Le 7 janvier 2020, Sud Radio organisait un débat sur l’affaire Matzneff arbitré par Valérie Expert avec le journaliste (de droite) André Bercoff et l’ancien magistrat (de gauche) Jean-Pierre Rosenczveig.
Pourquoi Bercoff et Rosenczveig ? L’ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny (93) publie Les Droits de l’enfant pour les nuls, Bercoff sort Le Retour des peuples (merci Comprendre l’Empire), un ouvrage politique sans rapport avec la question pédophile. Mais Bercoff a été un grand libertin tendance Mai 68, ce qu’il laisse entendre à demi-mot dans l’émission. Ces deux hommes, qui aborderont leur relation avec Gabriel Matzneff, renieront-ils leur passé à la lumière de la vindicte actuelle ?
Bercoff : « Il y a des gens qui étaient choqués à l’époque, certes, mais il n’y avait pas eu levée de boucliers… Le milieu médiatico-intellectuel l’avait lu et effectivement il n’y avait eu, y compris d’ailleurs dans les journaux dits conservateurs, il y avait pas eu de levée de boucliers… Mais si vous voulez, quand je parle de climat de l’époque, c’était un climat un peu post-soixante-huitard, c’est-à-dire que ça joue quand même, allez, “vive la liberté”, on ne parlait pas de devoirs on parlait de droits, le droit à l’enfant, le droit à ceci, le droit à cela, le droit au plaisir, le droit à la jouissance, etc. Et dans ce contexte-là il y avait deux choses qui jouaient : d’abord, on ne touche pas aux écrivains, on ne touche pas aux artistes. »
Petit écho involontaire au livre de Rosenczveig sur les « droits » de l’enfant, expression pour le moins ambiguë… Rosenczveig, de son côté, s’absout et botte en touche vers l’Église.
Rosenczveig : « À l’époque, et ça fait sourire aujourd’hui, mais c’est révélateur, on parlait d’“atteinte à la pudeur sur mineur”, atteinte à la pudeur, aujourd’hui on parle de crime. De crime de viol. Puni de deux ans d’emprisonnement. Aujourd’hui, le viol est puni de 15 ans, sur mineur 20 ans et l’atteinte sexuelle avec la nouvelle loi est punie de 7 ans. Il y avait déjà des textes, mais pour rejoindre ce qu’a dit monsieur Bercoff, ça le fera sourire mais en reprenant un lapsus qu’il a eu, dans cet esprit post-soixante-huitard, quelqu’un qui se présentait comme un Robin des bois qui violait la loi et qui en plus donnait du plaisir, quelque part avec des gens affables qui l’accueillaient à leur table, Bernard Pivot, ça passait… Mais ce qui est intéressant dans le discours que vous teniez sur les droits, vous avez parlé du droit non pas de l’enfant mais du droit à l’enfant ! C’est pas un lapsus mais… Si c’était voulu c’est encore plus révélateur, c’était la revendication par les adultes d’avoir droit à des enfants, ça c’est profondément choquant. »
Lors de l’affaire du Coral, Rosenczveig, alors conseiller de la secrétaire d’État à la famille Georgina Dufoix (PS), n’a pas semblé si choqué, si bien sûr il était au courant des exactions qui avaient lieu dans ce lieu de vie pas comme les autres.
Rosenczveig : « Et la mutation extraordinaire c’est qu’on parlait de lois dans cette époque-là, est-ce que c’était légal, pas légal, et après tout violer la loi, surtout dans ces domaines de mœurs dans l’esprit post-soixante-huitard ça passait, aujourd’hui on a pris conscience, mais ça a pris 20 ou 30 ans, du trauma, c’est-à-dire des conséquences que ça avait. Regardez Monseigneur Barbarin, qui dit “je savais que c’était illégal”, la pédophilie, ou la pédocriminalité, pour parler moderne, “mais je n’avais pas, nous n’avions pas conscience de ce que ça pouvait causer, des dégâts que ça pouvait causer au victimes”, et à ces personnes qu’ils ne parlent pas de victimes mais que nous on identifie comme victimes. »
De Matzneff et de l’intelligentsia gauchiste, on passe à Barbarin et à l’Église ; la presse a utilisé le même contre-feu pour « couvrir » la monstrueuse et tentaculaire affaire Epstein.
