la Hongrie dont ils eurent à se défendre après que les Turcs se soient retirés de cette région.
Lorsqu’il leur sembla possible de réaliser une communauté des slaves du sud, ils firent tout pour que triomphe une communauté slave basée sur la justice, mais c’est la force qui a pris le dessus, les contraignant alors (1918) à s’y soumettre pour ne pas etre partagé entre la Serbie et l’Italie sur base d’un accord secret (1915 : traité de Londres) entre les forces de l’Entente et l’Italie pour que cette dernière change d’alliance. Les Croates, comme le disait l’écrivain Krleza, sont un peuple qui perd, par principe, non pas ses guerres mais celles des autres !
Pour comprendre maintenant les événements de la guerre 41-45, il est nécessaire de connaitre de plus près l’histoire politique des Croates dans le cadre de la Yougoslavie entre 1918 et 1941. Ainsi je me dois de rappeler la terreur et les assassinats de paysans, de citoyens, d’intellectuels, tout au long de cette période. Les formes les plus diverses de terrorisme économique, politique et culturel y ont toujours existé et culminent avec l’assassinat d’un groupe de députés du très pacifique Parti des Paysans Croates ; savez-vous où ? Au parlement de Belgrade !
Un excellent livre existe en français sur ce sujet, écrit par le chef des Serbes de Croatie, ministre de longue date et ministre des affaires intérieures du roi Alexandre Karadjordjevic-Svetozar Pribicevic,lui-meme Serbe de Croatie. Son livre est intitulé "La dictature du roi Alexandre".Vous verriez beaucoup plus clair en le lisant ! Vous verriez à quelle conclusion il a été amené après toutes les expériences qu’il a eues durant ses combats politiques sous le pouvoir autrichien et yougoslave ; enfin, pour comprendre toute l’étroitesse du pouvoir grand-serbe il suffirait de lire le livre de Jacques Augade et Emile Sicard "yougoslavie".Il ferait comprendre comment et combien, du fait d’une longue tradition, la propagande grand-serbe était devenue si efficace en France qu’on répondit cyniquement au témoignage authentique de Pribicevic, arguant de la bonne foi de l’opinion française et mettant à profit la "masse aperceptive" des citoyens français conditionnés par une longue propagande en faveur de la Serbie.
C’est pourquoi il est injuste et immoral de n’accuser que les Oustachis ou les Croates ! Ces "criminels", ces "égorgeurs" ne sont pas le produit d’une dégénérescence innée du peuple croate mais bien le produit de crimes commis plus tôt par ceux qui avaient privé ce peuple de son identité, de sa liberté, qui en avaient fait des esclaves en lui otant toute dignité humaine. Il n’est pas un seul peuple qui, dans ces conditions, n’aurait nourri en son sein de tels "assassins"... Et de surcroit quand on sait que le mouvement oustachi fut fondé au lendemain de l’assassinat du lider croate Stjepan Radic en plein parlement yougoslave à Belgrade !
Ainsi le besoin impérial de la France a fait en sorte que celle-ci avait besoin d’un état fort dans les Balkans pour contrebalancer le poids de l’Allemagne et de l’Autriche. Et L’absence d’Etat a contribué à ce que les idées les plus farfelues soient répandues en France sur les Croates. L’insuffisance d’une masse aperceptive produite par les Croates sur eux-meme est la cause fondamentale d’une telle situation.
Le fait, donc, que la Serbie avait un Etat est la cause principale à l’existence d’une pensée impériale franco-serbe ou serbo-française.
Venons-en maintenant à la plus grande des manipulations serbes consistant à faire croire que seuls les serbes auraient résisté à l’occupant nazi et que les Croates n’auraient été que des égorgeurs et des collabos. Pour démontrer que ces allégations ne sont que des calomnies honteuses je me bornerai à ne citer que quelques chiffres que toute personne amoureuse de la vérité pourra vérifier.
Ainsi :
- Le premier détachement de partisans pour toute la Yougoslavie a vu le jour en Croatie à Sisak le 22 juin 1941 et il fut composé uniquement de Croates.
- Le commandant du mouvement de libération nationale était Croate : Josip Broz Tito.
- Le président du conseil antifasciste de libération nationale yougoslave (CALNY :
- sorte de parlement yougoslave) était Croate : Ivan Ribar.
- Le chef d’état major de l’armée des partisans était Croate : Ivan Gosnjak.
- En 1943, 2 tiers de la Croatie était sous controle des partisans de telle sorte que Sime Balen, commissaire politique, déclara lors de la réunion du CALNY : "...Il n’y a pas de région en Croatie, pas un seul village ou ne soit passée notre armée de libération. Il est un fait que nous sentons et voyons fort bien et que Pavelic lui-meme doit sentir... le fait qu’aujourd’hui,le peuple croate entre en masse dans l’armée de libération nationale..."
- Ou encore le rapport d’Ivan Milutinovic du 15 janvier 1943 lors d’une conférence des commandements régionaux : "..En réalité l’occupant ne règne que dans les régions délimitées par des murs. Chaque combattant partisan peut librement circuler en Dalmatie avec son laissez-passer de partisan..."
- Vladimir Bakaric, délégué de croatie et future bras droit de Tito, disait : "Aujoud’hui,les masses croates participent, dans toute la Croatie, au mouvement de libération national. Aujourd’hui,nous pouvons dire que le peuple croate fait partie des peuples qui, par leur combat dans cette guerre, ont conquit le droit de décider eux-meme de leur avenir..."
- A cette époque le jeune Franjo Tudman combattait l’occupant et devint le plus jeune général de l’armée de Tito. Ce qui rend absurdes les allégations de ceux qui prétendent que la Croatie de Tudman serait l’héritière du régime D’Ante Pavelic.
- Quant à la Serbie, hormis un petit foyer de résistance communiste à Uzice qui n’exista que quelques semaines faute de soutien parmi la population serbe, celle-ci conclu des accords de collaboration avec les nazis sous la férule de Milan Nedic et des milices pro-nazie du Zbor dirigée par Dmitar Ljotic.
- En ce qui concerne les soi-disant premiers résistants d’Europe au nazisme appelés les tchetniks, je mets au défi quiconque de me citer un seul combat livré par ceux-ci contre les Italiens fascistes ou contre les Allemands ! Ces milices serbes ont dès la chute de la Yougoslavie conclu des accords de coopération militaire avec les Italiens pour persécuter la population croate en Dalmatie, Herzégovine et Bosnie orientale. D’ailleurs, si les tchetniks serbes étaient les gentils, comme l’usine à mensonges belgradoise nous le fait croire, pourquoi alors n’ont-ils jamais organisé de soulèvement en Serbie contre l’occupant allemand mais se sont cantonné à agir uniquement sur le territoire croate ? Et cela uniquement contre les forces des partisans de Tito comme le relate de façon magistrale le film de guerre "la bataille de la Neretva" ou feu Richard Burton joue le role de Tito.
- En 1944 sur 9 corps d’armée qui composaient l’armée des partisans, 5 étaient sous commandement croate. Ce qui démontre bien que c’est bien les Croates qui étaient proportionnellement les plus nombreux à participer à la lutte de libération nationale. Et c’est sûrement cela aussi, qui explique pourquoi ce sont les troupes de l’armée rouge qui ont du libérer Belgrade et le reste de la Serbie en octobre 1944.
- Franjo Tudman fut la seul résistant à l’empire dans le sud-est européen et l’absence des élites maçonniques mondiales lors de ses funérailles en décembre 1999 en est la preuve vivante. Mais ceci est une autre Histoire....