Dans un entretien accordé à The Economist, le chef d’État français a émis un jugement particulièrement sévère sur l’état de l’alliance atlantique. L’opération turque en Syrie, notamment, aurait révélé son état de « mort cérébrale ».
« Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN » : le jugement, particulièrement sévère, est celui du président de la République française. Dans un entretien accordé au magazine The Economist, Emmanuel Macron a expliqué ce constat par le désengagement américain vis-à-vis de ses alliés de l’alliance atlantique et du comportement de la Turquie, également membre de l’organisation militaire.
Le chef d’État ne souhaite pas pour autant la fin de l’OTAN, appelant au contraire à « clarifier maintenant quelles sont [ses] finalités stratégique ». En même temps, le président français a plaidé à nouveau pour « muscler » l’Europe de la Défense – une idée pourtant peu appréciée par l’alliée américain.
L’opération turque en Syrie, révélateur des désunions au sein de l’OTAN
La décision de la Turquie de lancer en octobre une offensive militaire contre les Unités kurdes de protection du peuple (YPG), qu’elle considère comme terroristes, a mis mal à l’aise ses partenaires de l’OTAN – les États-Unis et la France, entre autres, condamnant de leur côté fermement cette intervention.
« Vous n’avez aucune coordination de la décision stratégique des États-Unis [de se retirer des troupes du nord syrien] partiellement avec les partenaires de l’OTAN et nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’OTAN, la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination », déclare Emmanuel Macron dans l’interview, concluant : « Ce qui s’est passé est un énorme problème pour l’OTAN. »
Dans ces conditions, le président français s’interroge en particulier sur l’avenir de l’article 5 du traité atlantique, qui prévoit une solidarité militaire entre membres de l’Alliance si l’un d’entre eux est attaqué. « C’est quoi l’Article 5 demain ? Si le régime de Bachar el-Assad décide de répliquer à la Turquie, est-ce que nous allons nous engager ? C’est une vraie question », souligne-t-il.
L’OTAN est apparu à l’occasion de l’opération turque divisé sur une question d’ordre stratégique, au point que des commentateurs avaient, avant Emmanuel Macron, ni plus ni moins annoncé la « mort » de l’organisation militaire. « L’OTAN est morte puisqu’une puissance de l’OTAN a décidé de se battre, totalement librement, en achetant des armes russes sans l’accord des autres membres », avait par exemple jugé le mois dernier l’économiste Jacques Attali sur France Info.
Emmanuel Macron s’inquiète également de la « fragilité » de l’Europe
Outre la « mort cérébrale » de l’OTAN, Emmanuel Macron s’alarme, auprès de The Economist, de la « fragilité extraordinaire de l’Europe » qui « disparaîtra » selon lui, si elle ne « se pense pas comme puissance dans ce monde ».
« Je ne crois pas dramatiser les choses, j’essaye d’être lucide », tient à souligner le président de la République. Il pointe trois grands risques pour l’Europe : qu’elle ait « oublié qu’elle était une communauté », le « désalignement » de la politique américaine du projet européen et l’émergence de la puissance chinoise « qui marginalise clairement l’Europe ».
À l’occasion de cette interview, Emmanuel Macron invoque donc le projet de développement d’Europe de la Défense qui lui tient à cœur – au risque de froisser de nouveau Washington et d’accroître les divisions au sein de l’OTAN. L’« Europe [...] doit se doter d’une autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire », estime-t-il. Or en novembre 2018, Donald Trump avait exprimé son indignation face à la proposition d’Emmanuel Macron de créer une « vraie armée européenne » pour « protéger [l’Europe] à l’égard de la Chine, de la Russie et même des États-Unis d’Amérique ».
Dans son entretien à The Economist, Emmanuel Macron estime que le président américain et la France ne partagent pas la même philosophie de l’alliance atlantique. « Le président Trump, j’ai beaucoup de respect pour cela, pose la question de l’OTAN comme un projet commercial. Selon lui c’est un projet où les États-Unis assurent une forme d’ombrelle géopolitique, mais en contrepartie, il faut qu’il y ait une exclusivité commerciale, c’est un motif pour acheter américain. La France n’a pas signé pour ça », a-t-il déclaré.
Enfin, le président français juge que l’affirmation de la puissance européenne passera par la réouverture d’« un dialogue stratégique, sans naïveté aucune et qui prendra du temps, avec la Russie ». Une position affichée de longue date par le président français.