L’Ukraine post-soviétique (Histoire du suprémacisme blanc, partie 4/4)
Le suprémacisme racial est la doctrine politique qui affirme l’existence d’une hiérarchie entre les races et la supériorité des unes sur les autres. Sa forme la mieux documentée est le suprémacisme blanc, qui a connu quatre grandes tentatives historiques : la Confédération sudiste, prolongée dans le Ku Klux Klan [1] ; le régime d’apartheid en Afrique du Sud ; le Troisième Reich ; l’Ukraine post-soviétique. Quatre tentatives historiques, mais aussi quatre échecs. Avant de porter un jugement sur le suprémacisme blanc en tant que tel, cette étude vise surtout à répondre à la question : « Pourquoi ces échecs ? »
À l’examen, une filiation apparaît en filigrane entre ces quatre moments : la présence continue d’un rapport à l’occultisme, généralement antichrétien. Sur l’échiquier des idées, le suprémacisme blanc se positionne dans le camp conservateur, affichant des valeurs qualifiées de « droite réactionnaire », mais il parvient difficilement à dissimuler sa parenté avec une tradition ésotérique dite de la « voie de la main gauche », qui vient quelque peu contredire ses engagements officiels. L’analyse qui suit a pour objet de contribuer à débroussailler le terrain des relations apparemment paradoxales entre un courant politique toujours perçu comme cultivant l’enracinement et la stabilité, et la mystique du chaos qui en dessine pourtant l’arrière-fond. [2]
Suprémacisme blanc et magie noire
Le 17 décembre 2016 se tenait à Kiev la première conférence paneuropéenne « Pacte d’acier », en préambule au festival musical Asgardsrei, dont la 5e édition se déroulait le lendemain. Ce festival de musique rock est spécialisé dans la tendance black metal ; l’événement était organisé à l’initiative conjointe du Corps national, branche civile du régiment Azov de la Garde nationale d’Ukraine, et de groupes de rock sympathisants des organisations ukrainiennes nationalistes. Le site European Reconquista résumait quelques jours plus tard l’esprit de la rencontre :
« Dans une synthèse fructueuse entre l’art et la métapolitique, les deux parties de l’événement du 17/12/16 à Kiev – discussion ouverte avec les musiciens de Peste Noire et M8L8TH et une courte conférence réussie avec la participation d’invités ukrainiens – ont lancé une exploration prévue de longue date du potentiel idéocratique et de façonnage de la vision du monde du Black Metal en réponse aux défis sociopolitiques d’aujourd’hui. » [3]
L’orientation politique et géopolitique de l’événement apparaît dans les noms employés : l’expression de « pacte d’acier » vient de l’accord signé le 22 mai 1939 à Berlin par les ministres de Mussolini et Hitler pour sceller officiellement les forces de l’Axe germano-italien quelques mois avant la Deuxième Guerre mondiale ; quant au festival Asgardsrei, il tire son nom du motif de la « chasse sauvage » de Wotan (Odin), issu de la mythologie nordique préchrétienne. Par ailleurs, le nationalisme ukrainien se revendique de la figure historique de Stepan Bandera, dont la mouvance paramilitaire fournira des supplétifs au Troisième Reich pendant la guerre, et qui sera ensuite intégré dans les réseaux d’action clandestine de l’OTAN. Cet imaginaire néo-fasciste, néo-nazi et néo-païen, magnifiant la violence et affirmant la suprématie de la race blanche, est également putschiste, atlantiste et… antirusse, reproduisant le découpage de la guerre froide, quand la CIA menait sa guerre culturelle contre Moscou en parrainant les courants artistiques anticommunistes, de l’expressionnisme abstrait dans le champ pictural au mouvement musical du Rock Against Communism (RAC). Or, l’anticommunisme d’hier et la russophobie d’aujourd’hui ne se contentent pas d’avoir la même cible et les mêmes sponsors, mais semblent également entretenir une fascination commune pour l’occultisme.
À l’occasion de la conférence, deux intellectuels d’Azov, Olena Semenyaka et Sviatoslav Vyshynsky, proposaient une théorisation assez poussée des relations entre le courant musical du black metal et les sciences occultes traditionnelles. En résumé de leur thèse : au-delà d’une simple mode, le black metal est un vecteur esthétique permettant de produire sur la conscience des effets de transformation alchimique analogues à ceux de la magie noire. Ces phénomènes sont considérés positivement par les orateurs de la conférence. Le site Militant Zone, consacré aux militants du black metal, reproduit l’intervention de Vyshynsky, docteur en philosophie et auteur en 2014 de Metaphysica Nova :
« Qu’est-ce que le black metal, sinon la musique des temps ténébreux – sinon le son de l’âge de fer lui-même ? La période d’entre-deux-guerres et d’après-guerre du XXe siècle est le moment de la destruction finale de l’ordre traditionnel et du triomphe du nihilisme. Le moment que le penseur allemand Ernst Jünger a appelé l’approximation du "point zéro" de l’histoire. La destruction de la Tradition, l’ouverture des portes du Chaos, l’entrée dans le crépuscule nous changent aussi. Nous acceptons les ténèbres comme un examen initiatique, nous défions le démoniaque – et portons les masques démoniaques nous-mêmes, comme nos ancêtres l’ont fait avant le solstice dans la Nuit universelle. (…) Aller au-delà des fréquences extrêmement basses et extrêmement élevées est une tentative pour surmonter le diapason de la perception humaine naturelle. Ce vêtement dans des robes démoniaques n’est pas seulement métaphorique, à travers les masques, mais aussi physique, par l’immersion dans les tonalités inhumaines. La musique de la mort, death metal, dark ambient et drone doom, et l’essentiel du black metal – plonge dans la sphère que René Guénon qualifie d’"infrahumaine". Le Magnum Opus, le "Grand Œuvre au noir", transforme l’adepte musical en magicien noir, criant à la mort dans ses diverses images. » [4]
L’intervention d’Olena Semenyaka est dans la continuité de son article de 2012 publié dans l’ouvrage collectif Black Metal : European roots & musical extremities, puis repris en ligne. Elle s’attache dans ce texte à définir une typologie des différentes tendances, parfois antagonistes, du black metal pour en conclure que ce courant musical se définit principalement de manière négative, nihiliste, la forme rejoignant ici le fond dans une sorte d’anorexie mentale et de révolte adolescente contre tout :