Rosenczveig : « L’un est mature, l’autre immature. L’adulte doit être mature pour deux ou pour trois. Même si un enfant lui fait la danse du ventre, si je puis me permettre ce mauvais jeu de mots, l’adulte doit savoir dire non… Et c’est pour ça que je crois qu’il faudrait que nous allions vers une législation qui est très simple, qui soit objective et non pas subjective avec le consentement, mais qui vienne dire aux adultes, plus de 18 ans et a fortiori 50 et plus, vous n’avez pas le droit de toucher aux enfants qui ont moins de 15 ans, point barre. »
Bercoff essaye alors de tirer le sujet vers les migrants pakistanais violeurs d’Angleterre et la gauche qui les défend sous prétexte de « codes culturels » différents, sous-entendu chez eux ce n’est pas considéré comme du viol, la pédophilie serait culturelle. L’ex-magistrat développe sa proposition de loi qui éviterait les débats insolubles autour du « consentement » des victimes.
Rosenczveig : « Voyez, 7-8 ans la majorité pénale aujourd’hui. Autour de 12-13 ans un enfant peut accomplir les actes de la vie civile, c’est ce que je dis dans mon bouquin “Les Droits de l’enfant pour les nuls”, donc y a une certaine compétence, donc de discernement, donc la question était de savoir, et là la question devient très politique, au sens noble du terme, est-ce que le statut civil ne doit pas être lié au statut pénal et est-ce que le statut pénal ne doit pas être lié au statut civil ?
Finalement, moi j’étais plutôt pour 13 ans, finalement, certains disent 15, le président de la République a insisté pour 15, mais à la limite peu importe aujourd’hui 13 ou 15, on s’est enfermés dans le débat sur le consentement. Le parquet et la partie civile vont vouloir prouver qu’il n’y avait pas consentement, et l’accusé a le droit d’essayer de prouver qu’il y avait consentement, donc il va y avoir un aléa, et c’est ce qu’on a vu à Melun : la cour d’assises a estimé que le monsieur de 20 ans qui avait une relation sexuelle complète n’avait pas voulu la violer, sous-entendu, parce qu’une porte est ouverte ou fermée, mais la gamine était plus ou moins consentante, faut sortir de ce débat. »
La question de l’adulte qui provoque le consentement, par l’emprise, la peur ou l’ignorance, ne rentre pas en ligne de compte… Mais Rosenczveig va y arriver. Avant cela, Bercoff patine sur sa relation avec Matzneff après une question simple d’Expert, qui semble absolument innocente, pour ne pas dire plus.
Bercoff : « Eh bien moi j’ai connu Gabriel Matzneff, dans les milieux, vous voyez, on ne discutait pas du tout de pédophilie, du tout, on discutait d’orthodoxie etc. »
Expert : « Mais vous saviez quand même qu’il avait écrit ça, vous saviez qu’il avait écrit “Les moins de 16 ans” ! »
Bercoff : « Je savais qu’il avait écrit ça, mais vous savez, comme c’était écrit “Les moins de 16 ans” c’est vrai que c’est quelque chose qui n’était pas à l’avant, moi je me rappelle même pire, parce que pour moi ce qui était pire c’est ce qui était paru dans Libération, la fameuse pétition était pire parce qu’elle revendiquait et elle trouvait, attention, vous avez de Sartre à Kouchner à Michel Foucault, toute l’intelligentsia française de l’époque ou presque, appelons-la progressiste, appelons-la comme vous voulez, avait signé la pétition ! (…)
Et dans le climat de l’époque, on se disait oui, c’est pas, on, vraiment c’est quelque chose qui ne suscitait pas et c’est vrai que c’était avant “Me Too” avant “Balance ton porc”, avant et on revient à cette histoire effectivement pas de justice mais morale, moi personnellement ce qui me choque profondément en un mot, c’est que je trouve que on peut faire tout ce qu’on veut entre adultes consentants, mais vraiment tout ce qu’on veut, mais “adultes” et “consentants”, ce sont deux notions indissociables et très importantes. »
Bercoff tente de se débarrasser, fort maladroitement, de sa relation avec Matzneff, qui ne devait pas parler uniquement « orthodoxie ». C’est là où Rosenczveig va créer une ambiguïté majeure qui va faire pousser un cri à l’arbitre...
