Ex-numéro deux de la police judiciaire lyonnaise, le commissaire divisionnaire Michel Neyret a franchi la ligne jaune. Il va maintenant devoir expliquer au tribunal correctionnel ses goûts de luxe et ses mauvaises fréquentations.
Du prestige et de l’influence, Michel Neyret en avait au sein de sa « maison », la police judiciaire. À Lyon, où il a fait l’essentiel de sa carrière, refusant de changer d’affectation au risque de stagner au grade de commissaire principal, les plus jeunes l’admiraient. Il était directeur-adjoint, mais le peu d’aura de son chef faisait qu’ils le considéraient comme le no 1. Surtout les membres de la BRI, l’antigang local, dont il était autant le père que le héros. « Il faisait la pluie et le beau temps », résume un de ses pairs.
La direction centrale de la PJ se félicitait de ses jolis coups, même si certains lui reprochaient de jouer un peu trop en solitaire. Les ministres l’appréciaient, au point de lui accorder la Légion d’honneur en 2004 et de lui donner leur feu vert pour qu’il aille faire le beau dans les émissions de télé spéciales police. Hélas, viré comme un malpropre de la « maison » après avoir été coffré au petit jour dans son fief, en octobre 2011, passé par la case prison, il comparaît, toujours avec son look de flic des années 80, depuis le 2 mai, devant le tribunal correctionnel de Paris. Sur ce banc des accusés où il a expédié tant de malfrats. Présumé innocent, comme eux.
- Michel Neyret le 17 mai 2011 à Lyon, montrant une partie de la saisie de près d’1,5 tonne de résine de cannabis réalisée par la PJ de Lyon le 13 mai dernier à Villefontaine
Michel Neyret, né en 1956, entré dans la police en 1979, a-t-il fait le choix délibéré de passer de l’autre côté du miroir, dans le camp de ceux qu’il pourchassait avec conviction ? C’est l’hypothèse qu’il s’emploiera à récuser jusqu’au bout, arguant du fait qu’il n’a jamais cessé de lutter pour la bonne cause, celle du bien contre le mal. Tout ce qu’il a pu s’autoriser, consulter des fichiers pour renseigner des voyous, détourner quelques kilos de shit avant incinération pour rémunérer des indics, c’était pour faire « tourner la boutique », pas pour s’en mettre plein les poches.
Ses juges ont cependant quelques questions précises à lui poser quant aux petits cadeaux dont il s’est laissé gâter durant les derniers mois de sa carrière, les plus fous, comme si le commissaire s’était mis à marcher sur la tête. Une montre Cartier, la Pasha, à 35 000 €, une montre Chopard d’origine douteuse, des voyages au Maroc, des séances de massage, un séjour en Corse, un autre à L’Alpe-d’Huez, des séances d’UV (qui lui confèrent un élégant teint hâlé), du fric, des savonnettes de shit qui se baladaient dans la nature, sans compter l’ouverture d’un compte en Suisse à son nom, voilà qui ressemble à une glissade tout à fait incontrôlée...
- Montre Cartier "Pasha" automatique or et acier
Jusqu’à présent, malgré les jours de taule, l’ex-flic n’a pas flanché, fort du soutien dont il bénéficie encore dans la maison, même de la part de ce commissaire, ancien numéro deux de la PJ de Grenoble, Gilles Guillotin*, traîné par sa faute devant le tribunal correctionnel. « J’ai toujours de l’admiration pour lui, confiait-il à la veille du procès. C’est l’un des rares qui m’a estomaqué en trente-trois ans de police. Il savait tout sur tout. C’était un patron qui mouillait la chemise. Ses faits d’armes parlent pour lui. Le seul bémol, c’est qu’il nous a emmenés en galère avec son téléphone, alors qu’on avait tous des téléphones dédiés pour parler avec nos indicateurs. »
Michel Neyret se croyait-il intouchable ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce « grand monsieur », comme dit le commissaire Guillotin, a mélangé les genres les yeux fermés, lui qui utilisait le même téléphone pour s’entretenir avec son chef de service comme avec les magistrats, les avocats, sa femme et les voyous. Il a perdu pied en entrant dans un autre monde, celui où l’on flambe en buvant le meilleur champagne, où l’on s’affiche auprès des plus jolies femmes.
Et a porté un vrai coup à une PJ qui depuis, du moins dans ce Grand Est où il rayonnait comme un soleil, a mis le pied sur le frein : les investigateurs n’osent plus bouger une oreille sans dresser un procès-verbal, ils avertissent trois personnes avant de croiser un indic, un magistrat assiste aux incinérations de drogue pour être sûr qu’il ne manquera pas un kilo... Parce que Michel Neyret aura réussi la prouesse de faire passer la quasi-totalité des chefs de groupe locaux pour les membres d’une association de malfaiteurs...