« Non seulement par rapport au christianisme, c’est le grand "anti-" à tout ce qui est considéré comme ayant une valeur pour un membre moyen de la société occidentale : des notions conventionnelles de bien et de beauté à l’Être métaphysique lui-même. En d’autres termes, le black metal est l’incarnation même d’une phase de nihilisme actif dans un processus métaphysique annoncé par Friedrich Nietzsche de transvaluation de toutes les valeurs. (…) Selon ce qui est considéré comme l’objet de la négation ou l’ennemi contre lequel la guerre est menée ("Black Metal ist Krieg"), il existe différentes tendances idéologiques au sein du mouvement général black metal, qui provoquent régulièrement des désaccords entre ses membres : le nihilisme radical et l’athéisme qui se cachent derrière l’imagerie sataniste et parfois se chevauchent avec le darwinisme social d’Anton LaVey ; une ligne occultiste, qui est souvent liée à la voie de la main gauche ; le satanisme théiste (religion de Deus/Diabolus Absconditus) qui frise le gnosticisme et les enseignements similaires, d’une part, et les cultes païens archaïques, qui peuvent être liés au "luciférisme aryen", d’autre part, des variations du paganisme, du panthéisme aux hymnes védiques, qui sont principalement développés dans des sous-genres tels que le folk black metal ou le viking black metal, et même le "unblack" metal chrétien, ne mentionnant pas d’innovations ou basés sur leur propre "philosophie" de groupes black metal. (...) En effet, il est possible de s’opposer au monde moderne et à son incarnation symbolique – la chrétienté – en même temps "par la gauche" et "par la droite". En outre, bien que la libération, le nihilisme, l’anticléricalisme (rappelez-vous les célèbres incendies d’églises norvégiennes), etc., soient principalement associés à la gauche, même les groupes de black metal qui adhèrent à la voie de la main gauche (par exemple, le groupe de black metal polonais Behemoth) ne correspondent pas nécessairement à la gauche politique, ni au marxisme classique ou culturel. Souvent, c’est tout le contraire, ou ils vont carrément au-delà de la politique. Cette ambivalence est également visible sur le plan esthétique : les symboles de "droite" comme l’Empire, le Roi, Dieu, etc., ne sont pas moins populaires que les concepts de "gauche", l’errance, le vide, la rébellion, etc. » [5]
On note dans l’étude de Semenyaka une certaine ouverture politique par-delà droite et gauche. En effet, dans le dispositif de guerre culturelle atlantiste, le black metal pourrait réaliser contre la Russie l’union sacrée entre jeunes gens de droite identitaire et jeunes gens de gauche libertaire, sur la base d’une communion musicale pendant les concerts de rock, lointains descendants des rituels mystiques dionysiaques, au sens de Nietzsche, pendant lesquels l’individu s’oublie soi-même et fusionne avec le groupe dans un processus de désindividuation romantique. Cette quête du « sentiment océanique », du groupe fusionnel, de la communauté idéale et de l’entre-soi homogène est le point faible à exploiter pour diriger autrui avec son consentement dans telle ou telle direction par des promesses de fusion communautaire à venir. Au-delà du black metal, c’est l’entièreté de la culture pop et rock qui peut jouer ce rôle managérial de contrôle social et de conduite du changement, ainsi que la culture ultra et hooligan des supporters de football, car elles partagent une même capacité de simplification de l’esprit par la production d’émotions amour/haine fortement polarisées et sans nuances (cf. Dmytro Dontsov). [6] Comme toutes les variantes du rock’n roll, le black metal est apprécié par un public jeune, avec ce que cela suppose de radicalité psychologique et politique, de soif d’absolu et de besoin d’affirmer son identité en opposition et dans le conflit, mais en adhérant à un groupe fusionnel. Ceci autorise à ranger les concerts de rock et les matchs de foot dans la catégorie des opérations psychologiques (psyops), en tant que déclencheurs émotionnels et comportementaux, au même titre que le terrorisme d’État. Les psyops d’ingénierie sociale consistent le plus souvent à organiser sciemment des phénomènes de panique et de dérive sectaire en exploitant toutes les ressources de l’instinct grégaire et du conformisme imitatif. Ces observations de psychologie sociale sur notre « humus humain » (Lacan) évoquent les recherches de l’École de Francfort et de l’Institut Tavistock sur la personnalité autoritaire et la dynamique des groupes, qui aboutiront à l’émergence de la Nouvelle gauche libertaire des années 60-70. En termes nietzschéens, la Gauche passera dans ces années-là de la figure d’Apollon, soit le marxisme classique, rationaliste et réflexif, rigoriste et conservateur, à la figure de Dionysos, soit le marxisme culturel, fusionnel et vitaliste, impulsif et spontanéiste. Dans un entretien récent, Robert Steuckers plaidait en faveur de l’union de ces deux tendances et pointait au passage le vrai problème, selon lui, à savoir la récupération et l’instrumentalisation du romantisme, comme du conservatisme, au service de manipulations de masse :
« Le romantisme, dans ses dimensions qui ne sont ni éthérées ni larmoyantes, insiste sur l’organicité, vitaliste et biologique, des faits humains et sociaux. Il faut coupler ces deux filons philosophiques – le réalisme conservateur traditionnel et le romantisme organique – et les brancher ensuite sur les acquis plus récents et mieux étayés scientifiquement que sont la biocybernétique et la théorie des systèmes, tout en ne basculant pas dans une ingénierie sociale perverse comme le voulait l’Institut Tavistock, dont le "complotiste" Daniel Estulin, aujourd’hui installé en Espagne, a investigué le rôle cardinal dans l’élaboration de toutes les formes de lavage de cerveau que nous subissons depuis plus d’une soixantaine d’années. » [7]
Ce basculement dans le lavage de cerveau généralisé redouté par Robert Steuckers est une conséquence de la militarisation généralisée des phénomènes culturels et identitaires. Sur ce domaine d’étude, deux ouvrages de référence doivent être mentionnés : David Price pour Weaponizing Anthropology : Social Science in Service of the Militarized State (non traduit en français) et Frances Stauner pour Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle. Cette militarisation des cultures et des identités contribue au dédoublement post-moderne de la société, quand les formes traditionnelles sont découplées entre l’original et une copie radicalisée et conçue pour embrigader les foules. Le romantisme adapté aux besoins de la propagande de guerre produit ainsi cet occultisme néoromantique du black metal théorisé par les intellectuels d’Azov, avec son caractère ethno-futuriste kitsch, parodique et artificiel, représentatif des manipulations de masse, quand le simulacre remplace l’authentique. Le recrutement de chair à