C’était jeudi 4 mai 2017 au soir, sur France 2, après le débat politiquement peu intéressant du mercredi 3 mai, pourtant suivi par plus de 15 millions de Français, sans compter les réseaux sociaux, qui associent les Français de l’étranger (qui sont plus de 2 millions et qui ont voté massivement le 23 avril).
Pujadas et Salamé, avec l’accord de Field et Ernotte, ont invité ces fameux Français de la société civile qui ont des choses à dire, pas de parti à défendre ni de clientèle à draguer. Nicolas Hulot en début d’émission a été très bon, rappelant le lien entre la solidarité, le futur et l’écologie, un thème qui été trappé pendant toute la campagne. Il a notamment déclaré :
« La solidarité ça n’est plus une option. Si on veut aspirer à vivre en paix, il vaut mieux répartir la richesse. Il faut remettre à plat un modèle économique, pardon, mais qui est pas un modèle qui partage, c’est pas un modèle qui préserve. C’est un modèle qui épuise les ressources, c’est un modèle qui concentre les richesses. »
Hulot cite alors Edgar Morin :
« Il dit nous sommes technologiquement triomphants, et culturellement défaillants... »
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Et lorsque Pujadas (à 16’43) lui lance que la France est la championne de la redistribution, et donc de la solidarité, voici ce que l’écologiste répond :
« Mais la redistribution dont vous parlez, pardon de vous le dire, elle est pas si évidente que ça. Déjà à l’échelle du monde vous avez 1% qui concentre 93% de la planète ! Enfin, même à notre échelle, est-ce qu’il y a une certaine équité dans la redistribution et dans l’effort et dans la solidarité ? Et quand vous avez un pan entier de l’économie qui s’est organisé en toute légalité mais en toute immoralité pour échapper à l’impôt ou à une partie de l’impôt – notamment par ce qu’on appelle l’optimisation fiscale –, est-ce que vous pensez que ça c’est pas une forme de violence ? Et c’est ce type je dirais de situation avec laquelle nous nous accommodons, qui est devenue une forme de norme, parce que c’est légal, mais c’est absolument immoral, y a pas besoin forcément d’être Mélenchon pour s’en indigner ! C’est insupportable parce que si on récupérait cette évasion fiscale légale mais on condamnerait pas la France et les pays du Nord à l’austérité et les pays du Sud à la misère ! C’est de cette imposture dont il faut sortir. »
Le thème de l’émission est donc « les 2 France ». L’autre invité intéressant était Houellebecq (on passe sur Brice Teinturier et Olivier Duhamel, systémisés jusqu’à la moelle).
Michel Houellebecq : « La deuxième France, dont vous parlez, la France périphérique, qui hésite entre Marine Le Pen et rien, je me suis rendu compte que je la comprenais pas, que je la voyais pas, que j’avais ben perdu le contact, et ça quand on veut écrire des romans, je trouve que c’est une faute professionnelle assez lourde. »
Léa Salamé : « Et pourquoi vous avez perdu le contact avec cette France-là ? »
Michel Houellebecq : « Parce que je la vois plus ! Je fais partie de l’élite mondialisée maintenant, typiquement. J’exporte même en Allemagne. Pourtant je viens de cette France. »
Ensuite, l’écrivain à succès fait la distinction entre le vote idéologique et le vote de classe :
« Le mot est démodé mais il y a une classe qui vote Le Pen, une classe qui vote Mélenchon, une classe qui vote Macron, une classe qui vote Fillon... Que je le veuille ou non, je fais partie de la France qui vote Macron, parce que je suis trop riche pour voter Le Pen ou Mélenchon. »
De la sociologie classique, mais qui semble échapper aux journalistes et observateurs de la vie politique en plateau. Pour preuve, cette question de Salamé, qui prouve qu’elle n’a pas bien compris les bouleversements en cours :
« Est-ce que vous avez l’impression que ce clivage gauche/droite a été remplacé par un autre clivage qui serait société ouverte/société fermée ou progressistes contre conservateurs ? »
Il a donc échappé à Léa Salamé, madame Glucksmann Jr à la ville, que le vrai clivage a toutes les chances d’être élite/peuple ou haut/bas, ou mondialistes/patriotes pour reprendre le thème de campagne de Marine Le Pen. Et dans la bouche de la journaliste, la distinction entre progressisme et conservatisme est évidemment traîtresse, puisque la péjoration est mise sur le conservatisme, ou la société fermée. Une société fermée à la violence oligarchique, mondialiste, migratoire, ça lui parle ? Elle tombe dans le trou d’ignorance que décrit justement Houellebecq, qui revient à dire que la France d’en haut ne comprend plus la France d’en bas. L’écrivain a l’honnêteté d’avouer – implicitement – que depuis qu’il est millionnaire, il ne fait objectivement plus partie du peuple.