La politique est affaire de crocodiles. Une gentille colombe lâchée dans ce landerneau se ferait déchiqueter à peine aurait-elle ouvert son bec. La politique n’est ni morale ni amorale, elle est la connaissance et l’exploitation des rapports de forces, de ses propres forces et des faiblesses de son ou ses adversaires, et réciproquement. Si cette action recoupe la morale, c’est un joyeux hasard. Mais aucune politique concrète ne peut se conduire avec une morale manichéenne, celle dont rêve le peuple, qui aimerait être conduit par une équipe qui privilégie la transparence, la bienfaisance, la prise en compte de l’intérêt commun, l’amélioration des conditions de vie...
Cela est possible, mais un temps, et les forces du Mal interviennent en général très rapidement pour rétablir l’échelle oligarchique de dominance. On le voit avec la situation vénézuélienne : un président populaire qui travaille pour le peuple trouve des adversaires prêts à tout pour imposer une autre politique, celle d’en haut contre celle d’en bas. La moralisation de la vie politique est le dernier piège oligarchique inventé pour récupérer cette exigence populaire d’honnêteté et de sincérité. Les actions restent, les mots changent.
Bayrou, ce qui se fait de mieux – ou de pire – dans le genre vieille politique, lance son grand projet de moralisation de la vie publique. Les Français en avaient besoin, eux qui ont suivi avec passion les aventures de François Fillon qui s’est empêtré dans ses petits mensonges avant le premier tour du 23 avril 2017. Cinq mois plus tôt, il était le roi du monde avec le plébiscite de 4 380 000 électeurs de droite et du centre, le 27 novembre 2016. Déjà, à l’époque – comme ça semble loin – il réunissait 66% des voix de son camp face aux 33% d’Alain Juppé. Le 7 mai 2017, Macron l’emportait avec 66% des voix face à Marine Le Pen, une simple coïncidence.
Pourtant, c’est par une campagne de presse sans précédent que le candidat des Républicains a été éliminé, y compris par la presse de droite. Les médias mainstream ont pesé de tout leur poids pour flinguer la dynamique fillonniste et la remplacer par la « dynamique » macroniste. Ce qui a été fait et bien fait, en jouant sur tous les leviers possibles, légaux et illégaux.
Maintenant que la substitution des candidats a eu lieu au nez et à la barbe du peuple, le gouvernement a été choisi, avec Collomb à l’Intérieur et Bayrou à la Justice. Un Bayrou qui voulait le poste de Premier ministre, et qui se contentera de celui de numéro 3 du gouvernement. Il est vrai que les allers-retours du centriste entre la droite et la gauche depuis 10 ans au gré des vents dominants n’a pas milité pour un investissement de confiance en sa faveur.
Malgré sa déception, il ressort de son tiroir sa « loi de moralisation de la vie publique », qu’il poussait déjà en 2013, lors de l’affaire Cahuzac (Sarnez le représente chez Yves Calvi) :
À l’époque, Hollande avait été fraîchement élu sur le thème de « la République exemplaire », après les débordements « familiaux » de son prédécesseur Sarkozy. Cela n’avait pas suffi, et le donneur de leçons de morale du PS s’était pris le scandale Cahuzac en pleine poire. C’est donc fort logiquement et avec un sens aigu de la ténacité que Bayrou relance son idée force.
Au vu de l’affaire qui le secoue dans la coulisse, on est en droit de se demander s’il ne s’agit pas d’un contre-feu très... personnel.