canon fanatisée doit d’abord capter l’attention de la jeunesse en lui proposant un mouvement culturel simulant l’authenticité, riche en projections émotionnelles binaires polarisées par des oppositions confiance/méfiance et amour/haine, pour ensuite les déployer dans un conflit triangulé qui désignera l’ennemi et l’ami. Dans cette perspective, les initiatives culturelles d’Azov (concerts, conférences, défilés, etc.) jouent le même rôle que celles des groupes djihadistes, exposées en vidéos sur YouTube avec complaisance. En Ukraine, les objectifs militaires qui déterminent en dernière instance la promotion du black metal sont d’ailleurs reconnus avec franchise par Olena Semenyaka. En conclusion de son intervention, elle décrit un mécanisme d’ingénierie sociale en plusieurs étapes, combinant le pompier pyromane et l’hameçonnage, commençant par le souhait d’une aggravation de la crise migratoire en Europe de l’Ouest, ce qui pousserait les Européens de l’Ouest paniqués à chercher du soutien auprès des nationalistes ukrainiens, qui pourraient alors les rabattre sur une position antirusse – ce qui ne règlerait certainement pas le problème migratoire mais permettrait de préparer l’opinion publique à attaquer la Russie :
« La montée de la droite en Europe occidentale, en réponse logique à l’afflux de réfugiés et à la terreur, donne finalement l’espoir d’un "pacte d’acier" attendu entre les nationalistes de l’est et de l’ouest. À ce stade, notre tâche stratégique est de montrer aux nationalistes d’Europe occidentale que la Russie de Poutine n’est pas une alternative à l’Union européenne et même pas un "moindre mal" : le seul allié est un axe alternatif d’intégration européenne prenant forme en Ukraine et en Europe centrale après le Brexit. » [8]
La lutte des races
Pourquoi les nationalistes ukrainiens sont-ils à ce point préoccupés de détourner les Européens de toute alliance avec la Russie, voire même de dresser les Européens contre la Russie ? Parce qu’ils doivent contribuer à réaliser la politique impériale anglo-américaine d’isolement de la Russie derrière une barrière d’États hostiles s’étalant de la mer Baltique à la mer Noire – projet baptisé Intermarium par l’homme d’État polonais Józef Piłsudski, aujourd’hui défendu par le mouvement Azov. D’où le rôle clé de l’Ukraine, qui doit être annexée à ce bloc atlantiste et qu’il faut donc désolidariser de la Russie en convainquant les Ukrainiens, contre toute évidence historique et géographique, qu’ils n’ont aucun rapport avec la Russie, voire qu’ils s’y opposent depuis toujours et par nature. Un observateur attentif du nationalisme ukrainien, porte-parole d’Azov en France, Pascal Lassalle, dressait en 2011 un état des lieux prémonitoire des difficultés rencontrées par l’Ukraine, pays d’essence slave et russe, mais obstinément convoité par l’impérialisme occidental en raison de son positionnement géostratégique ouvrant la porte de l’Eurasie :
« La situation singulière de ce grand pays, pivot géopolitique dont l’histoire, plus que celle d’un État, est celle "d’une identité enracinée sur un territoire" (Iaroslav Lebedynsky, Ukraine, une histoire en questions, Paris, L’Harmattan, 2008), n’est pas toujours intelligible pour le public francophone qui perçoit trop souvent cette question au travers du prisme érigé et diffusé par le "grand-frère" russe. L’Ukraine est presque un cas d’école et possède le triste privilège de cumuler plusieurs problématiques et paramètres qui retardent l’émergence d’une conscience identitaire et nationale unifiée : (…) une occidentalisation accélérée de la société et de sa jeunesse au moyen de la séduction exercée par les modes, mœurs et habitudes de consommation occidentales qui viennent aggraver les fractures déjà existantes avec des écarts de richesse hallucinants. Menées géopolitiques étatsuniennes ("stratégie de l’anaconda") visant à instrumentaliser les fractures existantes et intégrer l’Ukraine dans l’OTAN comme pion et levier d’une politique antirusse, politique facilitée par les crispations contre-productives précitées de la part de la Russie qui contribuent à jeter nombre d’Ukrainiens sincèrement attachés à leur identité et à leur indépendance dans les bras des Étatsuniens. » [9]
Invoquer des « crispations de la Russie » relève plus du prétexte qu’autre chose pour essayer de justifier la méfiance des nationalistes ukrainiens. Ces derniers sont finalement assez peu représentatifs de leurs compatriotes, qui émigrent en masse depuis des années chez le « grand frère » russe, avec lequel ils n’ont aucun problème en dépit de la narration martelée dans les médias de la « menace russe » et de « l’invasion russe », dont le caractère entièrement virtuel peine à convaincre. La révolution orange de 2004 et la révolution de Maïdan de 2014, toutes deux antirusses, ne venaient pas du peuple ukrainien mais étaient des coups d’État étrangers, avec le soutien de minorités actives locales (nationalistes, LGBT, oligarques juifs, etc.). Selon le principe de l’Intermarium, il s’agit de transformer l’Ukraine en base militaire atlantiste afin d’attaquer la Russie directement sur ses frontières et finir ainsi le travail commencé par l’Allemagne nazie en ouvrant le front de l’Est pour marcher sur Moscou comme en rêvaient, et comme en rêvent toujours, Londres et Wall-Street. Pendant l’été 1945, alors que la Grande-Bretagne venait de gagner la guerre avec ses alliés, Winston Churchill élaborait un plan pour poursuivre les hostilités malgré tout et prolonger l’opération Barbarossa lancée par Hitler en 1941. Avec pour nom de code Unthinkable, « Impensable », cette opération britannique envisageait entre autres choses de continuer à employer l’armée allemande comme force de procuration contre l’URSS, mais cette fois-ci officiellement. Le britannique Halford McKinder, l’un des pères fondateurs de la géopolitique, a résumé sa discipline comme l’analyse d’un vaste mouvement d’encerclement de l’Eurasie, dont le gros morceau est constitué par la Russie. Ainsi, depuis au moins le XIXe siècle, la géopolitique se réduit pratiquement à une question : « On attaque la Russie, ou pas ? » Hormis les opérations militaires et les sanctions économiques, un volet important de cette guerre hybride totale contre Moscou est culturel : il consiste à inventer une histoire de l’Ukraine qui serait l’histoire d’un contentieux insurmontable avec la Russie, séparation immémoriale dont l’origine serait raciale, le Kremlin étant dirigé en fait par des asiatiques non slaves et non européens, des « hybrides finno-mongols ». Telle est l’histoire mythologique de l’Ukraine diffusée par les « nationalistes » ukrainiens, ainsi que le rapportait Soljenitsyne dans ses souvenirs de discussions avec eux, et plus récemment Olena Semenyaka, en 2015, dans un entretien au magazine Le Harfang traduit par le Cercle non conforme :
