Il avait une tête de syndicaliste FO, mais pas vraiment la mentalité de la maison. À vrai dire, Gotlib n’était ni de droite ni de gauche, il était du milieu... de l’humour, ce médicament universel. C’est le premier, en France, à avoir déconné avec tout, ce qui donnera la Rubrique-à-brac, fourre-tout génial, pour l’époque, où il laissait libre cours à ses délires. Le succès aidant, il ne se satisfera plus de simples planches, puis de simples albums, mais créera son propre journal. L’aventure Fluide Glacial commencera comme un gag le 1er avril 1975.
Les années 60-70 furent propices à l’inventivité, dans tous les domaines. La musique et le dessin, auparavant confisqués par les adultes, tombent en quelque sorte dans le domaine public, au moment même où l’augmentation du niveau de vie permet aux nouvelles générations de s’approprier les nouveaux biens de consommation culturels. D’un côté, explosion de la production de divertissement pour les jeunes, de l’autre, solvabilité grandissante du public adolescent des 30 Glorieuses. Résultat de cette rencontre sociologico-économique, la fabrication de princes de la culture populaire. Rock et BD sont nés jumeaux.
La France, si elle ne touche pas une bille en rock, rapport à la piètre formation musicale infligée aux enfants dans les écoles, sera par contre en pointe dans l’univers de la BD, notamment d’humour. Si bien que naîtront en même temps les grotesques yéyés et les stars de la BD comique. On n’a rien à envier aux Américains de ce point de vue. Mais si le rock anglo-américain traversera la Manche et l’Atlantique une décennie plus tard, mettant un terme à la pseudo-résistance yéyé, l’humour français ne franchira pas les océans dans l’autre sens. Trop stylé, trop fin, trop national.
Deux journaux principaux formeront et « matureront » les meilleurs dessinateurs, qui deviendront les maîtres incontestés du genre : Hara-Kiri et Pilote. L’un trash, destiné aux adultes, l’autre aux jeunes et aux enfants. Certains feront le voyage du premier au second, au gré des ennuis politiques du Pr Choron. Mais ces deux cadres deviendront vite trop étroits pour les créateurs concernés, qui donneront naissance à leurs propres magazines, plus spécialisés encore. Ce sera Fluide Glacial (gaudriole pour ados), Métal Hurlant (SF et fantastique), L’Écho des savanes (humour branché), Charlie Hebdo (humour et actu), avec, dans le désordre, Brétecher, Druillet, Solé, Fred, Gébé, Mandryka, Lob, Reiser, Alexis, et même le jeune Serge de Beketch, en passant, un temps auteur pour Reiser dans Pilote.
Depuis, la BD française s’est structurée, hiérarchisée, segmentée, industrialisée, le marketing a remplacé la folie créatrice des premiers temps et des précurseurs, mais les monstres sacrés ont traversé le temps. Le chien de Gotlib, Gai-Luron, à l’air un peu con mais au bon sens imbattable, ou sa coccinelle, sorte de Jiminy la conscience, dont le principe a été repris en souris par Plantu dans Le Monde, sont aussi célèbres que leur créateur. S’intéressant à tout, particulièrement à la musique et au cinéma, Gotlib pond des albums thématiques, la série des Cinémastock avec Alexis, un travail critique anti-intellectuel derrière la déconne. C’est Superdupont, le sauveur de la France armé de pinard, claquos et béret, qui cassera la baraque à la fin des années 70, sur le thème alors popularisé par Raymond Barre de « l’anti-France ».
Un héros national pantouflard et viril, qui éloigne les dangers qui guettent une France adorée, symbolisée par une pin-up bien de chez nous, Georgette. Le tout au troisième degré, mais qui montre, avec humour, l’amour que Gotlib porte à son pays. Il disait lui-même se sentir « plus français que juif ». Car Gotlib (Gott Lieb, aimé de Dieu, presque Dieu donné), est un petit juif d’origine hongroise dans la France des années 30. Aucun rapport avec Sarkozy, issu de la grande bourgeoisie magyare, qui passera son enfance dans un hôtel particulier, alors que le petit Marcel sera planqué trois ans dans la campagne normande, au milieu des bestiaux. Il déclare dans Le Monde du 13 mars 2014 :
« Je suis avant tout athée mais, d’un autre côté, je suis juif et si je ne l’étais pas, je serais athée également. Tout ça est bien compliqué. Disons que je suis obligé de tenir compte de cette appartenance à la judéité dans la mesure où cela a été la dégringolade du côté de ma famille pendant la guerre. Cela dit, je n’ai jamais claironné que j’étais juif. Mais je ne l’ai jamais caché non plus. »
La judaïté de Gotlib tient une place étonnamment grande dans sa fiche Wikipédia et dans les articles qui lui rendent hommage, alors qu’elle n’apparaît quasiment jamais dans son œuvre. La mort de son père en déportation en Allemagne ne sera pas non plus prétexte à jérémiades permanentes ou à vengeance tardive : toutes ses émotions et souffrances passées seront transformées en humour, cette forme supérieure de pardon. La récupération judaïque de Gotlib, à son corps créatif défendant, n’est pas à l’honneur des journalistes, qui cherchent peut-être, de la sorte, à se faire bien voir du lobby sioniste en France. Les voies de la soumission sont impénétrables.
Gotlib, lui, n’aura jamais été soumis qu’à une chose : son imagination débordante.
Bon, maintenant, assez blablaté, place aux images. Enfin, aux paroles. On est sur France Culture, le 10 octobre 2011, dans l’émission À voix nue :
Toujours sur France Culture, en 1997 :
Un sujet d’Arte sur le dessinateur en avril 2014, dans l’émission Bits :