L’affaire Dutroux éclate, pour le grand public – car Marc Dutroux est fiché comme escroc, ravisseur et violeur d’enfants depuis longtemps par les gendarmes belges, avec lesquels il a passé des accords – le 15 août 1996, quand le monde découvre qu’il a aménagé une cave où il garde prisonnières ses victimes. Quatre d’entre elles, An, Eefje, Julie et Mélissa, mourront sous les viols et les mauvais traitements, dont deux de faim. Laëtitia et Sabine seront libérées in extremis par les enquêteurs du juge Connerotte, qui sera dessaisi plus tard.
L’épouse de Marc Dutroux, Michelle Martin, aura tout le long de la carrière criminelle de son mari participé activement, et non pas en épouse terrorisée, puisque c’est elle qui gardait et « nourrissait » les filles dans leur cage aménagée, au sous-sol de la maison de Marcinelle, là où les gendarmes étaient passés, sans rien voir ni entendre, alors que Dutroux avait un casier de pédocriminel long comme le bras.
Nous n’allons pas revenir sur toute l’affaire Dutroux, tentaculaire au possible, mais sur le destin de son ex-femme, qui prendra 30 ans de prison au procès fleuve de 2004. Elle aura droit à une conditionnelle en 2012, et se réfugiera dans une communauté de religieuses, ce qui lui évitera un éventuel lynchage. Lynchage qui aura presque la peau de Michel Lelièvre, le complice vivant de Dutroux (l’autre sera éliminé avant le scandale) qui sera repéré et sévèrement battu après une traque dans la banlieue de Bruxelles. Il aura été plus en sécurité pendant ses 23 ans de prison.
Pour la presse, il s’agit d’un retour à la « loi du Far-West », de justice populaire (et donc populiste), et c’est évidemment très mal. La libération définitive de Michelle Martin est légale, mais passe mal dans la population. Et surtout chez les parents des victimes.
Cette annonce n’a pas manqué de faire réagir Jean-Denis Lejeune, le papa de la petite Julie, l’une des victimes de Marc Dutroux. « J’apprends que Michelle Martin aura purgé sa peine et bénéficiera d’une liberté totale après avoir laissé mourir de faim et de soif ma fille Julie et son amie Mélissa. Ne soyez surtout pas choqués, c’est tout à fait normal. C’est notre système judiciaire qui le permet ». (La Voix du Nord)
Et dans cette affaire où le sordide le dispute à la corruption, au mensonge d’État et au déni de réseau, 26 ans après les faits, on peut encore entendre des choses stupéfiantes, comme ce témoignage du juge Suzanne Boonen, l’ancienne présidente du tribunal de première instance de Namur, qui a tenté de réinsérer Michelle Martin. On ne plaisante pas. La Voix du Nord a recueilli son témoignage humaniste :
« Elle travaille mais elle n’a jamais pu embrasser une situation professionnelle stable, en rapport avec les études de Droit qu’elle a faites à sa sortie de prison. Les gens n’osent pas l’engager », explique Suzanne Boonen à nos confrères de Sudinfo. « Avec la réputation qu’elle a et à son âge, je crains qu’elle ne trouve jamais de travail dans sa branche. J’ai le sentiment que son reclassement et sa réinsertion dans la société sont un échec, mais certainement pas de sa faute. C’est de la faute des haineux, des justiciers, des ignorants, des méchants et des médias », estime-t-elle encore.
Il y en a qui ont une confiance inébranlable dans l’âme humaine, qui est parfois capable des pires choses, mais aussi du meilleur, enfin, plus rarement.
Cependant, ce n’est plus l’affaire Dutroux qui occupe les médias français : pour ces derniers, c’est plié, les responsables, des loups solitaires, sont morts ou sous les verrous. Ce qui les préoccupe, ce n’est pas pas non plus l’affaire Epstein, puisqu’il est ou serait mort, et encore moins l’affaire Maxwell, qui ne fait plus les gros titres, et dont on n’a toujours pas d’image officielle à son procès.
Non, ce qui les préoccupe, c’est l’affaire de la pédophilie dans l’Église. La parole est largement donnée aux victimes dans les médias, on ne parle pas de réseau, mais on incrimine toute la hiérarchie de l’Église à travers une « responsabilité institutionnelle », ce qui est équivalent. On est passé au stade de la pédocriminalité « systèmique », texto. Actuellement, l’INIRR récupère les témoignages de victimes. L’Obs écrit :
L’Inirr, c’est l’Instance nationale indépendante de Reconnaissance et de Réparation créée à l’automne 2021 par les évêques après la publication, en octobre, de l’accablant rapport de la Commission indépendante sur les Abus sexuels dans l’Eglise (Ciase), qui a estimé à 216 000 le nombre de victimes de pédocriminalité de prêtres ou religieux, en France, depuis 1950. Un séisme. Un mois plus tard, lors d’un tournant historique, les évêques ont reconnu la « responsabilité institutionnelle de l’Eglise », la « dimension systémique » des crimes sexuels, et se sont engagés à indemniser les personnes victimes.
Trois ans après l’incendie criminel de Notre-Dame, la démolition contrôlée de l’Église de France est se poursuit. Tant pis pour les réseaux pédocriminels non confessionnels, ou de confession autre.