« Les ambitions impérialistes de la Russie moderne sont particulièrement dangereuses, car elles sont souvent en opposition totale avec les traditions culturelles et étatistes de la Rous’ de Kiev et de son successeur direct, l’Ukraine. La grande-principauté de Moscou, qui émergea après Kiev, fut renommée Russie par Pierre Ier en 1721 seulement et resta sous la domination de la Horde d’or [empire turco-mongol] jusqu’à 1480, adoptant un modèle de gouvernement absolutiste asiatique d’après les eurasistes eux-mêmes. C’est donc pourquoi parmi les séparatistes pro-russes, qui sont en fait des nouveaux arrivants, on retrouve des Tchétchènes, des Bouriates, des Ossètes et d’autres peuples de la pseudo fédération russe qui suivent les hordes du Kremlin, force anti-russe. » [10]
Le territoire que l’on appelle aujourd’hui l’Ukraine fut occupé par la Horde d’or asiatique dans les mêmes proportions que le territoire que l’on appelle aujourd’hui la Russie, d’où un brassage ethnique similaire. Pour rappel, les invasions mongoles ont étendu leurs pointes occidentales jusqu’en mer Méditerrannée et à Vienne. En l’absence d’une différence raciale réelle entre Ukrainiens et Russes, les « nationalistes » ukrainiens d’Azov n’ont d’autre choix que de l’imaginer et d’essayer de la compléter par une différence culturelle, en se constituant une spiritualité syncrétique associant l’occultisme, le néopaganisme et la rodnovérie – mouvement de relance des cultes slaves préchrétiens – afin de construire le clivage antirusse dans le champ religieux également (la place nous manque pour évoquer ici le schisme de l’Église orthodoxe prononcé en décembre 2018). Un autre observateur de longue date du suprémacisme blanc ukrainien fournissait quelques explications sur le site Stop Russophobie, sous le nom Arkadi de Grave :
« Car le conflit ukrainien repose bel et bien – entre autres – sur des bases raciales. De nombreuses discussions menées en 2010 et 2011 avec des traditionalistes ukrainiens, dont Olena Semenyaka et Andriy Voloshyn (qui devinrent plus tard responsables des relations internationales, la première au parti Corps national et le second à Svoboda), me montrèrent clairement que ceux-ci considéraient les Russes comme une race métèque, de faux Slaves mêlés de sang Tatar, une sous-peuplade asiatique sans aucun intérêt. Eux, Ukrainiens, se proclament seuls véritables Russes (la Rous’ de Kiev), opposés aux "Hordes asiatiques du Kremlin" (cf. interview de Semenyaka au Cercle non conforme). Mais la raison la plus ignorée de cette nouvelle russophobie directement issue du conflit ukrainien, et se propageant aujourd’hui dans de nombreux milieux nationalistes européens, est véritablement d’ordre spirituel, et même métaphysique. Il s’agit de combattre le "messianisme russe" ainsi que le christianisme, religion accusée d’être ontologiquement anti-européenne de par ses origines sémites. » [11]
La croyance que les Ukrainiens seraient d’une autre race que les Russes, et même d’une race supérieure aux Russes, est partagée en Ukraine jusqu’au sommet de l’État. Le 15 juin 2014, Arseniy Yatseniouk, premier ministre, ancien banquier chez Goldman Sachs, adepte de la scientologie, qualifiait les Russes d’envahisseurs et de sous-hommes (invaders, subhumans) sur le site de son ambassade aux États-Unis. [12] Le 14 novembre 2014, Petro Porochenko, président de la République, déclarait dans un discours enflammé à propos des habitants du Donbass, considérés comme ethniquement russes :
« Nous aurons du travail, mais pas eux. Nous aurons des retraites, mais pas eux. Nous aurons des salaires, mais pas eux. Nos enfants iront à l’école et aux jardins d’enfants, mais leurs enfants seront assis dans des caves. Parce qu’ils ne savent rien faire. C’est comme ça, précisément comme ça, que nous gagnerons cette guerre. » [13]
Menaces mises à exécutions, comme le montre la réalisatrice Anne-Laure Bonnel dans son documentaire intitulé Donbass, tourné en janvier 2015 au cœur d’une guerre civile présentant tous les aspects d’une opération de purification ethnique. [14] Mêmes causes, mêmes effets : comme avant eux les révolutionnaires français ou bolchéviques, les révolutionnaires ukrainiens de Maïdan appliquent contre une partie de la population civile de leur pays une politique d’anéantissement à caractère génocidaire. Deux ans après le discours de Porochenko, le 22 novembre 2016, Yevhen Nychtchouk, ministre de la Culture, enfonçait le clou en affirmant que les habitants du sud-est du pays – Crimée et Donbass – souffraient d’impureté génétique, leurs ancêtres ayant été importés de Russie dans le cadre des campagnes de russification démographique menées par l’URSS :
« Le ministre de la Culture de l’Ukraine, Yevhen Nychtchouk, a déclaré que la population du sud-est de l’Ukraine ne peut pas comprendre la culture ukrainienne en raison d’une "pureté génétique insuffisante". Il a dit cela sur un plateau de la chaîne ICTV. "La situation qui s’est développée à l’est et au sud, c’est un abîme de la conscience. De plus, lorsque nous avons parlé de la génétique à Zaporijia, dans le Donbass, ces types de villes étaient importés. Il n’y a pas de génétique là-bas, elles ont été délibérément importées (ces régions – ndlr). Tcherkassy, ce sont les fameuses terres des hetmans [chefs militaires] et de Chevtchenko [écrivain ukrainien]. La ville de Tcherkassy elle-même a été à moitié importée. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient peur de l’esprit de Chevtchenko. C’était la technique de l’Union soviétique", a déclaré le ministre, répondant à une question sur la propagation lente de la culture ukrainienne. » [15]
Qu’est-ce que le ministre de la Culture d’Ukraine entend exactement par « culture ukrainienne », cette culture que le sud-est du pays ne peut pas comprendre à cause de son impureté génétique d’origine russe ? Conformément aux écrits de Dmytro Dontsov, le fondateur du nationalisme ukrainien, que le ministre Nychtchouk a bien assimilés, la culture ukrainienne appartiendrait à l’Europe de l’Ouest, incarnée aujourd’hui par l’Europe de Bruxelles. Tout Ukrainien génétiquement pur doit donc désirer rejoindre l’Union européenne et accepter les conséquences de la révolution de Maïdan, qui suscitait l’enthousiasme du ministre en 2014 :
