Le 2 avril, j’ai décrit dans une tribune mon parcours dans les bas fonds de la politique. Emplois fictifs, extorsion, agressions sexuelles, tout y était, version François Bayrou. Plus de soixante-dix mille lecteurs plus tard, j’ai découvert les dessous d’une élection ou tout s’accordait, jusqu’au sommet de l’État, pour protéger Emmanuel Macron. Chronique d’un échec annoncé. Et d’une France qui n’est pas la nôtre.
Maintenant ou jamais
« Bonjour ! Je m’appelle Nicolas Grégoire, j’ai eu deux emplois fictifs à l’UDF pour François Bayrou. Et aujourd’hui, je balance »
C’était le bon moment : un mois avant le premier tour. Dans une élection qui s’annonçait serrée. Avec un bon texte, des preuves et une campagne sur les réseaux sociaux, tout le monde m’entendrait. Les médias, d’abord réticents, finiraient par relayer. Et François Hollande, soucieux de sa réputation et peu enclin à protéger ennemis et traîtres, resterait neutre.
En lisant mon brouillon, mes amis découvrent un Nicolas inconnu, un peu inquiétant. « Tout est vrai, sauf le rez-de-chaussée. Je préfère qu’on ne sache pas à quel étage j’habite ». Après quelques jours de relecture, ma souris reste comme suspendue au-dessus de Publier. Le temps ralentit. Avec l’angoisse des grandes décisions, mon doigt s’écrase sur le bouton.
Quinze minutes de célébrité
« Si vous devez lire une chose aujourd’hui, lisez-ça. Vraiment » — quelqu’un sur Twitter
D’abord partagé par trois personnes, Fictif(s) se propage sur les réseaux sociaux. De programmeur en programmeur. Puis un journaliste informatique. Puis France Culture. Puis Cécile Duflot. Puis tout le monde. Pendant deux jours je regarde, fasciné, mon histoire sillonner la France. Et faire le tour des rédactions.
Très vite, les demandes d’interviews arrivent. En choisissant mes mots, je leur dis la même chose. Oui, la politique, c’est vraiment ça : les avantages, les passe-droits. La vie en première classe. Oui, les emplois fictifs sont répandus. Dans tous les partis. « Ah bon, François Bayrou ne me connaît pas ? Pourtant, quand il y avait une coquille dans le journal du parti, il savait où me trouver ! » J’insiste sur l’urgence de changer la vie politique avant que, demain ou après-demain, Marine Le Pen gagne l’Élysée. « François Bayrou a l’amnésie pratique. Je ne crois pas qu’il aura l’honneur d’admettre. Oui, il faut moraliser la vie politique. Mais Bayrou ne peut en être ni la caution, ni l’instrument. »
Le jour de la parution de Fictif(s), je reçois un email d’un journaliste de Marianne. « Compte-tenu de sa qualité, seriez-vous intéressé pour une éventuelle reprise sur le site de “Marianne” ? » J’accepte. Deux jours plus tard, je relance. Aucune réponse. Le lendemain, Marianne publie deux pages d’interview exclusive de François Bayou.
Mediapart, qui n’avait pas voulu de mon papier, le publie maintenant sans mon autorisation. En signant « la rédaction de Mediapart ». Mes mails de protestation et de demande d’accès abonné n’ont pas de réponse.
Très vite, la qualité de mes conversations téléphoniques avec les journalistes est particulièrement mauvaise. Après deux ou trois minutes, les voix se hachent, deviennent métalliques. « Vous voyez, j’habite dans une zone où ça capte plutôt mal. Ça va, mais je capte tout juste. Et là, clairement, quand j’appelle certaines personnes, de la bande passante s’échappe quelque part ».
Je contacte le Canard Enchaîné, dont je connais le rédacteur en chef, Érik Emptaz. « Le “Canard” vous remercie d’avoir pensé à lui, me répond la secrétaire de rédaction. Votre message est transmis à Érik Emptaz ». Soulagé, je réponds « vous vous réveillez enfin, c’est bien. Je commençais à me demander si vous protégiez Bayrou ». Le Canard ne publiera rien. Et enchaînera les révélations sur Fillon et Le Pen.
Les interviews s’enchaînent. On m’enregistre. On prend note. J’avertis : « Attention, il va y avoir des pressions ! » Et toujours la même réponse. « Ah mais Bayrou et ses amis ne font pas la loi chez nous ! » Et le sujet ne sort pas.
6 avril. Pour répondre aux demandes des médias et faire taire les mauvaises langues, je publie toutes mes preuves sur Twitter. Et mets les originaux en lieu sûr. Corinne Lepage, qui avait avant moi dénoncé les emplois fictifs chez François Bayrou, retweete immédiatement. Deux minutes plus tard, elle se rétracte.
22h. Dans un appartement éteint et silencieux, je lis à côté de ma fille qui dort à poings fermé. Mon chien bondit en direction de la porte d’entrée en poussant des hurlements. Exactement comme il y a huit ans, quand on essayait de me cambrioler. Je me lève. « Qu’est ce qui se passe, mon chien ? » J’entends quelqu’un dévaler l’escalier. Je reste là, une bonne minute. Le doute s’installe. Dans quoi me suis-je foutu.