Rosenczveig : « Ce qui s’est joué, c’est que on a assimilé, enfin, on s’est approprié les pédo, les pédocriminels, au passage on ne parle pas de pédophiles, moi je suis pédophile, c’est-à-dire au sens où moi j’aime les enfants, vous aimez les enfants, mais ce qui est important c’est la pédocriminalité, c’est pas le fait d’aimer des enfants… »
Expert : « Mais le mot pédophile, il est quand même connoté ! »
Rosenczveig : « Justement, pour sortir de ce mot, pédophilie, mais de pédocriminalité, de la même manière en terme de mots c’est important, ne plus parler d’abus sexuel sur mineur, il n’y a pas de sexualité normale d’un adulte sur un enfant, et je reviens au sujet, je pense qu’effectivement ceux qui ont fait émerger, ou certains de ceux puisque je fais partie des gens qui ont fait émerger les droits des enfants, mais pour les enfants, mais certains l’ont fait pour s’approprier des enfants, les droits à la sexualité des enfants, euh, “les enfants ont une sexualité” disait Matzneff et je vais leur faire bénéficier de cette sexualité, en d’autres termes il mélangeait les deux sujets.
Oui, une gamine de 12-13 ans a le droit de faire des câlins, à jouer au docteur, à faire l’amour etc., etc., et effectivement elle a le droit d’accéder à la pilule de manière libre et anonyme. Mais c’est pas pour autant que l’adulte doit avoir une relation avec lui. 12 ans avec 14-15 ans, 16 ans peu importe, mais pas avec 18 et plus, le type de 50 ans, le Matzneff qu’on voit à la télévision il est pas à égalité parce que c’est tout le débat actuel, l’égalité entre homme et femme…
Effectivement, c’est la montée aussi de ce débat sur la violence et pas forcément physique, mais qui est psychologique et morale, aujourd’hui on parle d’emprise, et le moins qu’on puisse dire si jamais l’affaire Matzneff va jusqu’à un procès, le procureur de la République, l’avocat général, j’allais dire, ils ont un terrain qui a été déblayé, Matzneff n’a pas arrêté de démontrer des éléments, l’emprise qu’il exerçait ! »
Soulagé, Bercoff enfonce son clou sur le bouc émissaire Matzneff, et Rosenczveig, en bon magistrat gauchiste, plante une nouvelle banderille dans l’Église. L’honneur soixante-huitard est sauf !
Bercoff : « Et je les enseignais, et je leur apprenais le plaisir, et au contraire j’étais, attention j’étais un “bénéfacteur” comme on dit, j’étais un père Noël, pratiquement ! Et ce père Noël est une ordure… »
Rosenczveig : « C’est qu’il a toujours pas entendu que, malgré tout ce qu’il disait et croyait – après tout il peut être sincère –, il avait fait du mal. Parce que après tout vous pouvez faire du bien, penser que vous faites du bien et faire du mal. Un certain nombre de pédophiles prêtres l’ont compris, eux. Alors pour répondre à la question sur l’époque, moi je fais partie des gens, je vous ai dit, nous, nous dénoncions mais nous n’étions que des professionnels, j’ai dans mon bureau des échanges de correspondance avec Matzneff où nous l’épinglons au nom du journal “Le Droit des jeunes”, on le traite de prédateur, mais pour autant la société n’était pas prête, parce qu’elle banalisait, elle banalisait. »
L’émission Parlons vrai du 7 janvier 2020 :