« À Kiev, où on a vécu la révolution pro-européenne de Maïdan, il y a de cela trois ans, l’atmosphère est euphorique ce week-end. Et s’il y a quelqu’un qui se réjouit particulièrement de la mesure, c’est le ministre de la Culture, Yevhen Nychtchouk. À l’hiver 2014, cet acteur de théâtre quadragénaire était la voix de Maïdan qui parlait aux manifestants toutes les nuits. Désormais, il est au gouvernement et il explique ce que représente pour lui la fin des visas Schengen : "Cette place de l’Europe, où nous nous trouvons, a quelque chose de très symbolique. Au moment du mouvement de Maïdan, nous sommes descendus dans la rue pour ces mêmes valeurs que celles qui sont écrites dans les conventions et résolutions européennes. Ce que voulait exactement le peuple ukrainien, c’était plus de liberté, pouvoir sortir de ce moment post-totalitaire de l’après Union soviétique." » [16]
Pour un nationaliste ukrainien formé à l’école de Dontsov et Bandera, il est inconcevable qu’un Ukrainien ethnique rejette l’Union européenne. Quand le ministre Nychtchouk, fervent européiste, critique le sud-est du pays, c’est-à-dire la Crimée et le Donbass, il essaye d’expliquer le refus de l’UE et le séparatisme dans ces régions par une sorte d’infériorité génétique d’origine russe. Sous-entendu : les vrais Ukrainiens, génétiquement purs, sans origine russe, souhaitent naturellement le rapprochement avec l’UE et le projet qu’elle véhicule, puisqu’il est racialement compatible avec l’identité ukrainienne ethnique, identifiée à l’Europe occidentale. Or, le projet culturel de l’UE défend la société ouverte, la diversité ethnique et le multiculturalisme. Cette structure de raisonnement, où un argumentaire fondé sur la pureté raciale est mis au service d’un projet politique favorisant le métissage, est courante chez les « nationalistes » ukrainiens. Comment expliquer une telle erreur de raisonnement propagée à un milieu sociologique entier ? Par l’invention d’une identité nationale complètement imaginaire, entretenue sur le long terme et altérant le principe de réalité. La création d’un mythe des origines relevant de l’affabulation suprémaciste complète est soutenue en Ukraine par le pouvoir central et un certain nombre d’intellectuels et universitaires : Valery Bebyk, président de l’Association ukrainienne des sciences politiques, Dmitri Beliy, directeur du Conseil public de la politique informationnelle, Piotr Youchenko, député et frère du Président issu de la révolution orange, les historiens Alexandre Doubina et Yaroslav Gritsak, affirment au gré de leurs publications et conférences que l’Ukraine est aussi ancienne que l’Égypte, que les Ukrainiens ont inventé l’écriture et fondé la ville antique de Troie, que les anciens Grecs parlaient ukrainien, que Bouddha et Jésus étaient eux-mêmes ukrainiens, ainsi que les apôtres (sauf Judas), Rémus et Romulus, les fondateurs de Rome, et aussi Christophe Colomb. Un religieux féru d’histoire, le Père Igor Tsar (Цар Ігор Орестович) de l’église gréco-catholique, déclare que l’Ukraine est le berceau mondial des civilisations. Il a reçu le prix Stepan Bandera pour son ouvrage intitulé Ukraine – Le foyer ancestral de l’humanité (Україна – Прабатьківщина людства), étude qui fit l’objet de recensions de la part d’Irina Kochan, Victor Golubko et Iosif Los, professeurs à l’université de Lviv, docteurs en histoire et en philologie, et Edouard Dolinsky, président du Comité juif ukrainien :
« L’ouvrage [d’Igor Tsar] indique que la Bible parle d’Ukrainiens qui ont atteint Jérusalem au IIe siècle avant Jésus-Christ. Les Ukrainiens sont la plus vieille nation du monde. Ils se sont installés il y a 6 000 ans en Europe, en Asie et en Afrique. Au IVe millénaire avant notre ère, les Ukrainiens ont colonisé la Palestine. Les figures ont été inventées en Ukraine. D’Ukraine, ils sont venus en Inde et de là en Europe sous le nom d’Arabes. Le Rig Véda [texte sacré de l’Inde antique] a été écrit sur les rives du Dniepr. Des tribus aryennes d’Ukraine ont fondé l’Iran au IVe millénaire av. J.-C. Les Ukrainiens ont donné naissance au sanskrit. L’anglais est également dérivé de l’ukrainien. Une confirmation de cela est le mot ukrainien "maman", que l’on retrouve dans de nombreuses langues. La flûte ukrainienne a 150 000 ans. Les instruments de l’orchestre ukrainien folklorique jouaient déjà il y a 20 000 ans. Il y a 10 000 ans, les Ukrainiens ont inventé l’arc et les flèches. Il y a 13 siècles, toute l’Europe centrale était peuplée d’Ukrainiens. Justin, historien romain du Ier siècle avant Jésus-Christ, a soutenu que les Ukrainiens sont plus anciens que les Égyptiens. Les femmes ukrainiennes ont fondé le royaume des Amazones. Les Ukrainiens ont conquis toute l’Asie et l’ont assiégée de leur honneur. Les Sumériens venaient des Ukrainiens, qui ont fondé la Sumérie il y a 5 000 ans. » [17]
Un symptôme récurrent de ce trouble psychologique nommé mythomanie est l’invention d’une généalogie imaginaire et d’une origine glorieuse. Quand cette inflation narcissique atteint le sommet du pouvoir, elle conduit à l’écriture officielle d’une pseudo-histoire nationale à caractère mégalomane. La psychose qui affecte les nationalistes ukrainiens va jusqu’à des phénomènes d’hallucinations collectives, comme la perception d’une « invasion russe » de l’Ukraine, qui n’existe que dans les médias. Cette aliénation dans le virtuel est soutenue par des oligarques qui, de leur côté, ne se font aucune illusion et savent qu’ils envoient à la mort des jeunes gens radicalisés dans le cadre d’une simple guerre civile entre Ukrainiens. Le milliardaire et homme d’affaires ukraino-israélien Igor Kolomoïsky, mécènes d’institutions juives et sionistes, mais aussi cofondateur de plusieurs bataillons néonazis, laissait fuiter dans un entretien télévisé ce qu’il savait de la situation réelle dans le Donbass, au risque de démoraliser ses propres troupes, persuadées de se battre contre un ennemi étranger dirigé par Vladimir Poutine :
« Dans le même temps, Kolomoïsky ne croit pas que les séparatistes soient dirigés par le président russe Vladimir Poutine. Le businessman a déclaré : "Qu’en est-il de Poutine ? Sur la question du Donbass, tout dépend de nous. Nous nous battons avec nous-mêmes." Il pense qu’il est ridicule de parler de Poutine assis là, en train de tout commander. "Je connais la situation de l’intérieur, ce n’est pas Poutine de toute façon. Poutine n’a pas besoin de ce fardeau. Il serait plus rentable pour lui de laisser le Donbass en Ukraine pour la détruire de l’intérieur. Donc, le Donbass ne lui apporte aucune joie, sauf des hémorroïdes", a déclaré Kolomoïsky. » [18]
Postmodernité et incohérence
Dmytro Dontsov, Stepan Bandera et leurs parrains – du Troisième Reich à la finance cosmopolite – ont bien travaillé. Après des décennies d’acculturation et de désaffiliation consistant à faire croire à la population cobaye des nationalistes ukrainiens qu’ils avaient d’autres origines que les Russes, ces « nationalistes » victimes d’une opération de transformisme identitaire en viennent à déclarer la guerre aux Russes et aux russophones du Donbass, au nom d’un projet où le suprémacisme racial ukrainien fusionne avec le suprémacisme blanc européen, puis est ensuite rabattu sur le paneuropéisme libéral de l’Union européenne, qui est en fait le meilleur ennemi des Européens blancs. En luttant contre une Russie fantasmée, les « nationalistes » ukrainiens luttent contre eux-mêmes, au service d’un projet qui n’est en fait ni national, ni ukrainien. Le racisme antirusse est ici un simple hameçon d’ingénierie sociale pour radicaliser les psychologies contre un faux ennemi, la Russie, et en faveur d’un faux ami, à savoir l’Occident, représenté par l’UE, dont le projet repose pourtant sur deux piliers assez peu nationalistes : l’immigration extra-européenne et le LGBT. L’intégration de l’Ukraine dans ce projet européiste et atlantiste est en cours depuis l’Euromaïdan, dont l’objectif principal était la signature du traité d’association UE/Ukraine, entré en vigueur au 1er septembre 2017, et renforcé par des amendements à la Constitution votés au Parlement ukrainien les 22 novembre 2018 et 7 février 2019 pour accélérer l’adhésion du pays à l’UE et à l’OTAN. Le nationalisme ethnique blanc à l’ukrainienne est donc en fait une couverture à l’extension en Europe de l’immigration extra-européenne, du LGBT et de la propagande de guerre antirusse. Les objectifs militaires offensifs sont reconnus explicitement. Le 14 octobre 2014, Irina Farion, historienne et députée du parti Svoboda, prononçait un discours devant le parlement qui lui donnait l’occasion d’exposer publiquement le cœur du projet nationaliste ukrainien :
« Dans son discours, elle a exprimé un certain nombre de déclarations, parmi lesquelles, en particulier, l’appel à "détruire Moscou". "Nous ne détruirons jamais l’agresseur, sauf d’une seule façon : détruire Moscou. Nous vivons pour cela, nous sommes venus dans ce monde pour détruire Moscou", a déclaré la députée, après quoi des applaudissements ont été entendus. Farion a souligné qu’il était nécessaire de détruire "non seulement le Moscovite sur nos terres", mais aussi ce "trou noir dans la sécurité européenne". (…) Elle a également dit que le créateur de la nouvelle génération – la "génération Bandera" – était le fondateur du nationalisme intégral ukrainien, Dmytro Dontsov. Dans le même temps, elle a déclaré que "dans chacun de nous, nous devons avoir le nationalisme de Dontsov". » [19]
Dmytro Dontsov est reconnu comme le père fondateur intellectuel du nationalisme ukrainien. Écrivain, activiste et journaliste, il fut le premier directeur de la plus ancienne agence de presse ukrainienne, Ukrinform, ouverte en 1918. Ukrinform soutient aujourd’hui une ligne éditoriale libérale, cosmopolite et LGBT. Ceci ne l’empêche pas d’inaugurer en janvier 2019 une plaque commémorative en mémoire de Dmytro Dontsov, dont le « nationalisme intégral », proche du fascisme historique et du nazisme, est jugé finalement tout à fait compatible avec ce que son agence de presse est devenue – la postmodernité étant un renoncement à la cohérence. L’autre grande figure du nationalisme ukrainien mentionnée par Irina Farion est Stepan Bandera : collaborateur de l’Allemagne hitlérienne, il est donné en exemple à la jeunesse ukrainienne contemporaine et possède des monuments et des rues à son nom dans son pays, sans que l’Occident ne s’en émeuve particulièrement. Cette nouvelle « génération Bandera » dont parle Farion est prise en charge par les trois principales mouvances bandéristes d’Ukraine et leurs organisations de jeunesse : C14, dont le nom fait référence aux 14 mots du slogan formulé par le nationaliste blanc David Lane ; Corps national et Natsionalna Droujina, affiliées au régiment Azov ; et les judéo-bandéristes (жидобандеровцьі) de Pravy Sektor et de l’Armée volontaire ukrainienne (Украинская добровольческая армия), dont le chef Dmytro Yaroch a fondé une école d’enfants soldats et déclarait fièrement en juillet 2018 :
« "Les épreuves les plus difficiles pour notre nation et l’État sont toujours à venir. Nous, les volontaires ukrainiens, préparons la jeune génération à la défense de l’Ukraine et à la destruction de notre ennemi éternel, l’empire des agresseurs russes", a expliqué Yaroch. » [20]
Du temps où il dirigeait Pravy Sektor, Dmytro Yaroch avait pour sponsor financier l’oligarque juif déjà mentionné, Igor Kolomoïsky, également parrain de Volodimir Zelensky, acteur comique élu président d’Ukraine en 2019, lui-même juif. Le judéo-bandérisme (жидобандеризм), dont Kolomoïsky et Yaroch sont d’éminents représentants, est le nom donné en Ukraine à l’alliance de juifs et de bandéristes contre la Russie. L’implication juive dans le nationalisme ukrainien peut sembler étrange, compte tenu de la toile de fond antijuive du bandérisme historique. Cette contradiction interne est levée partiellement dès que l’on comprend que le nationalisme ukrainien fait partie de la grande famille de l’occultisme atlantiste, structurée pendant la guerre civile américaine de 1861-1865 autour des sudistes francs-maçons et de la loge juive du B’nai B’rith comme un suprémacisme blanc et judéo-maçonnique. Au fil des siècles, de nombreuses conversions d’Européens au judaïsme sont venues transformer la base raciale du judaïsme et l’éloigner de ses racines sémites strictes pour produire le judaïsme ashkénaze, dont le point de départ est l’empire des Khazars, qui occupait à peu près la surface de l’Ukraine actuelle, et dont le substrat ethnique est slave et germanique pour l’essentiel. Le grand projet du B’nai B’rith et des occultistes atlantistes semble être de créer un type humain supérieur en accouplant par des méthodes de contrôle des naissances (eugénisme et génie génétique) les qualités de la « race blanche » avec les qualités de la « race juive » dans un hybride judéo-aryen. Au XXe siècle, le thème du « juif nordique », aux capacités supérieures à l’humain normal, trouvera une illustration dans la culture populaire avec Superman, littéralement « Surhomme », héros de bande-dessinée originaire d’une planète glacée où les patronymes ont des racines hébraïques et dont le sanctuaire sur Terre est au pôle nord, qui fut imaginé dans les années 1930 par deux juifs ashkénazes, Jerry Siegel et Joe Shuster. Le surhomme, « der Übermensch » en allemand, est une notion issue du romantisme, développée par Nietzsche, reprise par le Troisième Reich, et faisant le trait d’union des suprémacismes blanc et juif. Au XIXe siècle, le B’nai B’rith s’était déjà constitué dans la communauté juive allemande des États-Unis comme un projet capable d’associer une identité ethnique européenne avec un mythe fondateur sémite dans un culte néopaïen mésopotamien au dieu Baal, le tout sur un fond maçonnique et kabbalistique d’ingénierie socio-biologique conduisant au transhumanisme, et, last but not least, prenant pour cible répétée la chrétienté et la Russie. Laurent James résumait les enjeux très actuels de cet antagonisme géopolitique fondateur entre atlantisme et eurasisme dans son intervention au premier forum de Chisinău, organisé en mai 2017 par le politicien et intellectuel moldave Iurie Roşca :
« Deux événements très importants eurent lieu en Europe durant la même période que la fondation du comité Jean Parvulesco en fin d’année dernière, deux événements politiques absolument opposés l’un à l’autre. L’élection de M. Igor Dodon à la présidence de la Moldavie d’une part, et la transformation du régiment Azov en parti politique à Kiev, le 14 octobre 2016, d’autre part. Une dénommée "Marche de la nation" menée par Azov, Pravy Sektor, C14 et d’autres formations nationalistes a alors réuni plusieurs milliers de personnes dans les rues de la capitale ukrainienne. Ces deux événements témoignent de la présence réelle, dans le champ politique européen, de deux pôles spirituels absolument opposés entre eux, deux ennemis irréconciliables dont la lutte sans merci se tient depuis les origines de l’humanité. D’abord un pôle continental anti-atlantiste, régi par la volonté d’unification de destin des peuples eurasiatiques, porté par une foi vivante et agissante, catholique à l’ouest et orthodoxe à l’est, un pôle d’obédience christique et mariale pour lequel Jean Parvulesco a combattu durant sa vie entière. Et puis, en face, un pôle violemment nationaliste, en réalité dépendant intégralement des forces atlantistes. » [21]
Du point de vue de la géopolitique transcendantale, au sens de Dominique de Roux, Jean Parvulesco ou Alexandre Douguine, l’atlantisme est un chaos, un fourre-tout incohérent de forces contradictoires dont le seul point commun est l’absence de tout projet positif et qui ne parviennent à s’unir de façon toujours précaire et instable qu’en se donnant un ennemi commun, en position de bouc émissaire. L’atlantisme, en tant que modèle de société liquide, est informe. L’eau n’a pas de forme intrinsèque, sa forme lui est donnée par une extériorité solide, qui vient la border, la canaliser, l’encadrer, la limiter. Quelle est la forme de l’eau ? La forme que la terre lui donnera. Quelle est la forme de l’atlantisme ? Celle que l’eurasisme lui donnera. L’atlantisme a donc besoin d’une figure extérieure pour se stabiliser et parvenir à durer dans l’être. Ce caractère liquide et informe du projet suprémaciste et occultiste occidental explique les raisons de son effondrement permanent sur lui-même car c’est avant tout l’expression de pulsions d’autodestruction. Quand ces pulsions de mort trouvent une figure de l’ennemi, elles peuvent se cristalliser à l’extérieur, sinon elles se retournent vers l’intérieur et contre soi. Cette structure mentale et comportementale occultiste-atlantiste, qui aboutit à la thématique de la fluidité identitaire – fluidité de genre ou d’appartenance ethnique – habite aujourd’hui le « nationalisme » ukrainien, dont le suprémacisme racial peut se résumer en une formule : « Quelle que soit la nature du projet occidental, il est forcément supérieur au projet russe, pour des raisons de supériorité raciale. » Or, le projet occidental s’identifie aujourd’hui à la société ouverte libérale, post-nationale et post-raciale, métissée, hybride, transgenre et transhumaniste, et surtout antirusse. Ceci aboutit à ce résultat apparemment paradoxal que, depuis la chute de l’URSS, des organisations politiques ukrainiennes et des pays baltes parviennent à se revendiquer du nationalisme ethnique blanc tout en soutenant dans leurs parlements respectifs l’adhésion à l’UE et le vote des directives immigrationnistes et LGBT de Bruxelles. En Ukraine, ce processus d’alignement sur la société ouverte cosmopolite et multiculturelle se réalise sous la direction d’Andriy Paroubiy, cofondateur en 1991 du Parti social-nationaliste, devenu Svoboda, classé à l’extrême-droite sur l’échiquier politique, aujourd’hui président du Parlement d’Ukraine, et qui déclarait en septembre 2018 son admiration pour Adolf Hitler, ce qui déclencha une vague d’indignation en Ukraine et en Russie, mais fut passé totalement sous silence dans l’Union européenne :
« Le président du parlement ukrainien, Andriy Paroubiy, a qualifié le dictateur nazi Adolf Hitler de meilleur représentant de la démocratie directe. Il a fait cette déclaration sur la chaîne de télévision ICTV : "Moi-même, je suis un fervent partisan de la démocratie directe. Au fait, je vous dirai que le plus grand homme qui a pratiqué la démocratie directe a été Adolf Aloizovich [Hitler] dans les années 30", a-t-il déclaré. Paroubiy a également rappelé qu’il avait étudié la démocratie directe "au niveau scientifique", puis a demandé au public "de ne pas oublier la contribution du Führer au développement de la démocratie". Ce n’est pas la première fois qu’une déclaration aussi radicale est entendue chez les politiciens ukrainiens. En avril, Mariana Batiuk, députée de Lviv, a commémoré l’anniversaire d’Adolf Hitler en publiant un article sur les réseaux sociaux. En mai, le consul ukrainien à Hambourg, Vasily Marushinets, a présenté sa propre version du drapeau national avec une croix gammée, appelant le fascisme "un fait honorable". » [22]
Le même Andriy Paroubiy est reçu depuis des années dans toutes les chancelleries occidentales sans que jamais ses convictions politiques ne fassent débat. Pas plus en France, où il était accueilli le 11 juin 2018 par François de Rugy (LREM), président de l’Assemblée, et Gérard Larcher (LR), président du Sénat, qu’au Canada où il entretient une relation franchement amicale avec le Premier ministre Justin Trudeau, chantre du métissage et du LGBT. Tout vous est pardonné, y compris d’admirer Hitler, du moment que vous êtes antirusse. Et si possible, européiste, atlantiste et mondialiste. C’est ainsi que des suprémacistes blancs parviennent à engager des Blancs sur la voie du génocide des Blancs. Ou encore : le projet occultiste des judéo-bandéristes ukrainiens rend compatibles société ouverte et société fermée. Quand tout est compatible, quand plus rien ne s’oppose, quand la pensée ne peut plus rien opposer, on bascule dans l’au-delà du sens et de la pensée, l’au-delà du langage et de la logique. Les mots n’ont plus de sens et il ne reste que le physique pour s’exprimer, par les émotions et les instincts, et plus spécifiquement par le sexe ou par la violence. Cette sortie du langage pour entrer dans un mode d’existence infrahumain de type zombie, doté d’une forme de conscience mais non réflexive, une conscience d’insecte, est le véritable but de l’occultisme. Faire perdre le langage à l’être humain, tel est le but suprême de l’occultisme. Nous sommes ici exactement à l’opposé de la Tradition et du conservatisme revendiqués officiellement par les organisations nationalistes ukrainiennes qui nous y entraînent, mais le basculement dans l’incohérence généralisée est le trait typique de tous les pays touchés par la postmodernité. À ce stade de dissonance cognitive et de confusion mentale, le seul moyen pour reconstituer un semblant d’unité psychique est de désigner un ennemi extérieur. C’est à cela que peut servir la Russie, indépendamment même de son statut de cible de l’impérialisme occidental depuis au moins Napoléon. Le « nationalisme » ukrainien se révèle ainsi tout à fait soluble dans le mondialisme, car le mondialisme est l’occultisme, c’est-à-dire l’indistinction, la non-discrimination, l’absence de clivage, de limites, de frontières, de différences. Ce processus d’inclusion du suprémacisme racial dans le mondialisme se réalise sous l’impulsion d’organisations ukrainiennes comme Azov (et ses diverses branches), dont le projet paneuropéen rappelle la vision de Richard Coudenhove-Kalergi, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne et inspirateur de plusieurs thématiques ethno-futuristes aux nationalistes ukrainiens, comme on le décèle dans ses écrits sur la Paneurope :
« La consanguinité engendre des types caractéristiques – le croisement engendre des personnalités originales. Dans l’Europe moderne le Russe, en tant que métis slave, tatare et finnois, est le précurseur des humains planétaires du futur ; et parce qu’il est celui qui, parmi tous les peuples européens, a le moins de race, il est l’humain aux âmes multiples typique, avec une âme large, riche, englobante. Son plus fort antipode est le Britannique insulaire, l’humain de haut pedigree à l’âme unique, dont la force réside dans le caractère, la volonté, l’unilatéralité, la typicité. L’Europe moderne lui doit le type le plus fermé, le plus accompli [vollendetsten : parfait] : le gentleman. (…) Au sommet de l’échelle des valeurs éthiques, le paganisme place la force d’agir, le christianisme l’amour. L’idéal chrétien est le saint aimant, l’idéal païen le héros victorieux. Le christianisme veut métamorphoser l’homo ferus en homo domesticus, l’humain prédateur en humain domestique – tandis que le paganisme veut recréer l’humain en surhumain. Le christianisme veut apprivoiser les tigres en chats – le paganisme veut élever les chats au rang de tigres. » [23]
La forme de nationalisme inventée par Dmytro Dontsov en Ukraine se révèle avec le temps être un dispositif de conditionnement politique et comportemental assez complexe qui peut être schématisé en trois moments. 1) L’affirmation d’un essentialisme racial, permettant d’inventer une différence de nature entre les Ukrainiens, qui seraient authentiquement blancs et européens, et les Russes, métissés de sang asiatique. 2) Cette différence essentialisée est ensuite hiérarchisée : les Ukrainiens, représentants du suprémacisme racial blanc, sont non seulement supérieurs aux Russes mais doivent aussi détruire Moscou pour ne pas être détruits eux-mêmes, dans le cadre d’une guerre des races dont les Blancs doivent sortir vainqueurs grâce au leadership ukrainien. 3) Ce projet expansionniste et antirusse convergeait naguère avec celui des bolchéviques et de l’Allemagne hitlérienne, et aujourd’hui avec celui de l’OTAN et de l’Union européenne dans un paneuropéisme de science-fiction où le suprémacisme juif l’emporte à la fin dans un nouvel âge prométhéen, progressiste et technologique, selon les vues de Coudenhove-Kalergi :
« Dans la mythologie juive, l’esprit européen correspond à Lucifer – dans la mythologie grecque à Prométhée : le porteur de lumière, qui amène l’étincelle divine sur Terre, qui se révolte contre l’harmonie célestoasiatique, contre l’ordre du monde divin, le prince de cette Terre, le père du combat, de la technique, des Lumières [Aufklärung] et du Progrès, le leader [Führer] de l’humain dans sa lutte contre la nature. (…) Avec le Moyen Âge s’est clos le cercle culturel du fer – avec les temps modernes commence le cercle culturel des machines : ce n’est pas une nouvelle culture qui commence ici – plutôt un nouvel âge. Le créateur de cet âge technique est le génial peuple des Prométhéens, l’Européen germanisé. La culture moderne repose tout autant sur son esprit d’inventeur que sur l’éthique des juifs, l’art des Hellènes et la politique des Romains. » [24]
Comment tout cela va-t-il finir ? Le front géopolitique baigné d’occultisme et constitué depuis des décennies pour faire tomber Moscou est pétri de contradictions et de dissonances impossibles à résoudre. Cet « axe du Mal » hétéroclite qui s’étend de Wall Street à l’Ukraine en passant par Londres, Bruxelles et Berlin, est même en train de s’effondrer sous le poids de ses contradictions internes et de dégénérer en une « idiocratie » dominée par un principe d’incohérence généralisée où le suprémacisme blanc conduit au génocide des Blancs par suicide collectif. L’Ukraine est le laboratoire de ce suicide et les « nationalistes » ukrainiens en sont l’avant-garde. Cette autodestruction dans l’incohérence et le nihilisme pousse l’imposture, la dislocation mentale et la confusion sémantique jusqu’à se présenter comme une affirmation vitaliste et nietzschéenne d’une race supérieure. Les tensions psychiques qui résultent de ce mensonge permanent ne peuvent être masquées que par une fuite en avant dans la falsification, le simulacre, la violence gratuite et le délire à plusieurs, qui sont les grands symptômes de l’Occident post-moderne et des efforts démesurés qu’il déploie encore aujourd’hui pour entraîner le monde dans une guerre totale de conquête de la Russie. Cette deuxième opération Barbarossa, après celle que lança Hitler en 1941 pour envahir l’URSS et qui précipita la chute du Reich et de la puissance européenne, sera également un échec et actera la fin de la domination occidentale sur le monde et le début d’un autre monde. Non pas un monde meilleur, ni un monde plus libre, mais un monde simplement plus cohérent et réaliste.